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Comment repérer des compétences clés ?

Par définition, les apprentissages fondamentaux constituent les fondements des autres apprentissages et leur maitrise apparait, de fait, une condition indispensable au bon déroulement des parcours des élèves. Si le socle commun identifie bien clairement les compétences et les connaissances à acquérir au terme de la scolarité obligatoire, il peut être instructif d’adopter une perspective plus dynamique en s’intéressant à deux aspects complémentaires des apprentissages des élèves. Le premier concerne l’articulation entre les acquisitions que les élèves réalisent dans plusieurs domaines à un moment donné de la scolarité. Le second concerne la manière dont ces apprentissages évoluent dans le temps. Ces deux aspects renvoient à une question importante pour la politique éducative, tant au niveau de la définition des programmes, qu’au niveau de leurs modalités concrètes d’application dans les classes : comment se structurent les apprentissages ?
Des travaux récents, basés en partie sur l’exploitation des résultats aux évaluations nationales, apportent un début de réponse à cette question en ce qui concerne l’école primaire[[Morlaix S., Suchaut B. (2007). Évolution et structure des compétences des élèves à l’école élémentaire et au collège : une analyse empirique des évaluations nationales. Cahiers de l’Irédu, N° 68, mai 2007, 259 p.]]. Une première étape de la démarche a consisté à établir une cartographie des compétences mobilisées par les élèves à différents moments de la scolarité (début CP, début CE2 et à l’entrée en sixième). Les compétences ont été identifiées de manière statistique en examinant les liens existant entre la réussite ou l’échec dans les différents items des épreuves, indépendamment des disciplines ou des domaines d’acquisitions. Cette démarche a tout d’abord permis de dresser un double constat qui, même s’il peut paraitre banal, a des implications pédagogiques non négligeables en termes de prise en compte des rythmes d’apprentissage et de traitement de la difficulté scolaire.

Le rôle essentiel du calcul mental et des capacités attentionnelles

En premier lieu, les apprentissages des élèves se regroupent en bloc des compétences dont le nombre s’accroit considérablement au cours de la scolarité élémentaire. Si à la fin de l’école maternelle, une douzaine de dimensions sont identifiées, c’est plus de soixante compétences qui sont répertoriées à l’entrée au cycle II et plus du double au terme du cycle III. En second lieu, au fur et à mesure du déroulement de la scolarité, les compétences des élèves apparaissent de plus en plus liées entre elles. Ainsi, à l’entrée à l’école élémentaire, un élève peut très bien présenter de faibles résultats dans un domaine particulier des apprentissages sans pour autant échouer dans un autre domaine ; ce n’est plus le cas à la fin de l’école élémentaire où les compétences semblent être beaucoup dépendantes les unes des autres. Cela justifie donc les interventions précoces et ciblées dans la prise en charge de la difficulté scolaire.
Cette recherche a également permis d’identifier des compétences qui peuvent être considérées comme étant au centre des apprentissages, les performances à ces compétences suffisant à expliquer les différences d’acquisitions globales entre les élèves (score global aux évaluations nationales). À l’entrée au cycle III, deux ensembles se détachent particulièrement, il s’agit du calcul mental et des capacités attentionnelles. On relèvera que ces deux groupes de compétences sont associés à des processus qui interviennent de façon transversale dans de nombreuses situations d’apprentissage. Des analyses complémentaires ont permis de mettre en évidence une structure hiérarchisée des compétences à l’entrée du cycle III, ce qui montre bien que certaines compétences ne peuvent être acquises quand les élèves n’en maitrisent pas certaines autres. Ainsi, la technique opératoire de la soustraction est la compétence qui figure au sommet de cette hiérarchie et elle ne peut être maitrisée sans l’acquisition d’autres compétences relevant parfois de domaines divers, comme la technique de l’addition ou les habiletés en calcul mental. On notera que la base des acquisitions concerne les capacités attentionnelles des élèves. Ces résultats peuvent être très utiles sur le plan pédagogique, à la fois pour la planification des activités scolaires dans le temps et pour la prise en compte des différences interindividuelles dans les rythmes d’apprentissage entre les élèves.
L’examen des relations entre les ensembles de compétences de CE2 et de sixième met en évidence une forte relation entre les compétences en calcul mental évaluées au CE2 et celles de calcul et de numération mesurées à l’entrée en sixième. De la même manière, les compétences en compréhension en fin de cycle 3 dépendent des capacités attentionnelles évaluées à l’entrée en CE2. L’information la plus importante pour saisir le processus d’évolution des acquisitions des élèves est la place centrale occupée par les habiletés en calcul. En effet, les compétences des élèves à l’entrée en sixième se rapportant à ce domaine sont fortement déterminées par les compétences en calcul mental évaluées trois années auparavant. En outre, ces habiletés numériques entretiennent de forts liens avec les performances dans le domaine de la compréhension à la fin du cycle III. Ceci est fondamental dans la mesure où ces compétences en compréhension se révèlent être les dimensions les plus prédictives du niveau global des élèves à l’entrée en sixième. L’accès au collège se fera d’autant mieux que les élèves auront développé, et ceci dès la fin du cycle II, leurs habiletés en calcul en général et plus particulièrement en calcul mental.

Développer la mémoire de travail

La notion d’apprentissages fondamentaux peut aussi s’aborder en étudiant l’implication de mécanismes cognitifs dans les acquisitions scolaires. Une recherche récente[[Barrouillet P., Camos V., Morlaix S., Suchaut B. (2008). Compétences scolaires, capacités cognitives et origine sociale : quels liens à l’école élémentaire ? Revue Française de Pédagogie. N° 162 pp. 5-14.]], effectuée dans le prolongement de la précédente, met en évidence le lien entre les capacités cognitives des élèves, principalement la mémoire de travail, avec leur aptitude à progresser dans leurs acquisitions au cours de l’école élémentaire. Les dimensions des acquis scolaires les plus liées à la mémoire de travail sont les habiletés en calcul mental, repérées auparavant comme étant essentielles. Cette proximité entre calcul mental et mémoire de travail n’est pas surprenante, car les activités scolaires de cette nature font « naturellement » appel à cet aspect des capacités cognitives. Les analyses mettent aussi l’accent sur le lien entre l’origine sociale des élèves, leurs capacités cognitives et leurs progressions scolaires. En terme d’équité, il pourrait être utile d’identifier des activités qui permettraient de limiter l’influence de ces deux variables sur les écarts de progressions entre élèves. Pour cela, c’est à la fois sur le contenu de ces activités et leur modalité d’organisation concrète qu’il faut se pencher. À l’école élémentaire, des activités mobilisant les habiletés en calcul mental sont donc les premières concernées et leur pratique systématique pourrait permettre de réduire le cout cognitif des activités d’apprentissage en automatisant certains processus. Compte tenu du caractère fortement prédictif de certaines compétences, on peut penser que l’on doit agir dès la scolarité maternelle pour mettre en place ces activités systématiques permettant de mieux préparer la suite de leur scolarité. Il a été ainsi montré[[Suchaut B. (2009). L’école maternelle : Quels effets sur la scolarité des élèves ?. In Passerieux Christine (dir.). La maternelle : première école, premiers apprentissages. Lyon : Chronique Sociale, p. 17–27.]] que certaines dimensions des apprentissages à l’école maternelle, comme les concepts liés au temps (et plus généralement les capacités de raisonnement) et les compétences numériques pouvaient être prédictives des résultats des élèves en fin d’école primaire. On peut donc s’interroger sur les conditions pédagogiques et didactiques qui ont permis aux élèves, avant l’école élémentaire, de développer des compétences dans ces deux domaines essentiels.

Bruno Suchaut, Irédu-CNRS et Université de Bourgogne.