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Conférence de consensus sur la différenciation pédagogique : impressions d’une participante

Lorsque j’ai appris l’organisation de ce qui était pour moi au départ un colloque, cela m’a tout de suite interpellée, avec les deux volets du sujet : la différenciation et la réussite de tous les élèves.

Pourquoi ? D’abord avec la réforme du collège a été mis en place l’AP (accompagnement personnalisé), qui apparaissait comme une nouveauté, aux contours parfois flous. En réalité, c’était plus une reconnaissance d’une pratique antérieure pour un grand nombre d’entre nous.

C’était aussi une occasion de me former davantage sur la différenciation. J’avais réalisé des expérimentations dans mes cours (mais avec des résultats variables et des hésitations) lu des articles, mais j’avais besoin à la fois d’un regard plus englobant et en même temps d’exemples d’applications concrètes. Et enfin, faire réussir tous les élèves est notre objectif à tous en tant qu’enseignants : mais nous avons été pour la plupart de bons élèves, sans vraiment savoir comment on y parvenait… pas simple alors d’envisager les chemins permettant à tous d’atteindre le même but.

La différenciation, c’est quoi ?

Il n’est pas simple de s’entendre sur une définition de LA différenciation, d’ailleurs beaucoup d’intervenants préfèrent parler de différenciationS. Pour Alexia Forget, c’est « un cadre souple où les apprentissages sont suffisamment explicités et diversifiés pour que les élèves puissent travailler selon leurs propres itinéraires d’appropriation, tout en restant dans une démarche collective d’enseignement des savoirs et savoirs faires communs ». En somme, différencier, c’est permettre à chaque élève au sein d’un groupe, par son propre chemin, d’atteindre une compétence.

La différenciation, n’est pas « un kit prêt à l’emploi », comme le rappelle Nathalie Mons. « Les apprentissages et les élèves sont multiples », et on peut aussi inclure la diversité des enseignants (personnalité, parcours, formation…).

La différenciation, une palette d’outils

La liste ci-dessous n’est qu’un court résumé de tout ce qui a été présenté lors de riches interventions. J’ai recensé quelques possibilités que je pensais pouvoir mettre en œuvre dans ma pratique : cette liste est donc subjective et non exhaustive, j’espère ne pas avoir trahi la pensée des auteurs.

D’abord, la différenciation peut se pratiquer à différents moments de l’apprentissage. Avant un nouvel apprentissage, tester les pré-requis et réactiver les connaissances, pour s’assurer que tous les élèves ont le même point de départ. Ensuite, soutenir l’apprentissage par différents dispositifs (tutorat entre élèves, plan de travail, table d’appui avec mise à disposition de ressources pour aider les élèves). Après l’apprentissage, vérifier les acquisitions, par exemple entre pairs.

La différenciation se pratique d’abord en classe, pas en allongeant à tout prix la journée de l’élève.

L’enseignement explicite bien compris consiste à rendre visible à l’élève, tout ce qui ne va pas forcément de soi, en particulier clarifier les consignes, en les inscrivant dans le cadre scolaire. L’enseignant doit anticiper, dans sa préparation, les difficultés possibles et les ressources qu’il peut prodiguer.

L’enseignant peut aussi travailler en co-enseignement, avec certaines conditions à respecter pour un bon fonctionnement, comme l’explique Philippe Tremblay : un réel partage de la responsabilité de la tâche, des objectifs communs, un engagement de chacun… et bien entendu, une compatibilité minimale des caractères !

L’évaluation formative permet de rendre l’élève acteur de ses apprentissages et de sa progression : il revient sur ses apprentissages (métacognition) ou au contraire, dans une démarche prospective, réfléchit aux compétences et moyens utiles pour réussir. L’élève a le droit de recommencer, dans l’évaluation par compétences. Sophie Romero-Pinazo évoque dans le cadre de ce type d’évaluation, la pratique de l’auto-régulation : une boucle de rétro-action effectuée par l’enfant sur ses apprentissages (retour positif sur l’erreur, ajustement des stratégies d’apprentissage, dire et faire dire les choses aux enfants), avec l’appui de l’enseignant.

La classe inversée, selon ses différentes modalités, peut permettre la différenciation. Le modèle 1 (leçons à la maison, devoirs en classe) est parfois remis en cause (augmentation de la charge de travail à la maison, problème d’accès aux ressources). Le modèle 2 – faire des recherches présentées ensuite aux autres- permet aux élèves de mieux s’approprier connaissances et compétences. La motivation des élèves augmente et « on comprend également mieux ce que l’on enseigne» (Marcel Lebrun).

Le numérique est un outil au service de la différenciation, à condition de ne pas multiplier les liens, les supports (vidéo, image, texte…) et les présentations (police, surlignage, couleurs…), au risque d’une surcharge cognitive (Franck Amadieu). Il faut guider l’élève : sélection des informations, indiquer les objectifs…

Le travail de groupe permet d’améliorer la qualité d’apprentissage, si on respecte certaines règles que rappelle Céline Buchs : structurer les interactions entre les élèves (pour éviter que seuls les plus « populaires » ou les plus à l’aise osent prendre la parole), préparer la tâche de telle manière que la participation de tous soit nécessaire pour l’accomplir (les élèves sont ainsi responsables de l’effort des autres), être à l’écoute des groupes et de leurs échanges (pour entendre les hésitations ou mauvaises compréhensions).

S’interroger quant à la (sur)charge cognitive permet aussi d’améliorer les apprentissages, à savoir les informations liées à cette tâche mais aussi les informations « parasites » liées au support. On peut donc alléger ces quantités d’informations inutiles (informations elles-mêmes, polices différentes…) pour se concentrer sur l’essentiel : André Tricot donne l’exemple d’une double page de manuel avec 27 codes différents (police, soulignement, couleurs, mise en page…). On peut proposer à l’élève une consigne plus large : plutôt que le calcul d’angles précis d’une figure, demander de calculer autant d’angles que possibles. On peut aussi travailler sur la présentation de l’information : enlever toute information inutile, rapprocher les éléments utiles dans la mise en page, amener les informations progressivement, faire des pauses sur les éléments plus importants… En somme, on hiérarchise l’information, pour concentrer l’attention de l’élève sur l’apprentissage.

La différenciation… quelques idées reçues

Pour certains, la différenciation résiderait dans une logique de séparation – la différenciation structurelle – : filières spécifiques, redoublement, classes de niveau… Dominique Lafontaine, en se fondant sur la recherche, montre que ce type de différenciation augmente les écarts entre les élèves. En revanche, l’organisation de groupe de besoins à l’intérieur d’une classe hétérogène est beaucoup plus bénéfique.

Un point important pour moi, est la posture (plutôt les postures) de l’enseignant. En effet, voulant bien faire, il multiplie parfois les aides, conduisant à une sorte d’assistanat de l’élève et ne lui permettant pas de progresser de manière autonome, en commençant d’abord par savoir demander les outils nécessaires à son avancée dans les apprentissages. A l’inverse, diversifier les outils sans être présent pour ajuster ou vérifier les progressions peut conduire aussi à une différenciation passive. Il faut donc travailler sur ce positionnement permettant l’autonomie accompagnée des élèves, le « co-ajustement » présenté par Dominique Bucheton. Il faut offrir un espace sécurisé aux élèves, tout en laissant la place pour leur activité et leur réflexion (leur laisser le temps avec des écrits intermédiaires, des consignes progressives…).

Différencier ce n’est pas baisser les niveaux d’exigences, ce n’est pas proposer un contenu « basique » ou des tâches répétitives à des élèves en difficulté, en le justifiant par leurs difficultés. Ce serait accroître l’écart avec les élèves plus à l’aise et surtout enfermer les élèves dans des démarches limitées.

Enfin différencier, c’est aussi dépasser l’idée reçue selon laquelle « un élève n’aurait pas les bases », donc on ne serait plus en mesure de pouvoir l’aider, une sorte de fatalisme. Pour Bernard Rey, parfois cela peut venir d’une mauvaise interprétation de la tâche. L’interprétation scolaire d’une tâche, ne va pas forcément de soi pour un élève.

Et maintenant…

Ce compte-rendu n’est qu’un aperçu d’un colloque qui a été riche à bien des égards. D’abord, parce qu’il permet de réaffirmer l’enjeu de la différenciation : permettre à tous les élèves de réussir et c’est bien notre tâche quotidienne d’enseignant. L’argumentaire engagé de Dominique Bucheton résonne en moi : le système français affirme l’égalité des chances, le droit de tous les enfants d’aller à l’école et… il reproduit les inégalités, en contradiction avec nos fondements et valeurs ! La responsabilité est collective et pas seulement enseignante, mais chacun doit y prendre part.

A plusieurs moments, il a été réaffirmé la nécessité de formation des enseignants à ces pratiques essentielles de différenciation. Les différents chercheurs, ne se sont pas placés en position injonctive, mais au contraire ont montré leur volonté d’être à l’écoute du terrain et de travailler avec ses acteurs et ils ont aussi su montrer les limites de certaines pratiques.

Enfin, je suis sortie de ce colloque, en imaginant toutes les possibilités et tous les enrichissements possibles, de rendez-vous réguliers entre chercheurs et enseignants, comme c’est déjà le cas pour les colloques disciplinaires de St Dié ou de Blois. C’est le vœu me semble-t-il formulé par la présidente du Jury, Marie Toullec-Théry : « On y croit fort : la recherche en éducation, sans le terrain, c’est rien, mais le terrain a aussi une opportunité : construire et capitaliser des connaissances. »

Anne-Sophie Martinez

Le « jury » vient après délibération de rendre ses conclusions et « recommandations »
voir [www.cnesco.fr/fr/differenciation-pedagogique/recommandations/
Un exemple de recommandation :
« La différenciation pédagogique peut passer par une réorganisation de la classe. Les dispositifs proposés aux élèves doivent être variés et souples. Ils doivent favoriser les interactions entre l’enseignant et ses élèves d’une part, et entre les élèves d’autre part. Ils peuvent aussi s’appuyer sur la présence de deux enseignants intervenant ensemble ou séparément dans la même classe. »
Des vidéos permettent d’ailleurs de visionner les conférences : https ://www.cnesco.fr/fr/differenciation-pedagogique-inscrivez-vous-a-la-conference-de-consensus/