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De la nécessité d’analyser

Les enseignants ont-ils besoin de réfléchir sur leur action ? Qui répondrait négativement ? Notre dernier dossier consacré à l’analyse des pratiques enseignantes (n° 346 de septembre 1996) s’est rapidement épuisé et il nous est régulièrement demandé. Sans doute faut-il faire l’hypothèse qu’il s’agit là de l’axe central du métier d’enseignant. Des pédagogues de l’Antiquité aux petits profs d’aujourd’hui, l’analyse a posteriori des effets de son intervention apparaît comme un acte naturel pour l’instituteur ou le professeur. Il n’en a pas toujours été de même pour l’institution qui a longtemps préféré mettre l’accent sur l’acquisition – et la transmission – des savoirs ainsi que sur la préparation du cours. Aujourd’hui, s’est développé et répandu le modèle du praticien réflexif (J. Beillerot et P. Perrenoud). Même si cette expression est un peu pompeuse, elle désigne une réalité facile à observer et à désigner. C’est même devenu un objet à la mode. L’analyse de pratiques est le dispositif de référence pour tous ceux qui mettent en avant l’idée selon laquelle il ne suffit pas de savoir pour savoir faire, que c’est dans l’exercice du métier au quotidien que se forgent des compétences spécifiques et primordiales, que la pratique peut nourrir la théorie et réciproquement. Dès lors, la formation est tenue d’ajouter à la panoplie évoquée ci-dessus l’arme redoutable du debriefing. Autrement dit, ce que faisaient, ou étaient censés faire, les inspecteurs, – analyser pendant et après le cours l’enseignement et son efficacité… pour l’améliorer – devient un élément incontournable du métier.

Le nombre insuffisant d’inspecteurs (on ne peut pas en mettre un derrière chaque enseignant ; de plus, personne n’y tient !) et la mode de l’autoévaluation incitent à une réflexion plus constante et plus partagée : les groupes et dispositifs d’analyse de pratiques se sont multipliés au point de se rencontrer dans pratiquement toutes les instances de formation initiale ou continue. Or, ils sont plus plébiscités par les formateurs que par les personnels en formation, ce qui incite à analyser les causes de ces résistances.

N’y a-t-il pas quelque danger à généraliser une pratique spontanée ? La marque originelle du contrôle de l’activité ne freine-t-elle pas l’essor de cette modalité de formation, au moins en début de carrière ? A répéter que les enseignants ne se forment que sur le terrain on risque fort de les voir immergés dans des écoles et des établissements toujours plus difficiles, sans accompagnement et sans possibilité de développer leurs compétences professionnelles. La survie n’est pas toujours formatrice et l’analyse de pratiques ne doit pas devenir une formation palliative visant le simple maintien dans la fonction.

Une vision « psychologisante » des difficultés d’entrée dans le métier ou des conditions particulières d’enseignement peut entraîner des dérives vers un groupe thérapeutique ou d’écoute. Les apports de la psychologie sont indéniables et nous avons souhaité lui donner une place en relation avec d’autres approches plus tournées vers l’analyse multiréférenciée du travail enseignant. L’enjeu de la formation n’est-il pas d’articuler, de mettre en réseau les différentes approches – pragmatique, ergonomique, cognitive, clinique – pour que chaque enseignant ait l’occasion de les expérimenter dans son cursus ?

Enseigner et apprendre sont des tâches aussi complexes que soigner ou gouverner. Tout ce qui respecte et sert cette évidence dans la formation et l’accompagnement des enseignants mais aussi des équipes et des établissements nous semble digne d’intérêt. Ce dossier en est la preuve. Nous entendons y découvrir comment s’enchaînent l’action et la réflexion, caractéristiques essentielles de l’alternance. Mais nous nous garderons d’oublier notre fonction essentielle de transmission de savoirs. D’où notre souci de répondre à l’interpellation de ceux qui pensent que ce sont les savoirs qu’il faut mettre au centre, quitte à en déloger les élèves ou encore les maîtres !

Dans le succès actuel de l’analyse des pratiques, ce qui fait problème, actuellement, ce n’est plus sa promotion, comme au milieu des années 1990, mais la diversité que recouvre cette expression, diversité des publics, professeurs des écoles, des lycées et collèges, des lycées professionnels mais aussi conseillers principaux d’éducation, personnels de direction, formateurs, etc. L’effet-établissement (voir le n° 354) pose la question d’un élargissement et d’une composition plus variée encore des groupes bénéficiaires et nous retrouvons alors les débats actuels sur la décentralisation : les infirmières, médecins, assistantes sociales et tous les acteurs de l’éducation n’ont-ils pas leur place dans l’analyse de pratiques, qu’il s’agisse de groupes spécifiques ou intercatégoriels ? Le lien avec la formation professionnelle au sens le plus large devient de plus en plus évident. Et nous pouvons anticiper, avec Michel Tozzi, sur de nouveaux développements de l’analyse du travail d’éducation, notamment par sa présence dans les cursus de formation initiale ou continue. Ce qui rend indispensable la reconnaissance de la qualification acquise à l’occasion de cette formation, qualification qui se retrouve tant chez les participants à ce genre d’actions que chez les animateurs de dispositifs dont la professionnalité devra être reconnue et validée.

Voilà qui permet d’envisager le lancement prochain du troisième numéro de : « Analysons nos pratiques ! »

Richard Étienne, Université Paul Valéry, Montpellier III.
Patricia Picques, IUFM Nord/Pas-de-Calais, Membre du groupe de recherches « Développer la professionnalité enseignante par l’analyse réflexive des pratiques» (Composé de Nicole Bliez-Sullerot, Anne Deloge, Patrick Ennebeck, Yannick Mevel, Patricia Picques, Véronique Vanhaesebrouck.)