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« Ce n’est pas s’appauvrir que de lire la littérature jeunesse aujourd’hui »

Clémentine Pillon-Vallée

Enseignante de français au collège Pierre-de-la-Ramée de Saint-Quentin (Aisne), Clémentine Pillon est passionnée de littérature jeunesse et partage sa passion sans compter heures et deniers. Rencontre avec une passionnée pour qui donner le gout de lire est un moyen sûr de rendre le chemin de la réussite accessible.

Comment amener ses élèves à lire avec plaisir ? Ce travail est le fruit d’années d’expériences dans l’enseignement, de questionnements, de tâtonnements. Clémentine Pillon a d’abord puisé dans ses régals littéraires d’adolescente avide de lecture pour leur communiquer ce sain virus. « Ils ont détesté Le Sagouin, ce livre qui a influencé ma vie », a constaté Clémentine. « On n’a pas affaire à des élèves qui nous ressemblent. » Devant le faible engouement suscité, elle s’est interrogée pour trouver un moyen de rencontrer les gouts de ses élèves plutôt que de tenter d’imposer les siens. Madame Duchamp, documentaliste dans son collège, lui fait découvrir la littérature jeunesse. Elle sent tenir là une clé pour que ses élèves soient aussi des lecteurs.L’évolution des pratiques et goûts culturels est particulièrement forte avec l’émergence du numérique.

La littérature jeunesse a aussi changé, loin désormais des quelques séries incontournables des bibliothèques vertes comme « Le Club des Cinq » ou « Fantomette ». Clémentine Pillon laisse de côté ses aprioris sur le genre, ou plutôt les genres de cette littérature, ses réserves souvent partagées par la majorité des enseignants de lettres. En rencontrant Madame Duchamp, c’est une immense bibliothèque qui s’est ouverte à elle, avec dans les rayonnages des pistes pédagogiques innombrables. Elle commence par intégrer les projets de la documentaliste en participant avec ses élèves au prix des Incorruptibles, Gr’Aisne de critique et à des défis lectures. Sa découverte incessante de nouveaux auteurs et les liens proposés par la diversité des thèmes avec les axes du programme en collège la mènent de la curiosité à la passion. Elle se dit « émerveillée par tout ce qui est publié aujourd’hui. Dans mon adolescence, je n’avais pas à accès à cette diversité ». Et puis rajoute-t-elle « ce n’est pas s’appauvrir que de lire la littérature jeunesse aujourd’hui. ». Au fil de ses lectures elle constate que celle-ci n’a rien à envier aux livres pour le public adulte, dans le style comme dans les sujets abordés.

Faire entrer

Les livres sont là mais comment les rendre accessibles ? La littérature jeunesse est peu publiée en édition de poche, trop chère pour des familles au revenu modeste. Les bibliothèques sont un univers dans lequel les collégiens vont peu. Les rayons enfance sont souvent bien garnis mais pas ceux pour l’adolescence, comme si l’étape intermédiaire vers la littérature adulte était optionnelle. C’est dans les CDI des établissements scolaires que les ados auront le plus de chance de trouver des livres à leur gout.

Là c’est la limite des budgets qui amoindrit la disponibilité. Alors, parce qu’elle a constaté rapidement l’effet positif de la littérature jeunesse sur les pratiques de ses élèves, Clémentine Pillon met la main à la poche pour constituer un fonds propre à alimenter le club lecture qu’elle anime dans son collège.

Aujourd’hui, une quarantaine d’élèves sont inscrits au club. La fréquentation a nécessité de doubler les créneaux horaires et, pour l’enseignante, d’accorder des temps lors des interclasses ou à la pause déjeuner pour laisser naître des échanges hors du cadre de la classe. Ce sont parfois les jeunes lecteurs qui signalent à Clémentine, un auteur, un ouvrage. Elle se plonge alors dans des genres vers lesquels elle n’irait pas spontanément, pour partir à la rencontre de l’univers des élèves afin à son tour de les amener vers les lectures classiques du programme.

« Imaginez… »

« C’est à l’enseignant d’aller au niveau de l’élève » explique Clémentine Pillon. Imposer Balzac est vain. En revanche, faire découvrir Balzac en passant par un roman jeunesse qui aborde un thème commun s’avère efficace. Dans la classe, Clémentine dispose de multiples astuces pour transmettre sa passion de la lecture. Elle raconte juste le début de l’histoire pour aiguiser la curiosité ou émet de feints interdits pour affuter l’appétit « ce livre est intéressant mais vous êtes encore trop jeunes pour le lire ». Elle puise dans les thèmes du quotidien pour favoriser une identification. Pour leur présenter Profil de Jay Asher et Carolyne Mack, elle leur dit simplement « Imaginez que vous allez sur votre profil Facebook et que vous voyez comment vous serez quand vous aurez trente ans. »

En cours de lecture cursive, elle autorise des digressions et s’autorise à rompre le rituel de la classe. Elle éteint la lumière pour lire la nouvelle fantastique « Le portable noir» issue du recueil La revanche de l’ombre rouge de Jean Molla. Ensuite, elle leur demande de raconter à leur tour par écrit la transformation d’un objet du quotidien en objet fantastique.

Ce passage par la littérature jeunesse favorise aussi la production d’écrits. Les élèves prennent plaisir à raconter des histoires et les notes s’en ressentent avec une moyenne de 12 en rédaction pour la classe la plus faible. Les récits demandés empruntent les thèmes du roman jeunesse présents également dans le programme. Le merveilleux, le fantastique, le récit d’aventure, les possibilités sont larges. Pour le récit d’aventure, Clémentine Vallée a proposé : « Imaginez qu’en course d’orientation vous vous retrouvez coincé dans un gouffre avec l’élève que vous détestez le plus. »

Elle se régale à son tour à la lecture des productions, constatant que les collégiens même les moins enclins au travail scolaire se piquent au jeu. Il est alors plus aisé pour elle d’aborder la littérature classique prévue par le programme. Prendre au sérieux la littérature jeunesse permet de replacer la lecture sur un chemin d’apprentissage progressif où chacun trouve sa place de lecteur.

PARTAGER SANS COMPTER

C’est le gout de la lecture qui a conduit Clémentine Vallée vers le métier d’enseignante. Ce goût, à son tour elle le transmet, le partage au sein de son établissement et au-delà. La réussite de ce partage repose sur une réflexion et un engagement pédagogiques qui débordent les murs de la classe vers la sphère personnelle de l’enseignante. Elle estime à 10 % de son salaire, les sommes investies pour l’achat des ouvrages. Sur 264 livres, quatre lui ont été offerts. La littérature jeunesse, comme les belles passions dévorantes, se partage sans compter. Derrière l’apparente légèreté, l’enjeu est d’importance pour les élèves, celui d’investir pleinement la lecture et l’écriture.

Monique Royer