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Croiser les regards

L’expérimentation menée au cours de l’année 2013-2014 a été le fruit d’une rencontre et d’un besoin : la rencontre entre un professeur de français titulaire du 2 CA-SH et spécialisé dans le suivi des élèves dys-  et une infirmière scolaire directement concernée par la mise en place des PAI, notamment pour les élèves dys-, le collège étant alors en secteur découvert, sans médecin scolaire ; le besoin de deux professionnelles aux fonctions différentes dans le collège, mais poussées par le même désir d’accompagner au mieux des élèves aux besoins éducatifs particuliers et de partager leurs idées et expertises.

D’une première collaboration …

Durant la première année de notre collaboration, les réunions de mise en place des PAI auxquelles nous assistions conjointement ont été l’occasion d’échanges de points de vue et d’enrichissements mutuels. Nous avons en effet naturellement été poussées à dépasser les préconisations habituelles concernant les adaptations à mettre en place, souvent trop générales et répétitives d’une réunion à l’autre, en menant une analyse plus fine des bilans présentés lors des réunions (orthophoniste, graphothérapeute, famille, élèves, enseignants…). Grâce au croisement de nos connaissances sur l’élève (médicale, personnelle, familiale, scolaire…) et de nos compétences professionnelles (dans le champ du médical, du psychologique ou de l’adaptation scolaire), les propositions que nous avons faites dans le cadre du PAI ont été plus ajustées aux besoins spécifiques des élèves. Cette démarche a eu plusieurs effets bénéfiques. Tout d’abord, les familles présentes ont pu constater que les réunions pour la mise en place des PAI étaient l’occasion d’une véritable recherche de solutions et d’adaptations pour leur enfant, partant de ses difficultés et de sa situation propre. De plus, de notre point de vue, cela a contribué à enrichir notre expertise sur les élèves dys- :  la familiarisation avec les bilans orthophoniques, par exemple, a permis à Jacqueline d’ouvrir son champ de connaissances, puis d’analyse sur le terrain, à des notions telles que la fluence verbale ou les pseudomots. Isabelle  a trouvé l’occasion de lister des exemples d’adaptations possibles ou de conseils différents de ceux qu’elle avait déjà, et d’être capable de les proposer à l’occasion de réunions avec d’autres interlocuteurs, enseignants, parents ou élèves.

Cependant, malgré ces impacts positifs pour l’accompagnement des jeunes, nous avons vite été confrontées à un écueil : le suivi, à long terme, de ces élèves. Car travailler en commun à l’élaboration d’un projet d’accompagnement, c’est un premier pas, mais pour que le travail soit vraiment fructueux, il aurait fallu se revoir longuement, plusieurs fois dans l’année, pour suivre l’évolution des élèves, de leurs besoins, de leurs méthodes de travail, de leurs progrès… Or l’année scolaire est très vite passée, avec son lot de  réunions, de conseils de classe, d’urgences à traiter, de rendez-vous avec divers interlocuteurs et donc avec l’impossibilité de dégager du temps, sur notre lieu de travail, pour faire ce suivi pourtant nécessaire.

… à la création d’un atelier hebdomadaire

Nous est venue l’idée de mettre en place un atelier hebdomadaire afin de croiser notre regard sur les élèves non plus en réunion distancée, mais directement en situation, en observant conjointement la manière de travailler, de lire, de comprendre et de réfléchir des élèves. Dans le cadre de l’accompagnement éducatif, nous avons donc proposé aux élèves dys- une heure de soutien méthodologique et cognitif. 8 élèves dyslexiques ont été volontaires . Il s’agissait de créer un espace de dialogue bienveillant, où la parole était libérée sur des sujets divers : les cours, les méthodes de travail, le suivi à la maison, la vie au collège, les relations avec les autres. Notre objectif était ensuite d’accompagner pédagogiquement ces élèves à besoins éducatifs particuliers pour les faire entrer dans la réflexion sur leurs démarches de lecture et d’écriture et leurs méthodes d’apprentissage afin qu’ils parviennent peu à peu à trouver les outils pour compenser leur trouble.

Nous avons ainsi abordé la manière dont les élèves dys- tenaient leur cahier de cours et  notaient les traces écrites. Se sont alors posées diverses questions  : comment tirer profit de ces notes de cours ? comment les rendre plus agréables à lire ?  quels outils utiliser lors de la relecture pour en dégager l’essentiel ? L’échange des élèves entre eux, puis l’analyse de modèles présentés par Isabelle et moi ont amené progressivement les élèves à adopter d’autres manières de faire (écrire en séparant mieux les mots, souligner les mots importants…) et à en rendre compte, en atelier, après quelques semaines d’essais.

Ensuite, nous avons axé le travail sur la lecture de textes, littéraires ou documentaires, problématique pour les élèves dyslexiques qui formaient notre groupe. En groupes et en travail plus individuel avec Jacqueline, les élèves ont peu à peu appris à analyser leur démarche de lecture, à en déceler les forces et les faiblesses et à la réorienter en fonction de ces constats : période fructueuse et riche en enseignements pour tous les participants du groupe, élèves comme adultes.

Enfin, la dernière période a été consacrée à l’initiation aux cartes heuristiques, schématiques, ludiques mais demandant un esprit de synthèse et une réflexion conséquente de la part des élèves amenés à retravailler leurs connaissances de cette manière. Nous avons d’abord constitué ces cartes à la main puis nous avons montré aux élèves des logiciels libres d’accès sur lesquels ils pouvaient aussi travailler.

Des bénéfices multiples

Animer cet atelier toutes les deux a été une expérience bénéfique et enrichissante à plusieurs niveaux. Pour les élèves de l’atelier, les apports et les progrès ont été réels. Nous avons pu ainsi voir des élèves parfois en grande souffrance se réconcilier avec leurs écrits et avec l’image qu’ils avaient de leur trouble. Nous pensons que le cadre de l’atelier a été rassurant : par la présence d’Isabelle, interlocutrice privilégiée pour le suivi des PAI et des malaises divers des élèves , par la présence du professeur, qui apportait le cadre structurant parce que déjà connu de la salle de classe et des démarches pédagogiques, mais aussi par l’interaction avec des élèves présentant des troubles similaires, mais dont certains avaient une confiance en eux plus développée et ont pu contribuer à aider leurs camarades à progresser. Les élèves ne participant pas à l’atelier ont pu bénéficier des conseils plus techniques d’Isabelle, lors des entretiens de suivi des PAI. Elle a profité de sa position d’infirmière scolaire pour diffuser plus largement les outils et démarches abordés au cours de l’atelier. Isabelle a également pu orienter les parents dans les différentes directions que nous abordions au cours de l’atelier. Faire participer les parents nous paraît en effet essentiel pour la réussite des élèves, notamment ceux qui présentent des besoins éducatifs particuliers.

Pour Isabelle, l’atelier a permis de voir les élèves directement en situation d’apprentissage car n’étant pas enseignante elle n’a que rarement l’occasion de les voir confrontés à la tâche scolaire. Les bilans auxquels elle a accès dans sa fonction sont toujours plus abstraits, détachés de la réalité scolaire. Là, elle a pu observer les élèves et leurs difficultés. Pour elle, voir une élève être obligée de suivre du doigt les lignes d’un texte pour ne pas se tromper, puis la voir progresser dans sa lecture au moyen d’un simple cache de lecture a été plus instructif que nombre de bilans. De même, assister à toute la démarche amenant l’élève vers la compréhension fine d’un texte (questionnements, recherches d’indices dans le texte, reformulations, corrections…) constituait une nouveauté pour elle, mais lui permet maintenant d’avoir une vision plus concrète des différentes difficultés liées à la dyslexie et donc de mieux comprendre les élèves.

Pour Jacqueline, animer cet atelier avec Isabelle  a favorisé une décentration de sa posture de pédagogue et une  plus grande attention  aux évolutions des élèves en dehors des cours, en dehors de la classe : que disent-ils de leurs troubles, quels regards portent-ils sur eux-mêmes, comment vivent-ils les aménagements proposés : autant de questions que les interactions de l’atelier ont permis de faire émerger . Enfin, d’un point de vue intellectuel, travailler à deux, échanger points de vue, connaissances et pratiques est très stimulant et dynamise un peu plus le quotidien des professionnelles que nous sommes. Ainsi, le retour sur cette expérience, qui n’a pas été renouvelée cette année, nous a conduites  à en rechercher les limites, les points d’insatisfaction afin d’y remédier pour une prochaine reconduction de l’atelier.

Des évolutions à prévoir

Comment mieux apprécier l’impact réel de l’atelier dans les cours ? Il n’a pas été évalué de manière formelle et rigoureuse, car cela aurait demandé un travail trop conséquent d’explication sur le déroulement de l’atelier et d’échanges réguliers  auprès de chaque collègue ayant en charge les élèves de l’atelier. Nous n’avions ni le temps ni le recul nécessaires pour l’effectuer. Pour remédier à cela, nous avons imaginé profiter de la réunion de prérentrée de septembre pour informer tous nos collègues, dans les grandes lignes, des points qui seraient abordés en atelier, ce qui allègerait le travail de suivi par la suite puisque nous n’aurions pas d’explications à fournir individuellement.

Notre attention s’est portée aussi sur la nécessité d’ouvrir l’atelier, et la réflexion, à d’autres collègues, non seulement pour construire un suivi plus cohérent des élèves dys-, mais également pour profiter d’une autre expertise encore, d’autres regards sur les élèves, sur les démarches en classe et pour, au final, élargir notre champ d’investigation. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : observer, analyser, tester conjointement et toujours enrichir nos pratiques au contact les uns des autres. En effet, lorsque nous avons pris la décision d’animer cet atelier ensemble, nous savions où nous voulions aller avec et pour les élèves, mais nous n’avions pas pris en compte le travail en équipe qui pouvait se jouer autour. A présent, après une réflexion approfondie sur cette expérience, nous savons aussi qu’il est nécessaire d’impliquer nos collègues dans cette démarche pour  enclencher une dynamique et un enrichissement des regards et des pratiques face aux élèves. Il s’agirait de faire en sorte que notre travail autour des élèves dys- ne se cantonne pas à un atelier hebdomadaire mais puisse se propager à l’ensemble de l’établissement.

Isabelle Krupa, infirmière scolaire
Jacqueline Triguel, professeur de français