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Comment aider l’enfant à devenir lui-même ?

C’est l’histoire d’un voyage : celui que l’enfant entreprend pour entrer dans l’adolescence puis pour s’aventurer sur les chemins de la vie. C’est entendu : personne ne soutient qu’il faut abandonner le jeune voyageur au gré de ses fantaisies. C’est au parent, nous dit François de Singly, de jouer le rôle de guide ou plutôt de voyagiste.
Mais il y a au minimum deux conceptions en la matière. Ou bien on fournit au voyageur un kit complet comprenant la documentation, les équipements, les plans détaillés et toutes les recommandations concernant les contrées à explorer. Ou bien on conçoit le voyage comme une occasion de se découvrir soi-même autant que comme un moyen de connaitre le monde et de s’y frayer un passage.

La première conception, que François de Singly fait remonter à Émile Durkheim, assigne à l’éducation la mission de faire en sorte que l’individu se réfère à des valeurs universelles transmises de manière méthodique et accessibles par la raison.
La seconde prend naissance avec Montaigne, s’épanouit pendant les années romantiques et oppose la logique de la différenciation à la logique de la rationalité. Pour des raisons liées aux nouveaux modes de vie, cette conception va triompher durant les années 1970 sous l’impulsion notamment de Françoise Dolto qui invite les parents à être à l’écoute de leurs enfants plutôt que de les gaver de préceptes, d’interdictions et d’injonctions.
Bien entendu, on a eu vite fait de réduire la vision de l’éducation-découverte à ses caricatures les plus excessives. C’est ce que n’a pas manqué de faire le célèbre docteur Naouri, pourfendeur de toutes les « permissivités », et auquel François de Singly règle son compte…
En réalité, écouter l’enfant et s’adresser à lui comme à un interlocuteur valable suppose qu’on le reconnaisse comme un être capable de cette raison invoquée par Durkheim. Dès lors, la parole de l’enfant et celle de l’adulte participent à un dialogue dont l’objet est de comprendre ce qui nous entoure pour se comprendre soi-même.

Ce « droit à un voyage-découverte » que François de Singly réclame pour l’enfant n’équivaut pourtant pas à un retrait des parents mais bien plutôt à une vraie présence de leur part : il s’agit de définir un cadre à l’intérieur duquel l’enfant fera l’expérience de la liberté, mais un cadre qui fixe les règles du jeu. La sécurité, la vie commune, les rythmes de la vie sociale et la scolarité impliquent en effet des contraintes qu’il faut indiquer non pour limiter l’autonomie de l’enfant mais pour permettre à cette dernière de s’exercer.
Enfin, il n’est pas question de lancer l’enfant dans l’aventure de la vie sans veiller à ce qu’il soit pourvu des ressources nécessaires. Mais, ajoute François de Singly, « c’est aux jeunes de décider de ce qu’ils gardent de ce qu’ils ont reçu ». Cela signifie que si, comme l’écrit René Char, « notre héritage n’est précédé d’aucun testament », il n’y a aucune raison, pour le parent, de renoncer à transmettre. Seulement, c’est bien l’enfant qui, en exerçant son « droit d’inventaire », obtiendra le pouvoir d’être soi.

Toute l’éducation dont François de Singly retrace ici les contours tient dans cette tension entre le cadre dont les parents sont les garants et la liberté dont l’enfant fait l’expérience. On l’aura compris : la parole y est centrale. C’est pourquoi cet ouvrage qui est destiné aux parents s’adresse autant aux éducateurs que nous sommes aussi, nous, les enseignants.

Pierre Madiot