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Constituer un collectif d’accueil des nouveaux enseignants

L’accueil des nouveaux enseignants a été au centre de nos préoccupations en fin d’année scolaire dernière. En juin 2014, une réflexion spontanée est menée par trois collègues du collège avec le projet d’accueillir et d’accompagner les nouveaux collègues affectés. L’équipe de personnes – ressource du DAANE[[DAANE : Dispositif d’accueil et d’accompagnement des nouveaux enseignants.]] que nous expérimentons cette année se compose de deux professeurs et d’un CPE avec le soutien du principal de l’établissement.

L’équipe partait du constat d’un turn over important des enseignants depuis quelques années. A la rentrée 2014, 21 nouveaux enseignants[[Ces 21 personnes ne sont pas tous des néo-enseignants. Il y a une grande diversité de l’expérience. Certains sont néo titulaires et d’autres sont des TZR expérimentés ayant déjà enseignés en Éducation prioritaire ou bien contractuels ou vacataires.]] ont été nommés sur une cinquantaine. Les causes sont diverses : nombreux postes vacants, collègues TZR, contractuels ou vacataires qui ne restent pas. Notre établissement est rarement un vœu d’affectation, il souffre d’une image négative qui suscite stress et angoisse. Les conséquences sont multiples : les élèves ont la possibilité de « tester » chaque année de nouveaux professeurs, l’implication des personnels est difficile sur des projets à long terme et une culture commune au niveau de l’établissement peine à s’établir. De plus, un mal être professionnel s’est ressenti au printemps 2014 : arrêts maladie, fragilité émotionnelle, non sans contagion sur l’ambiance générale de la salle des professeurs.

Créer un espace de parole dès la pré-rentrée

Le projet, avec des objectifs à court et long terme, vise à accueillir les enseignants dès la pré-rentrée et les accompagner au mieux tout au long de l’année. En effet, nous sommes conscients de la difficulté d’enseigner dans notre établissement surtout la première année : prise en charge de la difficulté scolaire, conditions difficiles des élèves, gestion du conflit et de la violence. Nous voulions, par cet accueil, préserver les nouveaux et partager leurs difficultés, communes à tous. Lors de la pré-rentrée, il s’agit de présenter l’établissement, la spécificité d’un réseau d’éducation prioritaire et les règles de fonctionnement communes.

En juin 2014, nous avions fait passer un questionnaire à l’ensemble des enseignants pour nous permettre de lister les rituels en activité au sein du collège. L’idée était de présenter un inventaire de gestes professionnels, que chaque enseignant était invité à se réapproprier, afin d’éviter d’éventuelles maladresses, sources de conflits. Le premier contact de l’enseignant avec sa classe – s’il est perceptiblement hésitant voire angoissé – peut être vu comme une faiblesse par les élèves. A l’issue de cette journée, nous avons constaté une grande diversité de l’expérience mais une angoisse commune d’enseigner dans notre collège. Les attentes envers notre dispositif étaient fortes.

Nous avons également misé sur la convivialité, nous voulions permettre aux collègues de se connaître pour se sentir immédiatement intégrés à l’équipe éducative. Un nouvel enseignant, de surcroît s’il est néo-titulaire, a besoin d’être conforté par un soutien collectif.

Aussi dans le cadre de la réforme de l’Éducation prioritaire, l’objectif est de créer un espace de parole permettant d’exposer doutes et réussites. A long terme, l’accompagnement doit poursuivre l’accueil : l’échange autour des gestes professionnels permet de conseiller et d’améliorer la gestion des classes et du conflit, élément fréquent en éducation prioritaire. Mais aussi d’amorcer une réflexion pédagogique à l’échelle de l’établissement. La finalité est de contribuer à l’amélioration du climat scolaire : le bien-être professionnel des enseignants est corrélé au bien-être des élèves et donc favorable à la réussite et à l’épanouissement de tous. L’heure de concertation issue de la réforme nous permet d’inviter les collègues sur un temps de présence au collège.

Échanger pour trouver ensemble les réponses

En septembre, des séances collectives – avec 10 à 15 volontaires – ont été proposées afin de répondre aux questions du quotidien et de faire un bilan des premières heures de cours. Les questions relevaient surtout de la gestion du conflit et de la difficulté à instaurer un cadre de travail propice aux apprentissages. Nous avons tenté de réagir aux demandes en conseillant sur des thèmes précis: l’entrée en classe, la rédaction d’un rapport d’incident. Nous utilisions l’humour pour dédramatiser certaines situations et nous partagions notamment nos ratés. Mais, lors des séances, le temps de doléances primait sur l’échange. Les collègues arrivaient avec leurs problèmes. Nous faisions face mais nous nous sentions de plus en plus exposés. Nous ne souhaitions pas donner l’impression d’être de « super profs  » : quelle était notre légitimité ? Or, nos nouveaux collègues attendaient des réponses efficaces et immédiates aux incidents auxquels ils étaient confrontés. Conscients que ce temps de parole est certes nécessaire, il nous fallait le dépasser.

L’apport de la vidéo

Nous n’arrivions plus à nous projeter, il était primordial de faire évoluer le dispositif de l’accueil vers l’accompagnement. Les participants aux séances étaient moins nombreux, nos collègues semblaient intégrés à l’établissement et pourtant de plus en plus démunis. Pour surmonter ce sentiment d’impasse, nous avons réfléchi ensemble et avons décidé d’utiliser le support vidéo. Il nous était ainsi possible de retrouver notre place auprès de nos collègues et ce support concret offre un angle de vue différent et permet l’étude du langage du corps, des postures professionnelles, de la voix.

En équipe, nous avons travaillé avec le site néopass@ction[[http://neo.ens-lyon.fr]] afin d’aider nos collègues à entrer dans l’analyse sur la problématique de la mise au travail. L’objectif était de rassurer et de réfléchir. La séance a eu lieu en octobre 2014, en présence de 15 collègues. Le visionnage a suscité des réactions multiples, certains comparant avec leur propre vécu quand d’autres proposaient des pistes d’analyse. Les enseignants ont adhéré mais ont fait remarquer les différences entre la vidéo et notre réalité : profil des élèves, disposition des salles. L’idée est donc venue de filmer nos collègues.

Face à l’ampleur de la tâche, nous avons  pris du temps pour établir les objectifs de l’usage de la vidéo. Pour être à la hauteur des attentes, nous devions aussi nous former pour permettre aux enseignants d’analyser leur activité professionnelle. Nos craintes étaient nombreuses  liées à notre manque de formation et à notre inquiétude d’exposer nos collègues. Le travail d’analyse de séquences vidéo en groupe était poursuivi aboutissant à des échanges sur les rituels. Nous avons rédigé un protocole d’usage de la vidéo pour définir les différentes étapes et avoir une procédure bienveillante et efficace : quel objectif du support vidéo ? Quelle finalité pour l’enseignant filmé et pour le groupe ?

Cette phase de réflexion a été nourrie par notre participation à un séminaire de l’Ifé sur l’utilisation de la vidéo[[Formation Ifé – Centre Alain Savary : Utiliser la vidéo pour former les enseignants, 12 et 13 novembre 2014.]] pour former les enseignants . Conscients de notre besoin d’aide, nous avons formulé auprès d’une enseignante- chercheuse une demande d’accompagnement pour nous permettre d’analyser notre dispositif afin de l’améliorer. Son aide passe par un apport théorique et des séances d’analyse de notre activité[[En référence à une approche clinique de l’activité,  l’enseignante-chercheuse (laboratoire ACTé) propose des entretiens d’auto-confrontation permettant aux enseignants pilotes du DAANE d’analyser des séquences vidéos de leur travail.]] où son questionnement nous conduit à prendre de la hauteur.

En décembre 2014, une collègue d’allemand néo-titulaire se porte volontaire. Elle est filmée, avec une tablette positionnée au fond de la salle, devant une classe de 5e difficile. Ensuite, nous  réalisons un séquençage pour en faire des vidéos courtes plus exploitables. Par la suite, nous proposons à la collègue de réaliser une auto-confrontation simple où l’objectif n’est pas de juger mais d’analyser. Afin de préserver la spontanéité de ses réactions, l’enseignante n’avait pas vu les séquences. Après un temps d’échange sur sa pratique, l’enseignante a choisi trois séquences pour les partager avec le reste du groupe. La séance collective filmée a eu lieu en janvier 2015. Nous avons projeté les vidéos après un temps de contextualisation de sa séance par l’enseignante. Les échanges entre pairs ont été constructifs et bienveillants d’autant que l’enseignante avait déjà expérimenté certaines pratiques pour nourrir l’analyse.

Constituer un collectif d’enseignants

Nous avons observé que notre rôle avait changé : nous n’étions plus les pourvoyeurs de solutions mais des collègues qui organisent les échanges. Nous avons toutefois regretté de ne pas avoir pris le temps d’échanger avec notre collègue sur son ressenti, car il nous semble essentiel d’accompagner les collègues le plus longtemps possible. Il nous est aujourd’hui difficile de mesurer l’impact de ces séances sur la pratique ou le bien être de nos collègues. Ceux qui adhèrent, une quinzaine,  semblent motivés, ils nous demandent d’autres séances similaires et nous ont parfois expliqué que cela nourrissait leur réflexion quotidienne. Cependant, nous n’avons aucun recul, nous travaillons actuellement à la mise en place d’un protocole de recueil des données pour évaluer l’impact du DAANE et ses effets pédagogiques.

De nombreux éléments restent à améliorer. Ainsi, nous envisageons de filmer d’autres collègues volontaires mais aussi de varier les séances filmées. Notre objectif est aussi de faire participer à l’avenir aux séances collectives des « anciens » afin d’instaurer des habitudes quant à l’usage de la vidéo.

Ces derniers mois ont été intenses en réflexions et en analyses sur le dispositif d’accueil et d’accompagnement des nouveaux enseignants du collège A. Césaire. Nous réagissons encore trop dans l’urgence du quotidien.  Nous aimerions assurer un suivi individuel et collectif plus régulier et notamment planifié à l’avance. Certains collègues n’ont jamais adhéré. Nous n’arrivons pas à en identifier les causes et nous ne savons pas comment y remédier pour les années futures. Il nous apparaît aujourd’hui que ce sont les collègues le plus en souffrance : comment instaurer un climat de confiance pour qu’un collègue qui cherche à se protéger accepte d’évoquer ses difficultés ? Mélange de doutes et de perspectives, le dispositif a permis aujourd’hui de constituer un collectif d’enseignants prêts à s’engager dans l’évolution de leurs pratiques pour pouvoir supporter ce qui est parfois insupportable dans le travail en établissement REP+. Avec le soutien de la direction, le dispositif rassemble et fédère les enseignants autour de problématiques professionnelles.

L’évolution du dispositif nécessite une réflexion sur la manière d’identifier les effets des outils (protocole d’analyse vidéo) sur l’activité des nouveaux enseignants. Précisément, nous souhaitons étoffer le DAANE et en mesurer l’impact à la fois sur le bien-être des enseignants, sur la connaissance de leur activité, les besoins de formation mais aussi sur le climat scolaire au sein de l’établissement.

Stéphanie Foselle, enseignante, Histoire -Géographie collège Aimé Césaire de Vaulx-en-Velin (69),
Michael Jamot, CPE,collège Aimé Césaire de Vaulx-en-Velin (69)
Sylvie Moussay, maitre de conférences, Laboratoire ACTé