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Comment évaluer sans leurrer ?

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Le principe louable d’apporter des aides aux élèves qui peinent dans leurs apprentissages et d’éviter l’ennui à ceux qui sont en avance en leur donnant des travaux complémentaires à bonus n’est pas sans poser problème. Aux moments de la scolarité où les enjeux de validation, de certification, d’orientation sont forts, faire travailler à des niveaux différents, avec des formes d’approches variées, n’est-ce pas leurrer le jeune sur son niveau réel ? N’y aurait-il pas une perte de lisibilité sur l’écart par rapport à la norme attendue ?

Je propose ci-dessous certaines formes d’évaluation en pédagogie différenciée. Mais le propre de la pédagogie est sa malléabilité à la créativité. Alors place à l’imagination !

Je voudrais souligner également la nécessité d’expliquer ce qui est en jeu avec les dispositifs particuliers mis en place : expliquer aux élèves bien sûr, aux familles et parfois aux autres collègues qu’il y a des aides, des contrats dont le but est de permettre à chacun de réussir au mieux de ses facultés, à tous d’être dans une dynamique d’effort et de progrès.

Une évaluation progressive

L’enseignant propose une série d’exercices. On peut évaluer les élèves sur la quantité de travail réussie : ils essaient de faire le plus d’exercices possible et sont évalués sur ce facteur de rapidité. On peut également jouer sur la qualité, en proposant des exercices de plus en plus complexes. Il peut être précisé à l’élève la nature de la complexité, en indiquant si le travail demandé relève de la mémorisation, de l’application ou du réinvestissement des acquis. Les élèves sont évalués sur l’ensemble des exercices, quel que soit le stade où ils en sont arrivés.

Par exemple, en mathématiques, ceux qui ont réussi cinq exercices sur les dix donnés ont 50 % de réussite (et si vous tenez aux notes, ils obtiennent 10/20), ceux qui ont réussi sept exercices ont deux tiers de réussite (ou 14/20) et ceux qui ont réussi les dix exercices ont 100 % de réussite.

Du côté de l’enseignant, la mise en œuvre et la correction sont facilitées par la proposition d’une seule série d’exercices pour toute la classe. Du côté des élèves, il n’y a pas stigmatisation de ceux qui sont en difficulté ; ils peuvent tenter l’ensemble des exercices s’ils le sentent possible. Le défi peut susciter de la motivation.

À l’inverse, l’élève en grande difficulté ou peu sûr de lui peut se sentir dépassé par l’ampleur de la tâche. De même, un élève lent ne pourra réussir, même s’il en a la faculté. Prévoir une activité supplémentaire (avec bonus ou pas) sera profitable aux élèves qui auront terminé rapidement l’ensemble des exercices : travaux personnels, activités au service de la classe ou tutorat entre élèves.

Avec des aides

Toute la classe travaille à une même tâche, mais des aides sont mises à disposition pour ceux qui le souhaitent. Cependant, ces aides ont un cout.
Par exemple, en latin, pour la traduction d’un texte, une aide comme l’accès à un dictionnaire ou à une fiche de grammaire peuvent couter deux ou trois points sur le résultat final.

L’enseignant doit prévoir le type d’aides à mettre à disposition et les règles de la distribution de ces aides pour éviter une gestion qui pourrait être trop lourde au moment du cours. Il faut parfois inciter les élèves à prendre ces aides, en leur expliquant l’intérêt qu’ils ont à le faire. Cette formule leur offre un parcours de réussite dynamique qui leur donne la possibilité d’aller plus loin qu’ils ne l’auraient fait dans la situation classique. Chaque élève a sa part d’autodétermination : il décide lui-même s’il va demander ou non une aide.

Le cout de l’aide est en deçà du gain fourni par la réussite à la tâche. Ce cout signifie que l’aide n’est pas une béquille gratuite dont on pourrait se contenter à long terme, mais une aide temporaire qui permet de réussir à sa mesure. Cependant, si l’élève demande trop rapidement une aide, on peut penser que c’est une solution de facilité qui évite sa réflexion. L’enseignant peut alors différer la remise de l’aide.

Le risque de tricheries par des « récupérateurs » d’aides auprès de camarades est à prévoir dans l’organisation de l’enseignant. Par exemple, ceux qui viennent prendre une aide restent, le temps de s’en saisir, dans un espace géographique de la classe dédié à cet effet.

Avec des exercices différenciés

  • Sous forme prédéterminée

L’enseignant a prévu des niveaux différents avec une notation correspondante dans l’apprentissage.

Par exemple, le niveau 1 sera noté sur 20, le niveau 2 sera noté au maximum sur 16 et le niveau 3 noté au maximum sur 12.

L’enseignant ne peut déterminer les niveaux que s’il a réalisé, au préalable, des évaluations diagnostiques. Les élèves faibles sont encouragés à prendre des questions à leur niveau, mais ils peuvent se sentir enfermés dans ce niveau. Certains contestent le niveau de travail qui leur est proposé. L’expérience montre que ce sont le plus souvent les bons élèves. Ils se contenteraient volontiers d’un contrat de niveau 2 à 16/20. Or, la pédagogie différenciée demande à tous de fournir des efforts. Ainsi combat-on l’ennui et prépare-t-on à la ténacité pour de futures études longues.

  • Sous forme contractuelle

L’élève choisit lui-même son contrat. Il peut en changer pendant le travail, mais avec une petite pénalité. S’il y a trois fois réussite ou échec de son contrat, l’élève change de contrat. L’élève peut suivre ses progrès en visualisant ses évolutions sur un schéma.
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L’autodétermination des élèves est très grande, elle favorise donc la motivation. La prise de risque est stimulée. Elle permet de bien positionner leur niveau par rapport au travail demandé. Des élèves peuvent se tromper de contrat ; cela est occasion de dialogue avec les jeunes : « Tu as fini avant tout le monde, tu ne crois pas que tu as tes chances en essayant le contrat plus difficile ? » ou bien « Tu as du mal à faire ce travail, tu peux essayer le contrat plus facile. Cela te donnera davantage de chances de réussir ».

L’élève consigne ses résultats au fur et à mesure des acquisitions d’apprentissages avec la symbolisation qui lui convient. Ce tableau lui indique directement ce qui doit être remis en apprentissage sans se contenter de la moyenne. Il n’est pas important d’avoir 10/20, mais de pouvoir être dans l’acquis du « je maitrise ». Le contrat de remédiation sera établi entre l’enseignant et l’élève en fonction de ce tableau.
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Évaluation bis

Il s’agit de proposer une remédiation aux élèves qui ont échoué à une première évaluation, puis de la faire suivre d’un nouvel essai avec la même évaluation.

La première évaluation donne des renseignements à l’enseignant et à l’élève pour repérer les types d’erreurs et organiser des activités de remédiation.

L’évaluation bis respecte le rythme de ceux qui ont besoin de plus de temps pour apprendre. Elle prévoit les moyens adaptés aux différents profils de ceux qui ont échoué, pour aboutir à leur réussite.

Véronique Flipo
Professeure de biotechnologies en lycée à Pontoise, formatrice dans l’académie de Versailles