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C’est quoi être une fille ? C’est quoi être un garçon ?

Lucie Caron

Lucie Caron

Ce petit livre illustré est le dernier-né de la collection des questions plein la tête chez Bayard Jeunesse. On y trouve une quarantaine de questions que se posent les enfants sur les rapports entre les hommes et les femmes, entre les filles et les garçons. Les enfants questionnent l’appartenance à un groupe sexué. Que signifie cette appartenance d’un point de vue social ? « Pourquoi les filles sont souvent plus appliquées et soigneuses que les garçons ? » Qu’est-ce que ça implique en terme de physiologie ? « Pourquoi les garçons ont-ils plus de poils et de muscles que les filles ? »

Tous les ouvrages de cette collection s’articulent de la même façon : aux questions d’enfants répondent des spécialistes, dont les mots experts sont traduits par des auteurs de littérature jeunesse. L’idée est bonne, toutefois des imprécisions ou des maladresses peuvent faire tiquer…

Au fil des pages, les questions s’enchainent, on entendrait presque la voix des enfants qui les posent. « On a reformulé les questions uniquement lorsque la compréhension le nécessitait », précise Florence Lotthé Glaser, auteure de littérature jeunesse et corédactrice du livre. Dans les classes, elle explique aux enfants le projet du livre, et procède en trois temps pour recueillir les questions. Un temps en non-mixité, pour éviter l’autocensure, où les questions fusent. Ensuite un temps en groupe-classe. Elle laisse enfin une boîte à questions : les enfants peuvent interroger leurs constats et partager leurs doutes plus discrètement et anonymement. « L’intérêt d’avoir été dans dans deux écoles différentes – une école publique à Meudon, banlieue parisienne aisée, et une école privée dans un coin plus difficile, à Montmagny au Nord de Paris – c’était de voir quelles questions revenaient de toutes parts, s’il y en avait certaines plus particulières d’autres. Avec ça, on balaye bien la palette des questions que les enfants peuvent se poser sur la question des relations filles garçons, des stéréotypes, même s’ils ne les appellent pas comme ça et qu’ils les véhiculent eux-mêmes… ». Dans un second temps, le spécialiste Stéphane Clerget, pédopsychiatre de renom et auteur de plusieurs ouvrages, offre des réponses techniques aux questions enfantines. Enfin, Florence Lotthé Glaser rend les réponses scientifiques accessibles aux enfants et leur travail est accompagné des dessins drôles et mordants d’Anne Rouquette, l’illustratrice du livre.

L’idée est bonne : le travail dans les écoles, la voix des enfants… mais peut-être qu’un pédopsychiatre ne peut pas s’improviser sociologue. Déjà, des imprécisions « scientifiques » peuvent surprendre : on lit, entre autre, qu’il faut une « union amoureuse des corps de l’homme et de la femme » pour avoir à un bébé… mais aïe ! Depuis quand l’amour se mêle-t-il de la fécondité ? C’est la seule fusion des gamètes mâles et femelles qui le permet… Même pas besoin d’une « union sexuelle des corps », qui serait pourtant une expression plus adéquate. Ou bien les bébés éprouvettes n’existent pas. On comprend aussi dans l’encadré « Il y a un âge pour tout » que c’est à la ménopause, vers 50 ans, qu’une femme ne peut plus avoir d’enfant, alors que la fécondité baisse très fortement à partir de 37 ans. Aussi il est écrit qu’autrefois, la place des femmes était essentiellement « à la maison » mais qu’aujourd’hui « les choses ont changé » : là encore, attention à l’inexactitude ! On pourrait comprendre qu’hommes et femmes sont également impliqués dans les tâches ménagères, ce qui est loin d’être le cas, et il ne faut pas aller très loin pour trouver l’information : on lit sur le site de l’Insee « l’inégalité du partage des tâches domestiques continue d’être d’autant plus forte que les ménages comptent des enfants. Le temps passé par les pères à s’occuper de leurs enfants a certes augmenté sur les dix dernières années, mais les femmes s’en occupent plus également, si bien que les inégalités selon le sexe restent inchangées. En général, les tâches domestiques ne sont pas très appréciées par les personnes qui les effectuent et plus les activités sont considérées comme des corvées, plus l’écart de participation entre les hommes et les femmes est important. » Attention aux fausses représentations qui pourraient s’enraciner… Il n’est pas impossible de fournir aux jeunes lecteurs des réponses simples mais justes.

Malgré tout, il y a des points positifs, tel le rappel de la loi concernant l’homophobie. Les invitations à la tolérance sont plaisantes et nombreuses, tandis qu’une grande priorité de l’institution scolaire est de lutter contre le harcèlement dont certains enfants sont victimes, en raison du sexe ou de l’orientation sexuelle. En ce sens, le livre peut constituer un petit outil de lutte de contre les discriminations, par des utilisateurs avertis.

Lucie Caron