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Des émotions dans la classe, ça fait désordre !

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Pourquoi faire un dossier des Cahiers pédagogiques sur ce thème du sujet face aux émotions dans l’école ou la classe ?

Ce dossier a fait l’objet d’une longue maturation lors de nos discussions en comité de rédaction. Apprendre ou enseigner peut se traiter sous l’angle de la pédagogie ou de la discipline. Cela met également en jeu les rapports entre les individus, entre eux et l’objet enseigné, et les relations dans le groupe de pairs.

Ce qui nous a paru essentiel, c’est qu’apprendre ou enseigner est un processus complexe qui a toujours trait à la relation du sujet avec l’altérité, avec ce que cette rencontre provoque chez lui d’un point de vue émotionnel. Nous sommes agis, comme on dit, par nos affects, nos émotions et c’est ce qui fait et la beauté et la difficulté de notre métier. Chacun porte en lui son parcours de vie et le parcours de l’humanité, nous espérons que ce dossier l’exprime.

Finalement, de quoi parle votre dossier ? Que peut venir y chercher le lecteur ?

Nous avons voulu organiser les nombreux articles de ce dossier suivant plusieurs niveaux de lecture différents. Des propositions pédagogiques liées à nos pratiques et à nos réflexions sur la place du sujet enseignant ou élève dans la classe. Quels sont les phénomènes collectifs que l’on peut analyser ? Comment peut-on prendre en compte la complexité de l’élève ou de l’enseignant dans sa dimension sociale ou intime ? Une quête de sens, en fait.

Le dossier comporte de nombreux témoignages sur des dispositifs qui aident les collègues à se sortir des « pièges émotionnels » dans lesquels tout enseignant, jeune ou confirmé, prend toujours le risque de tomber. Une large part de notre métier est de marcher sur le fil délicat de l’histoire sensible d’êtres humains. Le lecteur entendra la musique du sujet pensant et vivant, habité de son histoire et de ses étayages. Cette musique est quelquefois douloureuse, parfois joyeuse, mais c’est toujours une musique qui berce d’optimisme celui qui veut bien l’entendre. L’ensemble, certainement, rend aussi hommage à l’humanité profonde des auteurs qui ont permis à ce numéro d’exister.

Les disciplines ne sont pas oubliées. Que provoquent-elles chez celui qui apprend, chez celui qui enseigne ? Quelles émotions particulières parcourent l’apprentissage des maths, de l’EPS, des sciences ?

Faut-il ressentir des émotions pour apprendre?

Le « faut-il … ? » est de trop : les émotions font partie de l’acte d’apprendre, même si nous n’en sommes pas toujours conscients. Pas forcément des émotions spectaculaires, souvent des affects discrets mais bien présents. Dans un ouvrage récent (Une histoire émotionnelle des savoirs, CNRS, 2019), Françoise Waquet explore les coulisses des découvertes scientifiques, des publications qui ont fait date, et montre les affects qui les ont accompagnées, au quotidien ou dans des moments forts. Plus près de nous, des recherches ont montré ce qui se joue subtilement entre chaque élève et tel ou tel savoir, et comment l’enseignant peut favoriser dans sa classe des rencontres marquantes avec les connaissances. Le savoir doit être objet d’étonnement, disait Madeleine Reberioux, historienne.

Avez-vous une joie et un regret sur ce dossier?

Le regret de n’avoir pas exploré plus à fond le lien entre émotions et cognition, ou de n’avoir mis en lumière ce lien que sur certaines disciplines : il manque l’histoire géographie, la technologie, la philosophie… ; donc à vos plumes, chers lecteurs ! Et la joie d’avoir découvert des pratiques pédagogiques si pleines d’humanité, qui cherchent, avec respect, à faire battre le coeur des élèves quand ils s’embarquent vers les savoirs et donc grandissent.

Le regret aussi des articles qui n’ont pas pu être écrits : celui de cette élève maintenant jeune femme qui découvrit qu’elle était un sujet pensant, en sixième, lors d’ateliers de philosophie ; celui de cette collègue qui fait faire du yoga à ses élèves ou encore de cette jeune enseignante qui apaisait des élèves, avant un concert, en leur demandant simplement d’imaginer leur plaisir dans les minutes qui allaient suivre. Quel plaisir aussi de lire de courts textes d’enfants maintenant en classe de cinquième !

Et puis nous sommes heureux d’avoir pu éviter, nous le pensons, l’écueil d’une pensée hégémonique, dogmatique. Nos formations personnelles très différentes nous ont permis d’aborder ce dossier sous des angles multiples. C’est aussi la force d’un travail collectif et du regard toujours bienveillant du comité de rédaction qui accompagne les coordonnateurs.