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« Compter sur et compter pour »

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Une bonne surprise aux résultats de cette enquête ?
C’est la connaissance des droits. 89 % des enquêtés déclarent savoir qu’ils ont des droits spécifiques en tant qu’enfants. C’est un chiffre qui s’améliore d’année en année. Nous aimerions y voir, bien entendu, le côté positif de tout le plaidoyer qui peut être mis en œuvre par notre association mais aussi par beaucoup d’autres qui œuvrent en permanence pour faire connaitre les droits de l’enfant

Voyez-vous une source d’inquiétude ?
Cette étude est nouvelle et sa méthodologie très innovante. Il est donc difficile, pour nous, de faire une comparaison par rapport à un état des lieux précédent qui n’aurait pas été mesuré de la même façon. Par contre, dans cette photographie d’aujourd’hui nous avons été profondément marqués par la souffrance à l’école, l’angoisse de ne pas réussir : 45 % des jeunes de 6-18 ans qui ont répondu à l’enquête se disent angoissés de ne pas réussir à l’école. Et la pression commence dès 6 ans. Et cette angoisse passe à 60 % pour les enfants et les adolescents en situation de privation. L’enjeu de réussite est donc encore plus fort chez ces enfants en difficulté sociale. Ils ont conscience d’avoir besoin de réussir pour ne pas rester dans la situation qu’ils vivent à l’heure actuelle. Autre constat frappant : l’apparition du harcèlement sur les réseaux sociaux avec ses conséquences. 12,5 % se disent avoir été harcelés ou agressés sur internet et ce phénomène récent, qui touche à l’intime, à l’image de soi, pousse l’enfant à des idées suicidaires voire à des tentatives de suicide.

Un pourcentage important d’enfants disent avoir peur des adultes à l’école, c’est inquiétant, non ?
24 % effectivement se sentent en insécurité par rapport à l’adulte à l’école (18,9 % pour les 15 ans et plus). Dans le cadre des ateliers que nous avons pu mener pour réaliser cette enquête, j’ai fait le constat direct auprès de groupes de collégiens que cette peur était très saillante. Le rapport entre enfants et adultes en milieu scolaire semble difficile notamment dans le non-respect ressenti par les jeunes, la non-reconnaissance de l’effort, voire même, aux dires des jeunes, le mépris. C’est ressorti à plusieurs reprises dans les entretiens avec les jeunes. La peur de l’adulte se situe dans cette sphère du jugement trop hâtif : « on se bat pour y arriver, on gagne un demi-point et le prof nous balance notre feuille à la figure en nous reprochant de ne pas avoir assez travaillé ». Et cela ne concerne pas seulement les notes. Certains jeunes ont le sentiment de ne pas être écoutés, reconnus dans l’établissement, d’être considérés comme des « moins que rien ». Lorsqu’il y a cumul, en raison de difficulté sociale, ce manque de reconnaissance est d’autant plus vivement ressenti et devient source de stigmatisation avec les conséquences néfastes que cela peut avoir.

Le manque de reconnaissance concerne aussi les relations familiales puisque près de 17 % de jeunes disent ne pas se sentir suffisamment valorisés par leurs pères.
Oui certains jeunes cumulent malheureusement les manques de reconnaissance dans toutes les sphères quotidiennes au sein desquelles ils évoluent. Quand on examine les facteurs aggravants les conduites addictives et les idées ou tentatives de suicide, on se rend compte que c’est bien le cumul de ces manques qui pousse l’enfant dans des situations extrêmes.

Nous pouvons donc être inquiets des difficultés intra-familiales que vivent certains et du manque de valorisation ressenti du côté du père. 23 % des 15 ans et plus se disent non valorisés par leur père : ce qui est énorme. Dans les familles mono-parentales ou en situation de privation, ces pourcentages explosent encore plus : 29,7 % et 31,8 %.

On est loin, ici, du mythe de l’enfant roi ?
Bien sûr. Et derrière ce ressenti on trouve le manque de reconnaissance et de protection auxquels l’enfant a droit pour grandir en « comptant pour » et « comptant sur » tel que l’exprime Serge Paugam. Il y a un vrai manque pour ces enfants des deux côtés : manque de protection parce qu’ils estiment ne pas pouvoir compter sur leur père ou leur mère – voire les deux – et manque de valorisation. Ceci peut entraîner des relations tendues mais surtout des souffrances. Si pour une majorité d’enfants tout va bien, un nombre non négligeable ne vit pas cette situation de bienêtre et cumule toutes les inégalités, engendrant un sentiment de dévalorisation d’eux-mêmes dont les conséquences peuvent être dramatiques.

Et l’école dans tout ça : quels messages lui adresser ? Avec les spécialistes qui vous ont accompagnés – Serge Paugam et Catherine Dolto – avez-vous entrevu des directions qui conduiraient à des améliorations ?
Catherine Dolto est rassurante : elle insiste sur le fait que l’enfant évolue dans un ensemble de liens qu’il constitue autour de lui : sa famille, l’école, le quartier… Ce qui est rassurant c’est que, pour elle, chaque lien compte et ils vont pouvoir se compenser les uns les autres. Un enfant qui est dans une situation extrêmement difficile à la maison va pouvoir compter sur le lien avec ses amis, dans son quartier, avec sa collectivité ou à l’école pour pouvoir se construire et avancer tout de même. De la même façon, s’il ne se sent pas bien dans son école il pourra compenser à la maison. Ce qui permet d’entrevoir qu’on a des leviers possibles d’action. Si l’école doit être un levier possible d’action ce sera par davantage de dialogue et par une attitude de « la main tendue ». Considérer l’enfant non pas comme une élève qui a eu 15 mais comme une jeune qui s’appelle Marina, qui a un sac à dos sur le dos mais aussi tous ses problèmes à la maison ou dans son quartier. Ne pas lui dire « tes problèmes tu les laisses à la maison, ce qui nous intéresse ici c’est ton résultat ». C’est un des messages que nous allons passer un peu partout : auprès d’un animateur de maison de quartier comme auprès d’un enseignant. Avoir la vigilance de considérer que l’enfant évolue avec des liens divers : comment chaque éducateur qui intervient au milieu de ces différents liens peut s’interroger sur ce qu’il peut faire pour mieux l’accompagner. Cette écoute, cette vigilance nous semblent essentielles aujourd’hui. Parfois, il suffit d’un petit mot de reconnaissance du travail bien accompli, ça ne coûte rien et ça change tout. Et c’est positif et structurant pour l’adolescent qui traverse une période de bouleversement hormonal, physique, identitaire.

Pouvoir compter sur, faire l’expérience qu’il compte pour, voilà qui est essentiel pour la construction de chacun. On se rend compte de l’importance de la qualité du lien qui doit s’établir entre le jeune et l’adulte. Un lien multi-facettes qui ne passe pas que par la valorisation du travail mais aussi par la valorisation de l’humain. Cela ressort énormément de ce que nous ont confié ces adolescents tout au long de cette étude. Si on a cette vigilance, on peut plus facilement détecter des situations d’alerte et se donner les moyens de réagir.

Propos recueillis par Nicole Priou