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Cent ans de méthodes de lecture

Cet ouvrage présente et commente une sélection des méthodes de lecture, nombreuses, créées au XIXe siècle : ce panorama fait ressortir la richesse des débats et la modernité des préoccupations de leurs auteurs (quoi qu’on puisse penser, à notre époque, des solutions préconisées). Deux grands courants se dégagent. La majorité des auteurs propose des méthodes synthétiques qui, malgré leur variété, peuvent sembler archaïques au lecteur moderne, et pourtant leur premier propos était de critiquer les approches alors traditionnelles fondées sur l’épellation totale du mot et la mémorisation préalable des lettres puis des syllabes. Un de leur but est de raccourcir le temps de l’apprentissage, de le rendre plus efficace et plus attrayant. Pour cela, faut-il lier lecture et écriture (au sens de graphie des lettres), lecture et orthographe ? Et si oui, comment ? Quelle progression adopter (ce qui entraîne des travaux de classement des sons et des lettres) ? Quel lien établir entre l’aspect auditif de l’apprentissage et la perception visuelle ? Et, surtout dans la seconde moitié du siècle : comment faire pour que l’élève comprenne ce qu’il lit ?

Ces auteurs inventent mille procédés pour simplifier l’enseignement de la lecture : usage de la couleur, de l’image, jeux visant à  » exercer constamment l’intelligence des élèves « , étonnamment proches d’activités pratiquées encore aujourd’hui, utilisation de caractères mobiles et de boîtes typographiques préfigurant celles de l’imprimerie, tableaux illustrés de lettres et de mots conçus comme du matériel collectif utilisable dans des classes parfois surchargées, etc.

Un second courant, minoritaire, insistant sur le caractère impératif et prioritaire de la compréhension, propose des méthodes de  » mots entiers  » que nous dirions analytiques ou mixtes. Observation des mots, analyse, comparaison, décomposition, mémorisation active deviennent les activités privilégiées par les auteurs de ces méthodes qui affirment leur confiance dans les facultés intellectuelles des enfants, s’efforcent de leur faire découvrir eux-mêmes les notions, d’éveiller leur curiosité intellectuelle.

Le lecteur de 1998 sera étonné et curieux de découvrir de quels débats passionnés proviennent des activités ou des idées qui lui semblent aller de soi, tant elles sont ancrées dans sa pratique quotidienne, et combien on y a intégré d’éléments provenant de théories qui sont aujourd’hui jugées « dépassées » ; il sera intéressé par la façon dont sont formulées des questions actuelles, (on ne sait pas toujours qu’elles se posent depuis longtemps), par les recherches et solutions qu’elles ont entraînées en leur temps. Il verra comment des intuitions ont été confirmées ou infirmées par les travaux récents en psychologie de l’enfant ou psychologie cognitive (ce n’est pas dans l’ouvrage, mais il lui suffira de comparer les informations données par l’auteur avec ses propres connaissances). Il mesurera mieux les progrès apportés par la recherche en didactique et s’interrogera sur la notion d’innovation. Peut-être que suivre l’évolution d’une réflexion sur une longue période lui permettra aussi de se poser de façon renouvelée des questions qui ne sont pas neuves pour lui Tant savoir d’où l’on vient permet, au-delà de la curiosité, de mieux évaluer où l’on est, même ou surtout quand on est pris par les urgences de la pratique quotidienne.

Élisabeth Bussienne