Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Des avis qui convergent

Ce qui s’impose largement c’est l’accord sur le diagnostic. Aucun des rapports ne remet en cause la nécessité d’un service public d’éducation mais tous en pointent les insuffisances dont la principale porte sur son incapacité à réduire les inégalités.

Dans son rapport sur Le numérique pour réussir dès l’école primaire (mars 2016), l’Institut Montaigne annonce la couleur dès l’introduction « Depuis 2000, les résultats des enquêtes de l’OCDE sont sans appel : la France ne parvient ni à corriger les travers d’un système scolaire de plus en plus inégalitaire, ni à enrayer la dégradation de ses performances. Près de 20 % d’une classe d’âge ne maîtrise pas les savoirs fondamentaux… pourtant, la recherche montre que presque tous les enfants peuvent réussir lorsque des méthodes d’enseignement appropriées sont déployées très tôt ». Ce que France Stratégie confirme : « Les performances du système scolaire français n’apparaissent pas à la hauteur des attentes dont il fait l’objet. Malgré une mobilisation importante de moyens, il reste caractérisé par des inégalités de réussite importantes, un poids fort de l’origine sociale sur les résultats des élèves ».

Renforcement des inégalités

Le rapport du CNESCO va plus loin en insistant sur la fabrication par l’école du renforcement de ces inégalités : « L’école hérite d’inégalités familiales mais produit, en son sein, à chaque étape de la scolarité des inégalités sociales de natures différentes qui se cumulent et se renforcent ». Celui de Roger-François Gauthier et Agnès Florin pour Terra Nova va dans le même sens : « Les enquêtes internationales le démontrent, le niveau moyen des performances scolaires des élèves est médiocre et n’évolue pas favorablement. En outre, les inégalités sociales de réussite scolaire sont importantes et ne se réduisent pas : les élèves issus d’un milieu défavorisé sont moins impliqués, moins attachés à leur école, moins persévérants, plus anxieux que la moyenne des élèves de l’OCDE » alors que « l’enjeu de l’éducation est pourtant bien de développer non pas ce qui ne peut profiter qu’à quelques-uns, mais ce qui doit bénéficier à tous. »

Si l’objet des travaux du CNIRE porte prioritairement sur l’innovation, son rapport de septembre 2016 se termine toutefois par des propositions qui « ont pour visée une École plus juste, des organisations pédagogiques et structurelles favorisant la persévérance scolaire dans un cadre institutionnel moins cloisonné et des personnels mieux à même d’encourager la nouveauté et la réussite de tous les élèves ». Mais c’est sans doute dans le rapport IGEN de Jean-Paul Delahaye, Grande pauvreté et réussite scolaire, qu’on trouve les formulations les plus interpelantes : « Si refonder l’école, c’est corriger les inégalités au sein du système éducatif, alors refonder l’école, c’est faire réussir les plus pauvres » car « l’honneur d’une société se mesure à la place qu’elle fait à ceux qui sont, à un moment donné, en situation de fragilité ». Constatant la faible prise en compte de préconisations déjà présentes dans le rapport Joutard de 1992, Jean-Paul Delahaye interroge – reprenant le titre de l’ouvrage de François Dubet : « Aurions-nous collectivement une préférence pour l’inégalité ? »

Des élèves anxieux

Le diagnostic souligne aussi que les élèves non seulement ne se distinguent pas par leurs performances à l’école mais qu’ils y sont globalement plus anxieux qu’ailleurs. Sur ce point encore tous les rapports convergent :

« Les comparaisons internationales révèlent que le climat scolaire est anxiogène pour les élèves français, qui semblent peu s’épanouir à l’école par rapport à leurs camarades étrangers. » (France Stratégie)

« La nécessité de constituer un climat scolaire qui place l’élève dans une atmosphère de “sécurité”, réduisant autant que possible les tensions souvent liées aux difficultés sociales, est probablement à considérer comme un élément important de nature à faciliter les apprentissages (et non pas seulement à les “permettre ”). » (IGEN)

« Lors des auditions, les élèves ont pointé deux éléments essentiels à leurs yeux pour se sentir bien à l’école : la qualité du climat scolaire et le regard porté sur eux par les adultes », « pour bien apprendre, l’élève doit se sentir en sécurité dans un climat de confiance, bienveillant et créatif » (CNIRE)

« Les élèves français sont marqués par une faible estime de soi, ainsi que par un niveau d’angoisse élevé : depuis 2003, la France reste parmi les pays de l’OCDE celui où le niveau d’anxiété des élèves est le plus élevé (avec la Corée, le Japon, l’Italie et le Mexique) et où l’impact de cette anxiété sur les performances est le plus grand. » (Terra Nova)

« Les contextes ségrégués ne sont pas bénéfiques en termes de climat scolaire. Les élèves défavorisés bénéficient d’un cadre d’apprentissage qu’ils perçoivent comme moins sécurisé, moins discipliné et moins porteur en termes de relations positives entre élèves et enseignants. » (CNESCO)

« S’attacher aux conditions de vie des élèves à l’école permet une réduction des inégalités scolaires. Pour ces raisons, l’institution scolaire devrait donc davantage encore investir la problématique du climat scolaire, en favorisant le développement des relations positives, respectueuses, protectrices à l’égard des élèves. » (IGEN)

Des défis majeurs à relever

Si les différents rapports partagent donc les mêmes analyses sur ce qui va mal dans l’école française ils s’accordent aussi sur la nécessité d’enrayer l’externalisation du traitement de la difficulté et d’interroger les pratiques quotidiennes qui se développent au cœur de la classe. Il faut en finir avec les dispositifs peu efficaces qui travaillent à la marge de l’école et des heures de cours et « ne changent pas fondamentalement les pratiques pédagogiques et l’expérience scolaire au quotidien de l’élève, dans l’ensemble de ses heures de cours » (CNESCO).

Car l’enjeu de l’éducation est bien de « développer non pas ce qui ne peut profiter qu’à quelques-uns, mais ce qui doit bénéficier à tous. L’école […] est la seule instance de socialisation commune à tous, la seule institution qui puisse donner force à cette idée indispensable d’une culture qui soit commune à tous et permette la vie sociale » ( Terra Nova). Il y a donc à lutter en permanence contre la tentation « face aux difficultés bien réelles de faire du commun au sein de la scolarité obligatoire avec des élèves très différents », de « faire le choix de la séparation » (IGEN).

Exigences qui se fondent sur le rappel que « nous ne pouvons pas indéfiniment prôner le vivre ensemble sur le mode incantatoire et dans le même temps laisser sur le bord du chemin une partie des citoyens » car « le “vivre ensemble” n’est compatible qu’avec le “scolariser ensemble” » (IGEN)

Ces défis supposent de faire face à de nombreuses difficultés dont celle de repenser et adapter les contenus d’enseignement et les voies d’accès à ces contenus : « les contenus d’enseignement d’une école juste doivent être établis pour ne pas conduire des élèves à faire plus de chemin que d’autres pour les assimiler » (Terra Nova) et celle d’interroger les méthodes avec le souci constant de diversifier les approches pédagogiques pour permettre à tous les élèves de « rallier les mêmes destinations, plutôt que de changer de destinations pour les élèves mal préparés pour les chemins traditionnels » (IGEN).

Des leviers à mobiliser

Pour y parvenir cinq leviers majeurs sont évoqués de manière récurrente dans les différents rapports : la prise d’appui sur les apports de la recherche, une formation plus adaptée et renforcée des enseignants et de l’ensemble des personnels, une meilleure pratique de l’orientation, une coéducation avec les familles – particulièrement celles qui sont les plus éloignées de l’école – une autonomie accrue des établissements.

  • Tenir compte des résultats de la recherche

Tous les textes dénoncent le manque d’appui sur les ressources mises à disposition par les résultats de la recherche et préconisent d’y avoir recours plus systématiquement. Pour le CNESCO, « les résultats des recherches participent peu à l’élaboration des politiques, ce qui favorise leur contestation par les acteurs de terrain peu convaincus ; peu d’expérimentations des réformes fondées sur des protocoles scientifiques solides et conduites à des dimensions territoriales significatives avant de les étendre à l’échelle nationale ; quasiment aucune évaluation scientifique des effets des dispositifs mis en place ».

Le rapport pour Terra Nova souligne aussi que « l’enseignement scolaire a, en France plus qu’en d’autres pays, régulièrement tenu en lisière les recherches universitaires le concernant, ignoré ou marginalisé les sciences de l’éducation, minoré par exemple l’apport de la sociologie ou des autres sciences humaines. Le manque de formation à la recherche de bien des responsables de l’Éducation nationale leur a souvent fait accorder le même crédit à l’avis de tel ou tel […] qu’aux résultats de recherches publiées dans des supports référencés (donc avec un minimum de garanties scientifiques grâce au processus d’évaluation par les pairs), lorsqu’ils les connaissaient. » Or, « la recherche montre que presque tous les enfants peuvent réussir lorsque des méthodes d’enseignement appropriées sont déployées très tôt » (Institut Montaigne).

Il s’agirait donc, « en prenant appui sur le réseau de chercheurs en éducation et le réseau des ESPE, [d’]« impulser et coordonner des recherches consacrées aux approches les plus efficaces pour assurer la réussite de tous les élèves ». (IGEN)

  • Renforcer la formation

La formation est un autre point faible du système éducatif français. Le rapport du CNIRé souligne que « même si de nombreuses injonctions institutionnelles demandent une diversification de positionnements éducatif et pédagogique (tutorat, aide personnalisée, enseignements pratiques interdisciplinaires), les enseignants se sentent le plus souvent démunis et disent “ne pas savoir comment s’y prendre”. La plupart d’entre eux n’ont pas été formés suffisamment sur le développement psycho affectif de l’enfant et de l’adolescent et méconnaissent aussi les évolutions du système éducatif dans son ensemble. »

D’où l’importance de « donner une réelle place dans la formation initiale et continue des enseignants à la psychologie des apprentissages et aux sciences cognitives : exposés théoriques, mais aussi analyses de pratiques dans des situations concrètes, permettant de comprendre comment les enfants apprennent… comment ils n’apprennent pas et comment les aider à surmonter leurs difficultés » (Terra Nova) et la nécessité d’« accueillir, accompagner, soutenir et former les personnels » (IGEN), voire d’« introduire le principe de formation continue obligatoire » (CNESCO).

France Stratégie regrette que la « formation des enseignants à la pédagogie, définie comme pratique professionnelle pour l’acquisition par chaque élève de connaissances et de compétences mobilisables, [soit] encore faible malgré de réels besoins de développement professionnel exprimés par les enseignants. » Le même rapport insiste sur la nécessité « de recruter et de former des enseignants qui considèrent bien l’hétérogénéité des élèves comme une donnée de base de leur mission, et non comme un problème extrinsèque qui rendrait leur travail anormalement difficile ». Et le CNIRE préconise « l’approfondissement de la formation des enseignants en sciences cognitives, le développement en formation initiale et continue de la pédagogie différenciée, autant de leviers essentiels pour que l’élève ne soit plus seulement perçu à un instant donné mais bien comme un individu en devenir qu’il faut accompagner et guider dans son cheminement. »

  • Repenser le processus d’orientation

Il conviendrait aussi d’œuvrer à modifier le processus d’orientation qui contribue à la dimension inégalitaire du système. Le CNESCO dénonce « les inégalités d’orientation qui ont leur vie propre et viennent se rajouter aux inégalités de résultats scolaires. » Elles sont liées à des facteurs multiples qui se conjuguent et contribuent à pénaliser tout particulièrement les élèves de milieux populaires : « autocensure et manque d’information des parents, paris en termes de filières moins ambitieux des enseignants pour les élèves les plus défavorisés, contextes scolaires ségrégués rabaissant les ambitions scolaires faute de modèles de métiers diversifiés chez les parents des amis ».

Ce que confirme le rapport de l’IGEN : « Finalement, les deux phénomènes, proposition des conseils de classe et autocensure des familles se rejoignent et se renforcent l’un l’autre pour limiter les choix d’orientation des enfants des milieux populaires. » Le rapport de Terra Nova s’insurge aussi contre « les décisions d’orientation prises à la place des élèves ».

  • Renforcer la coéducation

Pour l’orientation comme pour l’ensemble du suivi de la scolarité de chaque enfant, il est nécessaire de renforcer la coéducation, de « développer avec les parents des rapports de confiance basés sur un respect mutuel » (IGEN). Le CNIRE insiste aussi sur la nécessité d’« impliquer les familles dans le parcours de l’élève, en particulier celles qui sont éloignées de l’école et comprennent mal la complexité de l’orientation ; [d’]individualiser la relation aux familles dans une démarche active des conseillers d’orientation-psychologues auprès des familles qui en ont le plus besoin. »

Et France stratégie va dans le même sens : « Accompagner chaque élève pour lui faire acquérir la culture commune implique également un travail d’équipe important pour proposer un encadrement cohérent et efficace de l’élève : entre les enseignants, mais aussi avec les parents. L’implication forte des parents requiert de sortir du rapport distant que le système scolaire existant entretient avec les familles ». La coéducation contribue à favoriser « le sentiment d’appartenance à une communauté éducative, en y associant élèves, professionnels de l’école et parents » (Terra Nova) et participe d’« une alliance éducative entre l’école, les parents d’élèves, les collectivités territoriales et les associations » (France stratégie).

  • Donner plus d’autonomie aux établissements

Des avancées dans les directions souhaitées passent par une autonomie renforcée des établissements. Le rapport Terra Nova préconise par exemple de « former les enseignants, les chefs d’établissement ainsi que des corps d’inspection, à l’élaboration explicite et à la régulation de curricula locaux, élaborés dans le strict cadre du curriculum national, mais prenant mieux en compte les besoins ou les apports spécifiques des élèves, les compétences et goûts des professeurs, les projets éducatifs locaux, ainsi que les ressources […] locales. » Et il ajoute : « Les programmes nationaux ne sont qu’un instrument, qui doit faire l’objet d’une appropriation par les équipes pédagogiques, chacune en fonction de la situation qu’elles rencontrent localement ».

Le rapport de l’IGEN va dans le même sens, en incitant à « libérer et encourager les initiatives locales qui favorisent la réussite de tous les élèves à partir d’un cadre national qui garantit l’unité du système éducatif ». C’est aussi la préoccupation des auteurs du rapport de France Stratégie, qui revendiquent une « autonomie forte accordée aux équipes pédagogiques et aux établissements sur les plans juridique, financier et pédagogique », autonomie qui « doit s’accompagner d’une évaluation réalisée par l’échelon national, mesurant le degré auquel leur travail atteint bien les objectifs fixés par la Nation ».

S’y mettre collectivement

Construire une école plus juste et plus efficace exigera aussi de s’interroger sur la finalité à promouvoir. L’école souffre de l’empilement des « objectifs assignés au système scolaire, tous plus prioritaires les uns que les autres ». Or « avant de se dire que l’École doit s’efforcer d’atteindre d’aussi bons résultats avec chaque élève, déjà faudrait-il se mettre d’accord sur le résultat dont nous parlons : qu’est-ce que l’École doit faire avec les élèves en priorité ? À l’aune de quel critère considère-t-on qu’elle aura accompli sa mission ? Quelle doit être sa finalité première ? » (France stratégie)

Car, comme le rappelle Jean-Paul Delahaye dans le rapport de l’IGEN, « les dysfonctionnements de notre école qui ne parvient pas à réduire les inégalités ne nuisent pas à tout le monde. La méritocratie a une face claire pour ceux qui en bénéficient, et une face sombre pour tous les autres. »

Il n’est pas sûr que l’invitation conclusive : « osons être inégalitaires en moyens pour être égalitaires en réussite et, au fatalisme, préférons la solidarité pour une école inclusive et la réussite de tous les élèves » devienne un slogan des candidats à la présidentielle et un critère pour les électeurs !

Nicole Priou

A lire également :

« Nous restons dans un débat idéologique autour de l’école, et donc le plus souvent hystérique » Entretien avec Nathalie Mons, présidente du CNESCO

Lutte des classes Débat de France Stratégie autour de son rapport

Deux rapports pour une même cause :
la réussite de tous les élèves A propos du rapport de Jean-Paul Delahaye

« Il y a l’enfant-qui-apprend, là, au milieu… » Entretien avec Roger-François Gauthier à propos du rapport pour Terra Nova