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Comment l’esprit de l’éducation nouvelle se transmet-il ?

La jeune génération des enseignants et acteurs de l’école vit dans un monde d’échanges multiples, de circulation constante des idées et pratiques. On peut s’en réjouir, parce qu’il y a là une grande richesse potentielle d’auto et co-formation. Mais il est important d’aider les nouvelles générations à faire le tri dans les milliers d’outils ainsi partagés. Car les méthodes, outils, dispositifs utilisés ne sont pas tous équivalents : ils sont sous-tendus par des façons de voir les élèves et les apprentissages.

Faire partager une histoire et des valeurs

L’éducation nouvelle énonce et propose des valeurs, et en particulier celle qui donne comme mission essentielle aux acteurs de l’école la lutte contre les inégalités et les discriminations de toute nature « L’objectif général de l’Éducation Nouvelle est de contribuer à la formation d’adultes autonomes, capables de se prendre en charge, confiants en leurs capacités, manifestant une indépendance d’esprit et de jugement, curieux et désireux de continuer à acquérir de nouvelles connaissances, sachant toujours avoir des enthousiasmes et des désirs, maîtrisant les outils de la réflexion et de l’analyse, acteurs de la vie sociale, et agissant positivement à l’égard des autres »[[Extraits de la Charte pédagogique de l’école nouvelle d’Antony, votée par son assemblée générale  en 1991.]].
L’éducation nouvelle se distingue de l’éducation traditionnelle prioritairement autour de quelques points emblématiques : les finalités de l’éducation, les conceptions de l’enfant, de l’école, du maître, la discipline, les démarches pédagogiques à promouvoir. Mais c’est aussi un mouvement profond articulé au mouvement des idées et de la société : « La pédagogie moderne, telle qu’elle se développe de Peztalozzi à Piaget, repose sur ce qu’on peut appeler un  » renversement copernicien  » dans la définition des tâches de l’école : au lieu de partir des exigences abstraites ou externes de la société ou de l’école pour définir l’enseignement que l’on doit donner aux individus, on part des « besoins » de ces derniers pour créer un milieu éducatif où ils pourront réussir les  » apprentissages » nécessaires à leur  » développement  » »[[Philippe Raynaud et Paul Thibaud, La fin de l’école républicaine, Paris, Calmann-Levy, 1990.]].


Le cadre d’un engagement pédagogique

Les humbles choix quotidiens des pratiques dans les classes – supports d’apprentissage, démarches et outils, modes de régulation et d’évaluation – disent quelque chose de ces valeurs. Pourquoi promouvoir obstinément le choix du travail de groupe par exemple ou des projets interdisciplinaires bien pensés, si ce n’est parce que nous faisons le choix de la coopération plutôt que de la compétition, de l’ouverture d’esprit et de la créativité plutôt que du formatage précoce ?

Ces façons de faire, cet esprit de recherche, cette mise au centre de l’élève, où la trouve-t-on dans la formation des enseignants actuellement ? Elle est laissée aux aléas des maquettes des ESPé où la formation du « praticien réflexif », seul et en équipe, va être inexistante ou importante selon les lieux et les personnes. Pendant ce temps, dans la société, les débats se durcissent, et chaque alerte sur la gravité des problèmes de l’école ne sert qu’à déclencher une nouvelle guerre, un nouvelle salve d’anathèmes.

Changer l’école pour changer la société

Notre façon de garder et transmettre la flamme, c’est d’être- là où nous sommes et dans nos publications et prises de positions – les personnes et associations qui continuent à dire que non, les choix éducatifs ne sont pas d’abord une question de goût ou tempérament de l’éducateur, mais sont dictés par les effets que nous souhaitons produire collectivement sur les jeunes qui nous sont confiés. Si, comme l’écrivait déjà Durkheim en 1922 « Presque tous les grand pédagogues, Rabelais, Montaigne, Rousseau, Pestalozzi, sont des esprits révolutionnaires, insurgés contre les usages de leurs contemporains « [[« Nature et méthode de la pédagogie », in Éducation et sociologie, Alcan 1922, réed. PUF 1968.]] quels sont aujourd’hui encore les usages contemporains qui valent que nous restions des « insurgés » ? Le renforcement des inégalités, les souffrances à l’école d’un certain nombre d’élèves marginalisés ou à l’extrême inverse d’un certain nombre d’autres broyés par des filières élitistes devraient nous convaincre que l’héritage de l’éducation nouvelle a encore toute sa place pour inspirer nos pratiques. Une place qui ne peut faire l’économie d’interroger tout éducateur sur deux questions centrales : de quels adultes voulons-nous demain ? à quelle société préparons-nous nos enfants et petits enfants ?

Quelle place est faite à ces questions dans nos établissements, dans nos mouvements, dans nos lieux de formation ?