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Changer de métier ?

« Aujourd’hui, on sait que la mobilité est un formidable facteur de motivation, et d’optimisation des ressources, une manière de rendre les gens plus heureux dans leur métier. » A entendre Francine Tenaillon, on se dit que, décidément, il se passe quelque chose à l’Éducation nationale. Si le climat scolaire prend en compte en effet le bien-être des élèves, il s’occupe aussi de celui des adultes. Parce que, comme l’avance Eric Debarbieux, les professeurs heureux font des élèves heureux. L’idée n’est sans doute pas neuve, mais que ce soit dit aussi nettement surprendrait presque. Et on n’en reste pas aux paroles, puisqu’ à l’ESENESR, l’école des cadres de Poitiers, ou encore dans des expériences locales, comme à Paris, on entend parler du coaching interne des personnels de direction et de l’indissociabilité climat scolaire et gestion des ressources humaines. Prendre davantage en compte l’aspect humain de l’organisation et la qualité de vie au travail, voilà qui sonne comme une bonne nouvelle.
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Francine Tenaillon le confirme et précise que son travail consiste en un accompagnement professionnel personnalisé. Si son bureau, comme celui de la centaine de conseillers mobilité carrière de l’Éducation Nationale, est bien un espace d’écoute, on n’y est plus, comme dans les années 70, dans une vision psychoclinique : « Notre approche est collective, globale, et relève de la psychologie du travail. » Francine Tenaillon parle avec chaleur, presque ferveur, de la riche complexité des situations et de ceux qui viennent la voir : « On n’est pas dans une démarche clé en main, avec, pour un problème, une solution à choisir sur catalogue. Notre objectif est bien plutôt de renforcer le pouvoir d’agir des personnes et d’aider à relier les désirs des agents avec les besoins de l’institution ». Il est également important de souligner qu’un formation d’adaptation à leur nouvel emploi est proposée aux conseillers mobilité carrière à l’École supérieure de l’Éducation nationale et de l’Enseignement Supérieur et que ces professionnels de l’accompagnement au changement travaillent en réseau avec leurs pairs grâce au site collaboratif qui leur est ouvert. Une réflexion sérieuse au sujet de la création d’une association nationale des conseillers mobilité carrière est en cours.

Mais qui sont ces personnes qui s’adressent aux conseillers mobilité carrière ? Elles viennent du 1er, du 2nd degré, de postes administratifs, de direction ou d’encadrement. Dans l’académie de Lille, un autre service, le RRHAPE (Réseau Ressources Humaines d’Aide aux Personnels), gère l’adaptation et le suivi des personnels en difficulté ou en arrêt longue maladie. A la cellule mobilité carrière, rattachée à la Direction des Ressources humaines du rectorat, Francine Tenaillon reçoit différents profils : « Parfois il s’agit d’enseignants très jeunes qui constatent qu’ils ne pourront pas s’épanouir à long terme dans ce métier, parfois de personnes plus âgées qui ne parviennent pas à s’adapter au fil des années à des élèves dont le rapport à l’autorité se transforme. Parfois encore, ce sont simplement des enseignants qui ont envie d’une évolution professionnelle. » Francine Tenaillon les rencontre pour faciliter leurs recherches, leur fournir des informations au sujet des quatre voies principales de la mobilité que sont les concours, le détachement, la formation et la mise en disponibilité, mais aussi leur redonner confiance, valoriser les compétences professionnelles développées avec le temps, travailler un CV, une lettre de motivation ou préparer un oral.

Parfois l’accompagnement prend la forme d’un compagnonnage plus long : changer demande du temps. Si elle perd assez souvent la trace des personnes rencontrées, elle sait que la majorité des déplacements ont lieu au sein du ministère d’origine. « Toutefois nous essayons de favoriser les passerelles entre ministères, ou entre le pédagogique et l’administratif. » Mais elle a aussi vu naitre des autoentreprises, en complément de l’enseignement : cet homme qui nettoie les vitres accroché à son cordage, il est professeur de sport. Cette femme écrivain à domicile, professeure de lettres. Et votre bijoutier, il était peut-être professeur des écoles. La mobilité de Francine Tenaillon s’est d’ailleurs faite elle-même en plusieurs étapes : jusqu’à l’an dernier professeur agrégé d’allemand et forte de ses expériences de conseil auprès des familles et des personnels, elle a d’abord été conseillère ressources humaines au sein du Réseau ressources humaines d’aide aux personnels de l’éducation pendant trois ans avant d’être recrutée en tant que conseillère mobilité carrière et détachée dans le corps des attachés d’administration de l’État.

« Constater l’absurdité de la vie n’est pas une fin mais un commencement. »
Cette citation de Camus constitue à ses yeux le fil conducteur de la mission de conseil mobilité carrière, ainsi qu’une petite phrase qui conduit toujours un peu plus loin : « Ne jamais s’arrêter ». Ne jamais s’arrêter de douter, ne jamais s’arrêter de bouger, ne jamais s’arrêter d’apprendre. Alors elle croira parfois pour deux au changement de trajectoire de celui qui entre dans son bureau : « Continuer d’avancer demande simplement de passer par des arrangements joyeux avec la réalité. »

Christine Vallin