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Comme un petit bouquet de choux fleur…

J’ai découvert le travail en groupes dans les années soixante-dix en formation initiale à l’IPEC (Institut pédagogique de l’enseignement catholique). On baignait dans l’ambiance de Summerhill et de ses libres enfants, on lisait Karl Rogers et en Lorraine, on s’intéressait au travail personnalisé du Père Feder à Longwy.

On doit travailler soi-même en équipe pour pouvoir convaincre les élèves du bien-fondé de cette technique, sinon elle est aussi creuse que vite abandonnée. Les élèves ne verront l’intérêt du travail en équipe qu’en le pratiquant, c’est pour cela qu’au début, ça coince. Et c’est la conviction du prof qui aide à passer ce cap. Le travail en groupe a des fondements éthiques qui rejoignent les grandes valeurs de la république en même temps que celles du judéo-christianisme. Les élèves ne sont pas encore des citoyens mais ils vivent déjà en démocratie. La classe n’est certes pas une démocratie mais comment l’expérimenteront-ils s’ils sont toujours en position d’infériorité hiérarchique ?
Le travail en groupe permet des moments de parité où ils peuvent se dire « ce qu’il y a dans ma tête vaut autant que ce qu’il y a dans la tête d’un l’autre ». Bien sûr, le travail de groupe est « asymptotique », il tend vers un idéal de fonctionnement sans jamais l’atteindre mais il a le mérite de « tendre vers ». N’oublions pas que l’éducation à la citoyenneté traverse tous les programmes scolaires de la maternelle à la terminale, le travail de groupe, c’est une banalité, est socialisant.

Les premières mesures

Une « feuille de route » décrit l’ensemble de la séquence, les objectifs, les séances, les dates, et informe les élèves de tout ce qui leur est nécessaire pour travailler, y compris le type d’évaluation prévu. On travaille dans la transparence et avec la plus grande rigueur « on dit ce qu’on va faire, on fait ce qu’on a dit » et en consultant régulièrement, tous ensemble la feuille de route « on dit qu’on l’a fait » !

Composition des groupes

Dans un premier temps, par affinités. Puis les groupes sont « mixés ». Ces groupes vivent longtemps et souvent toute une année scolaire car de bonnes habitudes de travail sont prises sauf si, comme le disent les Cahiers en 1972 « des conflits affectifs viennent les rompre ».

Organisation du travail et rôle du professeur

On pouvait lire « sous couvert d’organisation du travail, on camoufle souvent une volonté de contrôle ». Le fait est, qu’au contraire, cette « volonté de contrôle » aujourd’hui, je la revendique, c’est moi qui décide des modalités, du cadre, du temps imparti aux différentes tâches et si certains aspects sont négociables, (date du devoir, timing de certaines activités.) d’autres ne le sont pas (choix de l’activité, supports).
Le travail en groupes ne rassure pas d’emblée (ni les élèves ni les profs) et il connaît de nombreuses critiques. On entend dire que dans les groupes, il y a ceux qui bossent et ceux qui ne font rien, qu’il est impossible d’évaluer correctement un groupe au travail, que le niveau scientifique des acquisitions est faible, qu’il y a trop de bruit pour travailler dans de bonnes conditions, etc. J’ai aussi entendu que les travaux de groupe c’était pour les profs fainéants et cela m’indique une seule chose : le prof qui a dit ça, à coup sûr, n’en a jamais fait !
À l’évaluation sommative, une épreuve d’examen par exemple (et même corrigée par un(e) collègue, par sécurité !) il s’avère qu’ils en savent au moins autant qu’à l’issue d’un cours dialogué et, en plus des connaissances, ils ont été confrontés à tout un tas d’autres choses.

La discipline

Quant au bruit, oui il y en a, c’est forcément plus bruyant qu’un cours où les élèves notent et/ou dorment ! À la condition que le niveau sonore soit compatible avec le travail dans les groupes, sans quoi j’interviens. Le désordre n’est qu’apparent, il est organisé au service d’une production. Mais cela nécessite un apprentissage, de la patience, du temps. Les « pertes de temps » dont parlent les collègues sont souvent de leur responsabilité, il faut être extrêmement strict quant à la gestion du temps, les délais scrupuleusement respectés galvanisent les groupes, ils trouvent des solutions dans l’urgence et sont parfois plus créatifs.

Le choix des travaux

Mes travaux de groupes ne s’inscrivent pas dans le péri, le para ou l’extra-scolaire, mais dans le programme de ma discipline. Je m’efforce de varier les activités et les modalités de travail afin de mettre à jour chez mes élèves un maximum de compétences. Prenons un exemple : la restitution des travaux du groupe peut se faire par écrit, à l’oral, sous forme de panneau, d’affiche mais aussi au rétroprojecteur, avec ou sans notes en mains, seul ou à plusieurs, sous forme de texte, de synthèse, en 10 points, etc.

La production

Dans la séquence que je propose ici (cf. ci-après Didierjean, « La révolution française en groupes ») afin d’illustrer mes propos, nous traitons de la révolution française en classe 4e. Les travaux se font en deux phases et la production du groupe est une affiche. Il faut toujours une production et il faut toujours qu’elle donne lieu à notation ou à appréciation de la part du maître et/ou de la classe. Sans production pas de projet.

Les travaux

Revenons aux deux phases :
Dans la première phase, les tâches sont distribuées à des groupes qui se constituent librement et à qui je confie une activité précise : le premier groupe cherche des dates, le second des personnages, le troisième des illustrations. On sait que chacun n’est pas forcément actif, reconnu, impliqué dans le groupe dans lequel il travaille. Pour tenter de remédier à cela, afin de réaliser la seconde phase, les groupes sont « refondus » et chacun quitte son groupe initial en emportant la production collective.
Seconde phase, il devient alors l’unique spécialiste du thème que son groupe a traité. Défendant les couleurs de son groupe d’origine, il a plutôt tendance à s’identifier à lui. Il est l’unique responsable du contenu qu’il apporte au nouveau groupe auquel il appartient. S’il est défaillant ou insuffisant, il prive alors les autres de ce dont ils ont besoin et son nouveau groupe est obligé d’imaginer des stratégies pour pallier ce manque et pour réaliser la production demandée (dans ce cas une affiche). Le jugement par les pairs est alors beaucoup plus féroce que le jugement du maître…

Et les évaluations ?

D’abord, une évaluation par le biais du carnet de bord. À l’usage, il m’est apparu que les évaluations des productions collectives ne pouvaient suffire. Elles sont perçues par les élèves (et quelques fois par les parents) comme étant injustes. Je les ai donc assorties d’autres évaluations « classiques » : interrogations écrites, contrôles de connaissances, épreuves blanches de type brevet ou baccalauréat.

Rapports avec le système scolaire

Le travail de groupe est alors considéré comme une technique d’animation de classe parmi d’autres développant à la fois les savoirs, les savoir-faire et les savoir être et donnant lieu aux mêmes évaluations. Personne n’est ainsi trop profondément déstabilise. Même si, comme le disaient les Cahiers de 1972, les examens seraient « des barrières liées à un moment de notre organisation sociale » mais c’est là un autre débat. Quant aux moyens matériels et à l’environnement, il y a longtemps que j’ai cessé de m’en soucier. Je réclame un peu, je râle parfois, j’obtiens quelquefois ; mais la plupart du temps je fais, avec.

Rapports des petits groupes à la classe

Chaque groupe dans la classe pendant toute la durée d’une activité a sa petite vie autonome, mais la classe continue à vivre comme à l’accoutumée. Chaque groupe est comme un petit bouquet de chou-fleur au cœur du chou-fleur tout entier. Fonctionnement et contraintes à l’identique dans le sous-groupe et en grand groupe. C’est le principe des fractales. Cette cohérence du système développe un maximum d’interactions, elle est comme un écosystème.

Tous acteurs (qu’on le veuille ou non), tous dépendants, tous complémentaires. Celui qui ne joue pas le jeu (et c’est son droit !) ne se fait pas que des copains ! Mais en accompagnant celui qui s’y refuse, en dialoguant, il est assez aisé de l’aider à réintégrer un groupe au travail L’adulte est là qui facilite son retour, entend sa difficulté, autorise un travail individuel ou sanctionne son refus.

Régis Didierjean, professeur d’histoire, formateur 1er et 2d degré, interviewé par Isabelle Collin, professeur et formatrice à Institut de formation pédagogique de Lorraine.
Isab-collin@wanadoo.fr