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Le livre du mois du n°533 – Ce que le numérique peut en éducation

Publiée par Canopé et sa délégation Éducation et société, la revue Diversité nous propose pour son numéro 185 un dossier où l’on peut lire de nombreuses contributions qui interrogent les relations souvent complexes entre le numérique et l’éducation, avec une ouverture hors des sentiers de l’école qui est la bienvenue, dans la partie « Le numérique pour la réussite et l’insertion des jeunes », peut-être la plus originale du dossier.

Nous ne pouvons qu’être d’accord avec cette affirmation d’Emmanuel Davidenkoff : « Ce n’est pas la question du numérique qui se pose, mais celle du pédagogique. » Elle pourrait servir de sous-titre au dossier, car c’est un leitmotiv de plusieurs contributeurs : les questions techniques, de matériel, de logiciels sont finalement secondaires, et à l’heure où 83 % de la population française est connectée (contre 36 % en 2004), on ne peut plus raisonnablement parler de « fracture numérique » comme il y a dix ans, nous rappelle Pascal Plantard. Le creusement des inégalités se situe au niveau des usages, de la maitrise ou pas d’une culture de l’information et de la recherche. Surtout si les enseignants « considèrent comme acquis chez les élèves des savoirs et des compétences qu’en réalité ils n’ont pas » ou confondent accès à l’information et réelle appropriation de savoirs (Anne Cordier).

On ne trouvera pas dans ce numéro un hymne à la gloire du numérique qui de lui-même changerait les rapports entre enseignants et enseignés, permettrait la démocratisation des savoirs et serait un outil majeur de lutte contre les inégalités. Pas non plus cette stigmatisation simpliste d’une informatique diabolique qui participerait du grand complot contre les savoirs et du déclin d’une école de « l’instruction ». Un des derniers avatars de cette position déconnectée de la réalité, est par exemple l’ouvrage fort médiocre et confus, Le désastre de l’école numérique, de Philippe Bihouix et Karine Mauvilly. Dans ce dernier livre, les auteurs accusent l’usage des ordinateurs de tous les maux, entre contribution au réchauffement climatique, dégâts psychiques et délégitimation de la parole du professeur et revendiquent une école forteresse qui ravit tous les nostalgiques du passé, ceux qui hier condamnaient le stylo à bille ou le livre de poche.

Les propos des contributeurs de Diversité, eux, plutôt nuancés et échappent à tout manichéisme, ce qui est d’ailleurs le cas de la plupart des promoteurs d’un usage raisonné et réfléchi dans le cadre scolaire, loin de la caricature brossée par les pamphlétaires. C’est ainsi qu’Eunice Mangado, directrice déléguée de l’AFEV (Association de la fondation étudiante pour la ville) affirme : « Maitriser la culture numérique, c’est savoir utiliser internet, mais aussi savoir s’en protéger, voire s’en passer. »

On pourra regretter un côté répétitif d’un article à l’autre de pages où ces idées-forces sont énoncées. C’est surtout vrai dans la première partie. La seconde, « S’informer, comprendre et décrypter », est riche et variée : interrogation sur les moyens d’aider les jeunes à évaluer les sources et la fiabilité des informations et de leur faire prendre conscience de l’importance de la protection des données, évocation des dangers du cyberharcèlement, etc.

Défi et chance pour notre société, comme le souligne Hélène Grimbelle, de la Ligue de l’enseignement, le numérique peut, à certaines conditions, renforcer le « pouvoir d’agir ». Il n’est pas sûr d’ailleurs que ses contempteurs sont tellement désireux de le voir se développer chez les jeunes !

Jean-Michel Zakhartchouk


Questions à Régis Guyon

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Peux-tu nous présenter la revue Diversité, comment elle est faite, ses objectifs, son mode d’élaboration ?

La revue Diversité, qui est éditée par le réseau Canopé, a été créée officiellement par une circulaire publiée au Bulletin Officiel le 1er novembre 1973. Elle s’appelait alors Migrants Formation et avait comme objectif d’accompagner les professionnels travaillant avec les adultes migrants et leur famille. C’était l’époque de la mise en place de la formation pour adultes (loi de 1971), dont un des publics prioritaires était les migrants. La question de la scolarisation de ce qu’on appellera bientôt les élèves migrants, ou allophones aujourd’hui, allait devenir en effet un enjeu éducatif important. Ensuite, et jusqu’à aujourd’hui, la revue a élargi son domaine en s’intéressant plus largement aux inégalités sociales et scolaires et en proposant des analyses et des retours d’expérience à l’ensemble des acteurs éducatifs, dans et hors l’école. Notre postulat est en effet que la réduction des inégalités est une question globale, qui doit mobiliser l’ensemble des acteurs de la communauté éducative, travaillant de concert.

On peut considérer Diversité comme une revue d’interface, proposant aux lecteurs, à parité, une vulgarisation rigoureuse des travaux de chercheurs et des témoignages d’acteurs de terrain. On tente par-là d’assurer le lien entre la recherche et la pratique, l’un devant et pouvant ainsi se nourrir de l’autre. Pour chaque numéro, je sollicite le comité d’orientation de la revue, composé d’une vingtaine d’universitaires et d’acteurs éducatifs, mais aussi le réseau et les partenaires (dont le CRAP-Cahiers pédagogiques) avec lesquels nous avons l’habitude de travailler à la délégation éducation et société.

Quelle est l’idée majeure qui ressort du dossier sur le numérique ?

L’enjeu crucial aujourd’hui est sans doute de permettre aux jeunes de comprendre ce qui constitue le numérique, de définir ce qui serait un « apprendre à apprendre » à travers les écrans, où il faut en permanence, en l’absence de prescripteurs, évaluer, hiérarchiser et catégoriser les informations. On voit, à travers la problématique des rumeurs et du complotisme, combien cette question est centrale aujourd’hui.

Peux-tu nous dire quelques mots sur deux dossiers très actuels : celui sur les valeurs républicaines publiées après janvier 2015 et celui sur l’engagement des jeunes en mai 2015 ? Qu’en as-tu surtout retenu ?

Chaque numéro, et c’est un peu sa marque de fabrique, s’ouvre avec un ou des entretiens avec des personnalités dont les travaux et les actions sont notables, sans qu’ils soient nécessairement spécialistes de l’école ou de l’éducation. Mais leur parole permet de poser les enjeux qui vont traverser le dossier. Les historiens Philippe Portier, pour le numéro sur l’école et les valeurs, et Marc Ferro, pour celui sur l’engagement, se sont imposés par exemple assez naturellement. De même que je me suis tourné vers Philippe Meirieu pour parler continuité et discontinuités en éducation. Ensuite, chaque dossier repose sur trois piliers : d’abord proposer la pluralité (une diversité !) des points de vue, en se gardant bien d’alimenter des polémiques inutiles ; ensuite, comme je l’ai dit avant, proposer l’éclairage des recherches les plus récentes et des savoirs d’expérience des professionnels de terrain ; et, enfin, avoir une attention particulière aux territoires de la géographie prioritaire et aux publics les plus vulnérables.

Les prochains dossiers ? Peut-on faire des propositions de contributions ?

Les numéros à venir porteront sur l’éducation prioritaire (à l’occasion des 35 ans de la circulaire créant les zones d’éducation prioritaire), les mobilités (dans ses dimensions spatiales, sociales et en termes là encore d’apprentissage et de formation), puis sur l’éducation au droit et à la justice. Je ne fais habituellement pas d’appel à contributions, mais toutes les personnes intéressées par l’un de ces sujets peuvent évidemment entrer en contact avec moi.

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk