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Conseiller d’éducation, repères pour une histoire, 1945-1993

L’histoire des CPE est étrange. Elle s’annonce dès 1945, mais attend presque 50 ans pour se réaliser. Comme le montre Régis Rémy, ce sont des acteurs issus de la résistance qui conçoivent la transformation du métier de surveillant général et engagent le combat contre l’ordre disciplinaire. Disons-le tout de suite, cette histoire est partielle. Centrée sur les questions réglementaires et statutaires, elle laisse dans l’ombre les débats d’une profession en partie subversive qui veut rénover la discipline. Cette histoire du CPE est une épopée en trois épisodes : l’idée de la réforme (1945), la conquête d’un statut (1970), le nouveau paysage statutaire du CPE (1982 – 1992).

La première partie de l’ouvrage, la plus intéressante, va aux sources du mouvement de la réforme éducative, dans l’extraordinaire besoin de rénovation sociale et politique de l’après guerre. Fusionnant avec la dynamique de « l’éducation nouvelle », cette réforme s’implante dans les tout nouveaux centres d’apprentissages et invente ce qui va s’appeler « la vie scolaire » : une approche éducative « non-disciplinaire » qui se veut culturelle, humaniste, et démocratique. A l’origine : un groupe de « frondeurs » lyonnais (p.25), des personnalités hors normes comme René Nodot qui en appelle au « conseil » et à l’« autodiscipline » (p.31). Puis les choses s’enchaînent. Grâce à l’appui d’inspecteurs généraux précurseurs, comme Jeanne Dejean (p.56), Odette Brunschwig (p.47), Louis François et d’autres comme Gustave Monod, Lucien Dintzer, le mouvement s’étoffe autour d’établissements expérimentaux (Arnouville, Crémieux la Pape, Montgeron ou Sèvres) (p.37), la contribution d’associations périscolaires (FOEVET, CEMEA) et l’organisation de stages de surveillants généraux. A la fin des années 1950 – 1960, ce mouvement devient irréversible. Avec une inspection pionnière (1965), et des associations qui essaiment les innovations éducatives : le FSE, la relation d’aide, la contractualisation des règles, la cause semble entendue. Les pratiques éducatives changent. Cependant cela ne suffira pas pour valider institutionnellement ce qui se passe déjà dans la vie scolaire. L’institution scolaire résiste. Il faudra attendre 1968 pour que l’institution amorce une « timide » évolution. Tandis que l’impatience grandit, les Surveillants généraux attendront 1970 pour devenir Conseillers d’éducation et 1972 pour obtenir la première formulation de leur « mission ».

Tout aussi épiques, la deuxième et troisième partie de l’ouvrage déroulent « un long cycle de déceptions, de controverses, voire de conflits » (p. 77) dans lequel la querelle statutaire met aux prises le ministère et le front syndical. A partir de 1972, les acteurs, les alliances et les préoccupations se divisent entre ceux qui cherchent à inventer le métier sur le terrain et ceux qui veulent en découdre pour obtenir un statut normalisé à parité avec les enseignants et  séparé de la direction. Mettant entre parenthèses le travail des associations autour des questions professionnelles, n’apparaissent plus alors que les péripéties qui opposent le ministère garant d’une institution conservatrice, l’inspection générale qui devient hostile vers la fin des années  1980 et le front syndical qui entraîne les Conseillers d’éducation vers l’équipe pédagogique.

Tandis que ces discussions piétinent, il faut attendre l’alternance de 1981 pour voir relancer le dossier des Conseillers d’éducation. Dans un contexte de réformes généralisées et face à la crise de la massification le développement de la fonction de CPE devient une sorte d’évidence. Elle consacre la normalisation statutaire des CPE : accroissement considérable du nombre de postes afin d’en doter tous les collèges et les sites difficiles, institution d’une circulaire fixant le rôle et le cadre horaire de la fonction, réunification des deux corps en un seul (CPE), modification du décret de 1970 situant le CPE aux côtés des enseignants dans le suivi et à l’évaluation des élèves et enfin, intégration des CPE dans  les IUFM. Ainsi, peut-on dire qu’entre 1989 et 1992 le métier semble stabilisé. Cependant une interrogation demeure (p. 171). En premier lieu parce que l’on s’étonne qu’il ait fallu attendre la retraite des derniers surveillants généraux pour obtenir « ce qui avait été envisagé un demi siècle plus tôt » (p.177) ; En deuxième lieu, parce que l’on s’aperçoit, malgré les verrous statutaires que la fonction du CPE reste labile, cernée par des attentes de médiation (p. 178) et sommée répondre aux « rendez-vous de la modernité » (p.179).

Cette remarque souligne une des difficultés de la focale statutaire qui ne peut pas, à elle seule, expliquer l’évolution des pratiques. Cette approche implique d’économiser l’analyse des concepts mis en jeu dans l’effacement du surveillant général, notamment les notions de « conseil », d’« éducation nouvelle », de « méthodes actives », de « parité », d’« équipe éducative » et ainsi, prend le risque d’une lecture manichéenne, enchantée et finaliste de l’histoire du conseiller principal d’éducation. Néanmoins, cet important matériau peut contribuer à éclairer une identité professionnelle qui ne se décrète pas, ni ne s’enferme dans un statut, mais répond à des exigences immanentes pouvant bouleverser l’ordre  des choses comme ce fut le cas en 1945. Cela fonde l’espoir formulé à la fin de l’ouvrage : la vie scolaire témoignant « de potentialités considérables pour développer le vivre ensemble dans une société de coopération, de solidarité et d’ouverture sur le monde » (p.192).

Christian Vitali