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« Chaque élève suit son parcours “officiel” en apparence, mais a un “cheminement” qui lui est propre. »

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Quel est l’intérêt des parcours avenir ? Quelle différence avec l’éducation à l’orientation ?

On va à l’école pour apprendre mais aussi pour entrer dans la société. Les enseignants sont chargés d’abord de la transmission des savoirs. Il a donc fallu créer le corps des conseillers d’orientation-psychologues pour aider dans leurs choix les élèves dits en difficulté. Il s’est progressivement développé des coopérations entre eux et les professeurs principaux qui connaissent bien les élèves des classes dont ils ont la responsabilité.

Le projet personnel de l’élève (1989) et l’éducation à l’orientation (1996) ont tracé la voie vers une prise en compte dynamique de l’élève en tant que personne capable de s’orienter et donc de faire des choix, même si le « droit à l’erreur » et les passerelles devaient permettre les hésitations propres à toute trajectoire adolescente. Aujourd’hui, nous relevons deux différences qui sont plutôt des ajouts à une panoplie encore incomplète : le système entend d’une part aller vers une plus grande marge d’initiative pour l’adolescent, notamment, mais pas uniquement, en lui fournissant un outil informatique adapté à son suivi de parcours, et d’autre part faciliter un engagement personnel, très difficile à obtenir dans la forme traditionnelle de l’école mais qui peut résulter d’une continuité dans l’action éducative.

Si l’on peut faire le point et résumer ce que nous retirons de tout ce travail avec militants, chercheurs et professionnels, nous dirons qu’on est passé de l’enfant qui n’a pas la parole à celle ou celui qui a son mot à dire. Reste à imaginer comment accompagner l’acquisition du « savoir devenir », présenté par une association mais essentiel pour des chercheurs comme Jean-Pierre Boutinet. Il est encore difficile à faire entrer dans l’école, même si ce dossier présente des pistes concrètes et réalistes.

Que trouve-t-on dans ce dossier ? Qu’avez-vous appris en le coordonnant ?

Les textes proposés sont à la fois des retours d’expériences concrètes au niveau d’une classe, d’un établissement ou d’une académie, mais également des analyses historiques ou sociologiques de l’accompagnement institutionnel des élèves dans leur démarche d’orientation. L’ouverture internationale est évoquée en présentant ce qui se fait en Irlande dans ce domaine.

A la lecture du dossier, on se rend compte que, quel que soit le cadre institutionnel mis en place, il est impossible de prévoir un calendrier, un protocole ou même un dispositif qui soit dans le même rythme de réflexion que celui de tous les élèves. L’information, la réponse aux inquiétudes sont indispensables mais doivent être personnalisées. Chaque élève suit son parcours « officiel » en apparence, mais a un « cheminement » qui lui est propre, lié à son histoire familiale, à ses expériences de vie et à sa quête d’un idéal.

Il est évident à la lecture des textes que la problématique principale tourne toujours autour du temps. Temps court de l’institution qui cède en général à la tentation de « gérer des flux » et de « répartir les élèves dans les différents niveaux de la société ». Temps long de l’adolescent en pleine construction de sa personnalité et de sa conception de la société dans laquelle il se cherche un rôle.

Pour nous, l’institution doit permettre à ces futurs citoyens de prendre le temps d’élaborer leurs projets, de décider, mais aussi leur donner la possibilité de renoncer, de changer d’avis, sans que cela ait des conséquences sur le long terme, ce qui veut dire développer des passerelles et les équivalences.

Est-ce que ce dossier vous donne l’impression que ces parcours sont sur la bonne voie ?

Les personnes et les équipes qui ont écrit sur leurs pratiques témoignent de parcours tournés vers l’avenir et ils sont co-organisés tout autant que co-construits. Où en est-on dans le système ? Dans les établissements ? Dans les têtes et les pratiques au quotidien ? Nous ne pouvons pas le dire. Nous n’avons pas fait de recherche là-dessus car nous avons opté pour des récits et des analyses sur un bouleversement voulu dans le cadre de la refondation de l’école. Le projet est ambitieux. Les réalisations présentées donnent une illustration concrète de ce que l’on peut faire aujourd’hui, même si nous savons que le changement ne se décrète pas.

Le témoignage central de Léa fait penser qu’un effort de conviction, de formation, de continuité est indispensable. Ce qu’elle a subi comme prédiction de difficulté et injonction d’humilité dans ses ambitions doit encore se retrouver dans les classes. La manière dont elle fait un pied de nez à celles et ceux qui ont été de mauvais pronostiqueurs doit nous faire réfléchir sur la manière dont nous abordons les questions d’avenir avec chaque enfant, chaque adolescente ou adolescent.

Quand des personnes témoignent sur leur trajet, sur leur cheminement passé, nous retrouvons dans leurs propos un dosage fin, inédit, entre le hasard et la nécessité. Autrement dit, si nous pouvons nous permettre un rêve à voix haute pour changer l’orientation et changer l’école dans le prolongement de sa refondation, projetons de belles allées à la française, les « parcours », et laissons chacun et chacune « cheminer » vers son épanouissement personnel, intellectuel et professionnel en traçant sa route, une route à nulle autre pareille. C’est du moins le sens que nous entendons donner à ce dossier que chacun pourra lire avec ses propres lunettes.

Peggy Colcanap,
Conseillère principale d’éducation, collège Courteline, Paris
et Richard Étienne,
Professeur honoraire en sciences de l’éducation, université de Montpellier

Propos recueillis par Cécile Blanchard