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Décrocheurs, décrochés

Le « décrochage » est à la mode dans le monde éducatif. Les recherches se sont multipliées ; un volume de la collection « Que sais-je ? », rédigé par Pierre-Yves Bernard, lui est consacré ; le vocable même s’est diffusé dans l’opinion publique ; la reconnaissance institutionnelle arrive en 2009 avec l’inscription du concept dans le Code de l’éducation.

Enfin, le ministère de l’Éducation nationale s’est récemment félicité d’avoir stabilisé et rendu opérationnelle la définition du décrochage scolaire : le SIEI (Système interministériel d’échanges des informations) mis en place en 2010 pour repérer les décrocheurs, cible ainsi « les jeunes de plus de 16 ans, scolarisés l’année précédente, qui ont quitté une formation de niveau IV ou V sans avoir obtenu le diplôme correspondant ». Le décrochage cesserait donc d’être un concept flottant ; il concerne désormais un ensemble d’individus dénombrables et repérables, pour lesquels des plateformes de suivi vont apporter des solutions.

Cependant, cette définition n’est pas neutre. Elle provient des critères européens définissant l’abandon scolaire lui-même lié à une certaine conception du rôle de l’école. Sont ainsi visés les jeunes mineurs non soumis à l’obligation scolaire et non diplômés, auxquels on offre l’accès à une formation professionnelle ou à l’emploi. La priorité n’est donc pas la formation initiale.

Ce nouveau dossier des Cahiers pédagogiques, six ans après celui dirigé par Marie-Cécile Bloch et Bernard Gerdre, de l’association La Bouture, « Décrocheurs, comment raccrocher ? », voudrait montrer la complexité du phénomène. D’abord à l’échelle des adolescents concernés : le décrochage ne peut être analysé comme un état, une situation dans laquelle se trouvent certains individus en vertu de critères objectivables. C’est un processus qui peut s’étaler sur l’ensemble de la scolarité avec des moments clés que sont l’entrée à l’école, au collège ou au lycée, la période de l’adolescence.

Un processus qui conjugue une pluralité de causes : personnelles, familiales, sociales et scolaires. C’est un enchevêtrement de responsabilités, qu’il faut analyser globalement comme dans chaque situation particulière. C’est un révélateur de dysfonctionnements de l’école, de problèmes sociaux, portés à leur paroxysme dans le cas de jeunes plus fragiles que d’autres, pour des raisons structurelles ou conjoncturelles.

D’où, nécessairement, une pluralité des réponses à envisager. Les acteurs de terrain, qu’ils soient hors l’école (collectivités territoriales, associations, etc.) ou dans l’école inventent et proposent toute une palette de dispositifs de lutte contre ce décrochage. Mais, malgré les bonnes volontés, les bilans restent finalement très mitigés et les succès rares : prendre en charge le décrochage et ces multiples facteurs, parfois hors scolaires, ne doit pas faire oublier tout ce qui se joue dans la classe et dans la relation pédagogique.

Décrocher de l’école est souvent, du point de vue du premier concerné, une façon de se protéger, de se soustraire à une situation devenue insupportable. L’amener à renouer avec les apprentissages ne pourra se faire qu’en adaptant soigneusement le cadre proposé, quelle que soit la structure d’accueil. Ce n’est pas qu’une question d’insertion socioprofessionnelle de jeunes sans diplôme, c’est notre conception del’éducation et de la formation qui est en jeu.

Sandrine Bénasé-Rebeyrol et Julien Servois

Le titre de ce dossier est inspiré de celui du n° 162 de La revue Foéven, paru en février 2012, « Décrochés ou décrocheurs ». Nous en remercions nos amis de la Foéven, et en profitons pour recommander la lecture de leur dossier en complément du nôtre.