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Marie Desplechin : « Ce qui m’aidait, c’était de réaliser »

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Marie Desplechin ©Karine Mazloumian

Avec Marie Desplechin, auteure à voix multiples, apprendre, écrire et respirer semblent trois compagnons inséparables. Ses compagnons de route, sur fond de curiosité et de besoin de partage. Conversation sur canapé, entre souvenirs et devenir.

Quelle est la première chose que vous avez apprise et qui vous reste en mémoire ?

J’en vois plusieurs, mais « Le temps a laissé son manteau / De vent, de froidure et de pluie », c’est cela qui me revient tout d’abord. Pourtant, mon tout premier souvenir, c’est peut-être le moment où j’ai appris à lire. Où j’ai commencé à écrire aussi, des ronds entre des lignes, des lettres, des mots. Des lignes de « Marie Marie Marie ». J’ai encore mon cahier d’écriture, là, pas loin. J’avais trois ou quatre ans. Je ne sais pas pourquoi j’ai appris si tôt. Ce que je sais, c’est que lire tôt est allé avec lire beaucoup, beaucoup.

C’est à l’école que tout cela se passait ?

Ah non, pas à l’école mais dans ma famille. C’est ma mère qui m’a conduite chez sa tante institutrice pour que j’apprenne. Elle dit que j’en manifestais l’envie. Pour moi l’école, l’école primaire, a plutôt relevé du cauchemar. Je ne m’intéressais pas à ce qu’on faisait. Résultat : punitions, textes à recopier. Du moins jusqu’en CM2. En CM2, au contraire, j’ai eu une maitresse géniale. Une maitresse Freinet, dans une école très stricte pourtant. Elle, elle nous avait installés par quatre en classe, on travaillait par projets et sans notes, on chantait tous les jours, on faisait de la gym, on n’avait pas de travail à la maison. On a même écrit un livre sur Roubaix.

D’autres apprentissages à l’école vous ont-ils marquée ?

Ah oui, j’ai des souvenirs très forts en sport, des bons et des mauvais. Vous savez comment j’ai appris à nager ? À la piscine de Roubaix, on nous balançait dans l’eau, accrochés à des harnais. Ah ! Je revois mes cours au collège aussi, par des grosses dames en manteau de fourrure qui tapaient dans leurs mains en criant « Allons allons ! ». Jusqu’au jour où j’ai connu des vrais professeurs, qui nous parlaient de la théorie ou de l’histoire du sport, ou qui nous faisaient écouter notre pouls en courant.
Et puis je me souviens de déclics, de « ah oui, c’est ça ! ». L’un en géographie, avec une femme aux longs cheveux noirs, voyez si je m’en souviens. À ce moment-là, j’ai compris que la géographie, c’était l’histoire des gens. Je ne l’ai pas oublié. Un « ah oui c’est ça ! », ça ne s’oublie jamais.

Savez-vous ce qui vous aidait ou vous empêchait d’apprendre ?

Ce qui m’aidait, c’était de réaliser. D’ailleurs ça continue, puisque écrire et publier un livre, c’est bien réaliser. Réaliser à plusieurs, c’était encore mieux. J’ai d’ailleurs aujourd’hui toujours besoin de faire avec les gens. Mais ce qui m’aidait, c’est que j’étais curieuse de tout. Tout m’intéressait, que ce soit organiser, fabriquer, même fabriquer du béton. Mon seul frein a été lorsque je ne comprenais pas, en informatique, en maths, en philo à un haut niveau, ou une représentation dans l’espace, en logique. En tout cas, pas question de n’aller que vers les lettres, la culture, ce serait une imbécilité : peut-on exclure un domaine de l’intelligence ?

Écrire vous a-t-il appris quelque chose, fait accéder à un monde autre ?

Écrire, c’est toujours entreprendre une recherche autour d’un sujet. Mais au-delà, c’est retrouver de l’ordre dans les choses, remettre le réel à sa main. Écrire fait plus que m’apprendre d’ailleurs, puisque c’est ma vie, ma vie à moi. Mais c’est une activité que je partage dès que je le peux et qui me fait apprendre l’autre, comme avec Lydie Viollet dans La Vie sauve. Quand on fait un portrait, on remplit des blancs. Cela donne l’impression grisante de donner quelque chose à l’autre en lui montrant son portrait. C’est ce qui s’est passé aussi dans Beaucoup plus que l’amour, avec des témoignages de gens de Bobigny, qui est une ville multiculturelle. L’objectif était de faire un texte sur l’amour. Des histoires épiques, contrariées, dont la mienne. Mais qu’est-ce que nos récits européens sont plats !

La culture pour tous semble vous porter. Pour quelles raisons ?

La culture, ce n’est pas grand-chose si on n’accorde pas d’abord de l’écoute et de l’amour. Pour un enfant, tout commence quand on le regarde, quand on regarde ce qu’il y a de bon en lui. Et pour cela, les dythirambes sur la culture et l’art ne sont d’aucune utilité.

Bien sûr que c’est important ensuite, mais ce ne sont pas les artistes qui comptent là-dedans. On est survalorisés quand on intervient en classe. Et ce n’est pas seulement l’art qui mérite d’y entrer, c’est le réel tout entier. Ce sont des boulangers, des fleuristes qu’il faut inviter. Aussi.

Propos recueillis par Christine Vallin

Article paru dans notre n°507, Questions au programme, coordonné par Françoise Colsaet et Jean-Pierre Fournier, septembre 2013.

Qui donc fait les programmes scolaires, qui devrait les faire, selon quels critères ? Les programmes pour quoi faire dans le quotidien des classes ? Il y a ce qu’on choisit de ne pas faire, ou bien de faire en plus, sans parler de ce que l’on arrive pas à faire. Et voilà maintenant le socle commun au programme des enseignants…

https://librairie.cahiers-pedagogiques.com/revue/531-questions-aux-programmes.html