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De mon île tropicale…

La reconnaissance de quelques articles de la Charte européenne des langues régionales par la France a déclenché un véritable déluge de prises de positions, de déclarations, d’articles divers. La France était en danger, la République menacée, l’unité nationale rompue. De mon île tropicale, je me garderai bien de me mesurer aux argumentaires développés par d’éminentes personnalités. J’ai appris depuis bien longtemps que des penseurs et intellectuels français ont su justifier l’esclavage, la colonisation, les guerres coloniales et le racisme. Je n’oublie pas, n’étant pas ingrat, qu’il y en a eu pour combattre ces positions.

Je parlerai de mes sentiments. Enseignant depuis quinze ans le créole dans un collège, j’ai vu passer des recteurs et des ministres qui ont écouté d’un air poli les revendications de ceux qui souhaitent que les textes existants soient entièrement appliqués en Guadeloupe, Guyane et Martinique, pour que les langues régionales soient reconnues et traitées dans ces pays comme en Bretagne ou en Corse. Ils passent et ils ne prennent même pas la peine d’un refus. J’ai chaque fois éprouvé le même sentiment que celui que je ressens, lorsqu’un regard méprisant se porte sur moi ou sur un de mes frères noirs ou arabes. Révolte, douleur, stupéfaction de constater que des hommes nient à d’autres hommes le droit d’exister.

Le refus de la reconnaissance des articles de la charte européenne des langues régionales me renvoie une fois de plus à la négation des autres. Toutes les bonnes raisons me renvoient à cette idée :  » Vous ne méritez pas d’exister et votre parlure qui n’est pas digne d’exister doit disparaître. Si vous ne parlez pas comme nous, si vous n’êtes pas comme nous, vous êtes dangereux.  »

Je me sens femme, nègre, juif, homosexuel à la fois ; bref je fais partie de tous ceux qu’on veut tuer ou humilier tout simplement parce qu’ils sont différents.

Messieurs les beaux parleurs tous vos arguments ne visent qu’à nier ma diversité, ma richesse que me donne ma langue. Votre combat est d’arrière-garde, le créole ainsi que les autres langues régionales aura sa place et sera tôt ou tard reconnu, aidé et enseigné à tous ceux qui souhaitent l’apprendre, quelle que soit leur origine raciale, quel que soit le lieu de leur naissance ou de résidence.

Mon intime conviction est que la signature de la Charte européenne des langues régionales si elle n’ajoute rien aux textes relatifs à l’enseignement de ces langues est propre à créer des conditions qui favoriseront leur diffusion et leur enseignement. C’est cet impact que les opposants de tous bords ont perçu et qui les rend si offensifs dans leur opposition. Tous ceux qui souhaitent l’épanouissement des langues et cultures régionales doivent se mobiliser et agir à tous les niveaux pour la signature de la charte européenne.

Roger Ebion, enseignant en Martinique.