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Comment aider les élèves à surmonter des difficultés orthographiques

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Pour évoquer les moyens de résoudre les difficultés orthographiques des élèves, je prendrai l’exemple de deux élèves de CE1, scolarisées dans la même classe de CP-CE1 :
– la première, appelons-la ici Marie, est une élève en difficulté depuis le début du CP ; après une scolarité sans problème particulier en maternelle, elle a eu du mal dès le début de la classe de CP ; c’est de ce type d’élève qu’il est dit souvent « elle n’a pas réussi à entrer dans les apprentissages au CP ». Des difficultés qui s’accumulent pendant le CP, une décision de maintien au CP en fin d’année, un deuxième CP lui permettant de correctement déchiffrer, mais la lecture était restée lente et laborieuse. À l’écrit, Marie connaissait de lourdes difficultés pour encoder les mots, et les accords étaient faits apparemment sans logique.
– La deuxième, appelons-la ici Claire, n’a fait que quelques semaines de CP dans cette même classe de CP-CE1 avant que la maitresse[[Suivant les recommandations du Conseil Supérieur de la langue française en 1990, et, depuis juin 2008, la préconisation des programmes, j’applique dans ce compte rendu les « rectifications de l’orthographe » et, notamment, écris « maitresse » plutôt que « maîtresse ». ]] décide, au vu de son excellent niveau en lecture (à peu près égal à celui d’un élève de début de CE2) de l’intégrer dans le niveau du CE1. Si la lecture était excellente pour le déchiffrage de tous les graphèmes complexes, pour la reconnaissance des mots, pour la capacité à lire à voix haute de façon expressive et pour la compréhension, l’encodage des mots était seulement chez cet élève d’un niveau de début de CP. Paradoxalement, Claire ne réussissait pas à encoder certains graphèmes qu’elle savait lire parfaitement et, surtout, elle produisait en écriture de très nombreuses erreurs sur les lettres muettes des mots, finales ou non (les chien, un cha…), sur les doubles consonnes (appeler ou apeler ?) et sur le choix des graphèmes (manger ou menger ?).
Comme on le voit, ces deux élèves pouvaient être dites « en difficulté » avec l’écrit pendant leur année de CE1, pour des raisons très différentes et avec des réussites en dehors de ce domaine très différentes l’une de l’autre.
Lorsqu’il a été décidé d’aider de façon spécifique les deux élèves de cette classe, un bilan de leurs difficultés à l’écrit montrait donc deux types de difficultés : d’une part la difficulté, en situation d’encodage, à écrire les mots (transcription graphique des phonèmes, choix entre plusieurs graphèmes pour un même phonème, consonnes doubles, lettres muettes finales lexicales), d’autre part, la difficulté à réaliser les accords (accords à l’intérieur d’un groupe nominal et relation sujet-verbe) ; ces difficultés se traduisaient par exemple ainsi :
– pour écrire un mot unique sous la dictée, une attention particulière était apportée à la tâche par les élèves, mais le mot était le plus souvent mal orthographié : erreur de transcription phonique (avec altération de la prononciation du mot) par exemple garcon pour garçon ; erreur de choix de graphèmes (hésitation ou non connaissance des multigraphèmes an/en, é/ai/er, z/s) par exemple mézon pour maison ; erreur de double consonne sans altération de la prononciation du mot par exemple carote pour carotte,
– pour écrire une courte phrase sous la dictée ou en production, erreur d’accord en genre et en nombre dans le groupe nominal par exemple les grand pantalon pour les grands pantalons ; erreur dans la relation sujet-verbe par exemple ils parle pour ils parlent.
Ainsi, il s’est avéré que les difficultés de l’écrit relevaient du domaine de l’orthographe et n’étaient pas nécessairement corrélées au niveau en lecture (décodage ou compréhension). Nous avons donc mis en place un travail orthographique spécifique, d’une part dans la classe entière et d’autre part en aide personnalisée.

Fondement du travail orthographique en fin de cycle 2

Je décris ici une procédure de travail déjà présentée sur le site des Cahiers Pédagogiques et j’y renvoie le lecteur en n’en présentant qu’un résumé. Les principes de l’aide aux élèves en difficulté en orthographe sont les suivants :
– faire comprendre aux élèves le fonctionnement du système orthographique en trois niveaux : le niveau de la transcription phonie-graphie, le niveau lexical et le niveau des relations entre les mots (accords dans le GN et relations sujet-verbe).
– mettre en place des appellations et un codage selon ces trois niveaux : erreurs de son (codées S) pour le premier niveau, erreurs relevant du dictionnaire (codée D) pour le deuxième niveau, erreurs de relations entre les mots, codées GN et C pour le troisième niveau,
– différencier deux parties dans le niveau 3, ce qui concerne le groupe nominal et ce qui concerne le verbe ; pour ne pas risquer d’obtenir des accords du type ils manges, on ne dit pas qu’« un verbe s’accorde », ni qu’« il est au pluriel » : un verbe se conjugue et on regarde le sujet pour l’écrire. Ainsi, les relations entre les mots dans le groupe nominal et entre sujet et verbe n’ont rien à voir ; les premières sont donc codées GN (pour Genre et Nombre dans le Groupe Nominal) et les deuxièmes C (pour Conjugaison).
On obtient la typologie d’erreurs suivantes :

Tableau 1 : typologie des erreurs orthographiques

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– expliquer que chaque type d’erreur demande une stratégie de relecture différente ; ainsi, lorsqu’on ajoute à chacun des quatre types d’erreurs une stratégie de relecture spécifique, le tableau devient :

Tableau 2 : tableau d’aide orthographique à destination des élèves

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– pratiquer régulièrement (tous les jours) une discussion orthographique, nommée « dispute élaboratrice », dans laquelle les élèves justifient leurs choix orthographiques dans des phrases très courtes dictées.

De l’aide pour Marie et Claire

Dans le CP-CE1 de Marie et Claire, un double travail a été mené dans le domaine de l’orthographe, uniquement dans le niveau CE1.
– D’une part, avec tous les élèves de CE1, un travail de classement d’erreurs, à raison d’une fois par semaine, pour faire comprendre aux élèves que toutes les erreurs ne se valent pas et que dans tout ce que l’on appelle « fautes d’orthographe », se cachent des difficultés, et donc des stratégies d’amélioration, diverses ;
– d’autre part, sous forme d’aide individualisée, une aide plus précise, sur les points évoqués plus haut : application d’un codage pour les erreurs découvertes dans ces classements d’erreurs faits en classe ; travail sur de courtes phrases contenant des erreurs que l’enseignant a signalées avec ce codage ; réflexion et dispute élaboratrice sur de très courtes phrases dictées par l’enseignant aux élèves qui doivent donc justifier leurs choix orthographiques ; formalisation du tableau de typologie d’erreurs ; mise au point d’un outil de procédure indiquant dans l’ordre ce qu’il faut faire pour tenter de retrouver ses erreurs d’orthographe, à savoir :

  • dans un premier temps, relire en déchiffrant et en chuchotant pour retrouver les erreurs de son
  • puis chercher où pourraient se cacher des erreurs relevant du dictionnaire (lettres finales muettes à chercher en dérivant le mot, multigraphèmes pour un phonème, double consonne)
  • ensuite, s’intéresser aux relations entre les mots et donc ne plus se contenter de regarder le mot seul
  • pour cela, dans un premier temps, repérer et délimiter les groupes nominaux, en chercher le mot-noyau et appliquer les accords en genre et nombre aux mots qui l’entourent
  • puis chercher le verbe et son sujet et regarder dans une table de terminaisons simplifiée donnée par le maitre la ou les lettres muettes finales éventuelles du verbe.

Bilan de l’aide aux élèves dans le domaine de l’orthographe

– Ces activités ont permis de redonner à Marie le gout du travail parce qu’elle a vu qu’elle pouvait réussir, et à Claire l’envie de progresser dans l’écriture des mots.
– Les deux élèves étaient, après toutes ces aides, désireuses de commencer de nouvelles tâches d’orthographe, ce qui, au moins pour Marie, est une vraie victoire, car elle redoutait ces activités.
– Les élèves ont compris que la réussite en orthographe ne dépendait pas d’un éventuel don dans ce domaine et que des règles assez simples existaient que l’on pouvait relier à des stratégies utilisables en situation d’écriture.
– Quelques premières habitudes de métaréflexion ont été installées avec cette observation du fonctionnement du système orthographique et des stratégies de recherche d’erreurs qui y étaient liées.
– Enfin, ces améliorations dans le domaine de l’orthographe ont eu des conséquences dans tous les domaines du français, mais aussi dans les autres disciplines, et les élèves, même si elles en faisaient encore, n’ont plus eu peur de « faire des fautes » au moment d’écrire.

Retour sur ces aides

Claire lisait très bien, était ce qu’on appelle une bonne élève, mais le fait qu’on ne lui ait jamais enseigné, de façon systématique, les relations phonèmes-graphèmes l’a lourdement handicapée dans son rapport à l’écrit, et dès le CE1 elle se décourageait devant le nombre d’erreurs d’orthographe qu’elle faisait ; elle pensait que l’orthographe était trop irrégulière pour être maitrisée et qu’elle n’y arriverait jamais.
Marie était déjà en difficulté à l’école et se décourageait ; pour l’orthographe, elle commençait à accepter la fatalité de son échec en se disant – et en disant – que l’orthographe relevait d’une sorte de don : certains y arrivaient et d’autres pas.
Ces deux élèves présentaient, dans leur relation à l’orthographe, les deux profils les plus fréquents : certains élèves pensent que rien n’est logique, que tout est difficile et que la tâche de l’apprentissage de l’orthographe est surhumaine ; d’autres pensent que la réussite dans le domaine de l’orthographe relève d’un don et donc de la chance, que l’on a ou pas, d’être capable d’orthographier correctement les mots.

Le travail décrit ici, régulier, individualisé, à la fois métaréflexif par certains aspects et répétitif par d’autres, a permis de lever ces obstacles ; bien sûr Marie ne réussit pas parfaitement dans toutes les matières ; simplement — mais est-ce anecdotique ? –, elle n’a plus peur d’écrire, fait moins d’erreurs et connait des stratégies pour tenter de retrouver ses propres erreurs. Bien sûr, Claire fait encore des erreurs, ne maitrise pas encore tous les accords et se trompe encore parfois dans le choix des graphèmes, mais elle a compris qu’il en était de l’orthographe comme des autres domaines où elle est à l’aise, qu’il s’agisse des mathématiques, de la géographie ou de la lecture.

Jean-Paul Vaubourg, IUFM de Nancy.