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Changement climatique : éduquer pour agir et ne pas désespérer

Le thème du changement climatique est au premier abord vaste et effrayant. Comment tenter de le regarder en face sans devenir collapsologue ? La réponse constructive et enthousiaste de Mathilde Tricoire, responsable pédagogique de l’OCE (Office for Climate Education).

Petite, elle rêvait de devenir vétérinaire. Une décennie plus tard, la classe préparatoire l’en décourage. Elle songe à la recherche en éthologie, là, c’est la réalité du manque de débouchés du secteur qui la détourne. Elle s’oriente vers l’enseignement des Sciences de la vie et de la Terre avec en tête le plaisir exprimé par son père d’enseigner et le souvenir de son enseignante de terminale, passionnée et passionnante. Elle obtient le Capes et l’agrégation dans la foulée, prend son premier poste en collège dans l’académie d’Orléans-Tours, puis enchaîne avec des remplacements avant d’être nommée dans un lycée pilote rural à Romorantin.

La curiosité des élèves, « leur envie de se connecter avec les enseignants » la poussent à aller au-delà des cours magistraux en explorant la pédagogie active. Une collègue, Valérie Rambaud, lui ouvre les portes de la classe inversée. Elle tâtonne, implique les élèves dans des projets, s’épanouit. Elle a envie d’explorer et d’enrichir encore ses connaissances. Alors, elle candidate à une thèse mixant pédagogie et écologie qui finalement, par manque de subventions, ne se fera pas. Et puis, par hasard, en dialoguant avec une collègue, elle apprend que l’OCE ouvre un poste d’animation pédagogique. Une expérience en formation, la maîtrise de l’anglais et la connaissance du changement climatique sont requises. Elle ne coche pas toutes les cases mais se lance avec succès. « J’ai été surprise car je n’avais que 4 ans d’enseignement. Ils m’ont fait confiance. C’était une opportunité fantastique qui m’a ouvert des portes. »

Son détachement commence à la rentrée 2019. L’OCE est une fondation abritée par la Main à la Pâte, observant le même objectif, promouvoir la science à travers une pédagogie active, avec une cible plus précise, l’éducation au changement climatique en lien avec les rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). La fondation est strictement non lucrative, financée à égalité par les secteurs public et privé.

Ressources et formations

Des ressources clé en main sont proposées aux enseignants du primaire et du secondaire en France et dans les pays en développement. Les rapports du GIEC font environ 800 pages. Ils sont construits à partir d’une compilation de données pour établir des modèles prospectifs en fonction des orientations. « Un de nos rôles est de didactiser ces rapports pour les enseignants en une vingtaine de pages et de leur suggérer des utilisations en classe. » Pour chaque thème, « Océan et cryosphère » l’an passé, « Terres émergées » cette année, un triptyque est proposé composé d’une synthèse du rapport du GIEC, d’un guide pédagogique et de ressources, dont des vidéos de trois à cinq minutes et des jeux. Les enseignants peuvent également bénéficier de formations courtes pour s’approprier la thématique et les ressources, élaborer des scénarios d’utilisation en classe.

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Expériences aves des enfants à Besançon

Mathilde Tricoire découvre progressivement son rôle de responsable pédagogique, de la création de ressources à l’animation de formations. Elle a intégré une équipe de six personnes en compagnie de deux scientifiques, un formateur issu de la Main à la Pâte, une cheffe de projet et un chargé de communication. Les locaux sont dans l’enceinte de Jussieu (université Pierre-et-Marie-Curie), favorisant ainsi les contacts avec le milieu scientifique. Une société externe vient en appui pour le développement des ressources multimédias. « Nous réalisons un premier jet des ressources puis un comité scientifique et pédagogique international va les relire et les valider. Elles sont ensuite testées en classe en France et à l’international pour vérifier qu’elles sont utilisables. »

Elle a animé des formations pour la Malaisie, à la Réunion dans le cadre du plan académique de formation, et auprès d’enseignants métropolitains, avec l’Institut de recherche pour le développement notamment. Elle a participé à la rédaction de ressources avec l’Inspection générale pour prendre en compte l’introduction du changement climatique dans les programmes du lycée. « Ce qui est vraiment chouette, c’est toute ces opportunités que je ne m’imaginais pas avoir à ce stade de ma carrière et toute la confiance que l’on m’accorde. »

De vagues connaissances

Elle remarque que le climat est un sujet que tout le monde pense connaître. Or, lors des formations, elle constate que ces connaissances sont vagues. Les enseignants ne sont pas tous à l’aise en classe lorsqu’ils traitent du changement climatique, un thème qui peut vite frayer avec le politique, susceptible de recevoir de temps à autre de la part des élèves des remarques climatosceptiques. Être formés est alors important pour aborder le sujet en se basant sur une approche scientifique mais pas seulement. « C’est un sujet très émotionnel. On risque de générer de la peur ou du déni si on se contente d’exposer des faits scientifiques. Il faut arriver à connecter raison et côté émotionnel. »

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Animation d’une formation à La Réunion

Le changement climatique n’est pas un phénomène équitable. Ses conséquences sont plus ou moins violentes selon l’endroit où l’on habite, son activité professionnelle, son niveau de vie. « Toutes les disciplines sont concernées car le thème touche aussi aux questions sociales, aux aspects politiques, à la notion de justice climatique. »

Dans l’approche de l’éducation au changement climatique développée par l’OCE, la capacité d’agir des élèves est centrale. Mathilde Tricoire donne pour exemple le Climathon prévu à Strasbourg. L’idée est de rassembler trois classes de collège pour réfléchir ensemble à une solution de réduction des îlots de chaleur urbains. Des enseignants, des élus locaux et des experts seront là pour apporter des éclairages. Les élèves aborderont toutes les dimensions du projet pour en établir la faisabilité, y compris les aspects budgétaires et les acteurs à impliquer. Ensuite, sur le reste de l’année, la solution sera expérimentée, suivie et évaluée. Hélas, le coronavirus a retardé le démarrage du projet.

« J’apprécie de me concentrer sur le sujet du changement climatique et de trouver des solutions pédagogiques pour inclure les élèves dans l’action, les faire agir pas seulement en disant d’arrêter de manger des tomates en hiver. » Dépasser le déni, le sentiment d’impuissance, voire de culpabilité individuelle, par une approche pluridisciplinaire et la mise en œuvre d’une action réaliste avec des résultats sur le collectif, l’objectif de l’éducation au changement climatique pourrait se résumer ainsi.

Monique Royer

Le site de l’OCE : https://www.oce.global/fr


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