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Ce n’est qu’un début…

Comment est née l’idée de ce film ?

De plusieurs facteurs. Il y a déjà quelques années je me demandais, en tant que mère de deux enfants, comment parler avec eux des questions essentielles avec la plus grande ouverture possible, quand on n’a souvent pas le temps adéquat ou l’éclairage culturel nécessaire. La littérature pour enfants offre un choix d’ouvrages très intéressants, mais il manquait pour moi une dimension plus dynamique. En 2007, une phrase de Michel Onfray lors d’une émission sur France Inter a déclenché ma curiosité : « Tous les enfants naissent philosophes, seuls certains le demeurent… » Michel Onfray parlait du questionnement des enfants et de cette formidable dynamique non entretenue. À ce moment précis nous avons avec mon équipe ouvert une investigation de fond…

Entre le projet de départ et le résultat final quels obstacles ? Quelles bonnes ou mauvaises surprises ? Quelles découvertes ?

Le projet de départ était de savoir qui mettait en pratique des ateliers avec régularité. L’âge des questions d’enfants est au cœur de leurs années maternelles. C’est Anne Claire Beurthey, du magazine Pomme d’Api, qui nous a parlé de Pascaline Dogliani, professeure des écoles et maitre formateur au Mée-sur-Seine, près de Melun. Elle avait initié quelques mois auparavant des ateliers de philosophie avec sa classe, et voulait poursuivre à la rentrée suivante, donc il ne fallait pas tarder. Nous l’avons rencontrée en juillet ainsi que sa directrice Isabelle Duflocq et Jean-Charles Pettier, professeur à l’IUFM de Créteil, partenaires du projet sur l’école. Les réalisateurs, Jean-Pierre Pozzi et Pierre Barougier, souhaitaient suivre à deux caméras tous les ateliers qui allaient se faire. Au départ nous partions pour un an. Finalement, il aura fallu deux ans de tournage, car la première année nous avions des bons mots, des ateliers, mais pas de quoi faire un film.
Les enseignants de l’école n’ont pas tous adhéré au même rythme à la pratique de la philo. Ce regard plus sceptique était très intéressant pour les réalisateurs, car il créait une dynamique. Je crois que la compréhension et l’acceptation se sont faites avec le temps et les échanges, entre enseignants. Les discussions ont permis à tous de rebondir et d’en faire un projet plus collectif, car après chaque atelier, les enfants continuaient à parler du thème dans la cour, à la cantine, en famille. Les ateliers à visée philosophique ont, à mon sens, favorisé ce lien. L’équipe y a adhéré parce que le projet a persévéré. Cette année l’école s’y est engagée avec cinq classes !
À leur demande, nous avons pu montrer à Pascaline et Isabelle les images d’un atelier complet pour qu’elles analysent et pointent avec recul les retours des enfants. Cela a été un temps fort pour comprendre à quel point le corps s’exprime, même si l’enfant ne parle pas dans la classe. Le regard porté sur ceux que l’on appelle les « petits parleurs » en a été transformé.
Nous étions tous ensemble à partager nos doutes et nos enthousiasmes dans la découverte de cet éveil à la philosophie dans la durée. Ce temps de partage entre l’équipe du tournage et le corps enseignant a été moteur dans cette aventure.
Dans l’organisation de la classe, Pascaline avait fait une très belle mise en place avec les rituels de la bougie et les ouvertures de débats. Cela devenait normal pour chaque enfant de laisser parler l’autre, de ne pas se moquer, de comprendre qu’ils étaient dans un moment à visée philosophique. Le plus difficile au début pour la maitresse, me semble-t-il, a été de réussir à se mettre en recul et de laisser parler les enfants, ne pas chercher à répondre, mais relancer la question, c’est une véritable posture, pas toujours naturelle pour l’enseignant. En cela je suis certaine que, pour Pascaline comme Isabelle, c’est devenu un bonheur pédagogique.
Nous sommes naturellement dans la culture de la réponse et non pas de la question, cela devient très intéressant de voir comment le maitre devient le médiateur avec les enfants. Les enfants aiment donner leurs avis bien sûr, mais ensuite quand on est en atelier philo, il faut les amener plus loin.
Pour ma part, une autre bonne surprise a été la découverte de la qualité du travail fait par l’équipe enseignante, sur le terrain, mais aussi par le personnel accompagnant comme les ATSEM et toutes les personnes qui, au quotidien, travaillent pour faire fonctionner cette institution. Et il n’y a pas que dans cette école. Depuis trois ans, je me suis intéressée aussi à d’autres établissements et à leurs projets pédagogiques. Alors pourquoi tant de contraste entre l’information médiatisée quotidienne qui donne une image délabrée du système public et ce que nous avons pu ressentir dans la cité ? L’enthousiasme humain du terrain doit être mis en valeur pour que cela marche. C’est de cela dont nous avons envie de parler… C’est aussi pour cela que le film montre une cité qui a les mêmes contraintes qu’ailleurs et où l’on peut vivre sans avoir peur.
Il y a des initiatives menées par des écoles qui favorisent le gout aux apprentissages. Elles respectent aussi les programmes, mais n’ont parfois pas l’accueil mérité et l’on devrait se demander pourquoi. On ne peut pas mettre une caméra pour montrer tout ce qui marche. Et en même temps il aurait été aussi plus difficile de parler de cette démarche sans le regard des réalisateurs.

Comment les intéressés, enfants, parents, enseignants, ont-ils vécu l’aventure ?

Le travail de mise en place fait par l’équipe, Pascaline Dogliani et Isabelle Duflocq était impressionnant. Les échanges avec les parents sur les thèmes ont créé une dynamique enfants/parents/école très enrichissante. Pascaline avait proposé aux parents un atelier ouvert et les parents sont venus nombreux. Ceci a créé un lien très fort entre l’école et la cité. Les parents ont témoigné de ce qu’ils ont pu découvrir chez leurs enfants. Ce que l’on note avec ces ateliers, c’est aussi le développement du langage, l’écoute, la compréhension de l’autre non pas sur ses connaissances, mais sur ce qu’il est en tant que personne. Reconnaitre son identité et ses différences, c’est un véritable progrès. L’idée n’est pas que tout le monde s’aime, mais intègre par ces échanges les notions fondamentales des différences qui nous composent et qui nous enrichissent, tels nos cultes, nos coutumes, nos habitudes socialisantes.
À quatre ans, l’enfant se positionne sur lui-même : « Je suis différent parce que je suis noir ou métis, mais aussi parce que je crois en Dieu ou au Père Noël ». C’est normal, cela permet à l’enfant de bien se situer par rapport à ses pairs. Oui l’échange « philo », c’est d’abord cela chez le petit enfant ! Mais nous voyons aussi qu’avec la régularité de la mise en place réflexive, ils aborderont mieux les concepts. L’intérêt est de créer un éveil de la réflexion philosophique dès le plus jeune âge. Et pourquoi ne pas dire philosophie si cela conduit vers la construction de concepts, si la base des questions est sur des thèmes essentiels de la vie ?
J’ai l’impression que, traditionnellement, on ne cherche pas à comprendre le poids des mots : apprendre, travail, effort, réflexion, mort, grandir, amour. On les prend peut-être pour acquis. Mais formaliser le plaisir de réfléchir à ces notions, d’en parler avec les personnes de son âge, c’est aussi prendre conscience de leur importance, ne croyez-vous pas ?
Quand sont venus les sujets de la mort ou des différences, nous étions frappés par ce que cela a provoqué dans les familles : certains sujets ne sont pas abordés, car ils sont tabous. Cela met en relief certaines questions : comment vivre ensemble si on ne peut pas parler de ce qui est commun à tous ?

Qu’espérez-vous avec la sortie de ce film ?

Mettre en avant cette pratique qui peut avoir du sens aussi en élémentaire et au collège pour que les enfants abordent la terminale avec un bagage réflexif plus important en philosophie, mais aussi sur les autres matières, c’est vraiment une évolution transversale. Je crois que cela propose aux professeurs de philosophie un véritable accompagnement à saisir, cette approche ne peut qu’enrichir tout le monde.
Il ne faut pas faire porter aux ateliers à visée philosophique un espoir démesuré, mais leur reconnaitre des qualités pédagogiques transversales importantes. Ils ont une belle place dans le cadre scolaire par le bonheur pédagogique souligné par les enseignants, mais aussi par les enfants et leurs parents. Il n’y a pas besoin d’un investissement lourd pour sa mise en place au niveau de l’institution, mais d’une concertation avec les acteurs qui travaillent depuis trente ans sur le sujet. Il faut aussi permettre un accompagnement pour ceux qui souhaitent démarrer et une bonne grosse dose de volonté politique.
Cela va peut-être à l’encontre de ce qui se fait pour l’instant. Nous espérons que le film apportera une réflexion de fond. L’idée est de donner à tous un témoignage, afin que chacun s’approprie ce qu’il ressent à travers cette pratique. Nous ne voulions pas persuader, mais montrer, nous ne voulions pas prouver, mais laisser aux curieux le gout de poursuivre avec nous et créer un débat… Quand Jean-Pierre Pozzi, un des réalisateurs, nous a proposé le titre « Ce n’est qu’un début », c’est devenu une évidence.

Propos recueillis par Nicole Priou

Site : www.cenestquundebut.com