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C’est d’abord en classe qu’il faut travailler

Une chose est certaine : une bonne partie des élèves de mon lycée ne font, en guise de travail « à la maison », au plus que les devoirs qui sont obligatoires, ramassés et notés, et ils les font le plus souvent très vite, avec l’aide plus ou moins active ou résignée des camarades qui les « aident » en leur « montrant » leur copie. Ce constat peu encourageant mérite qu’on l’étudie quelque peu : pourquoi cette attitude des élèves ? Quels effets a-t-elle sur leur scolarité ?

J’ai posé quelques questions à ce sujet à un groupe de mes élèves : doublants de seconde, pas très motivés, ayant connu l’échec, pas vraiment les élèves modèles.
La quasi totalité disent : « Le travail à la maison est utile, il permet d’apprendre, de mémoriser, de s’entraîner ». Mais d’autres mots accompagnent cette opinion : « Cela sert à mieux comprendre, à ne pas être perdu, à savoir si on a compris, ce qu’on a compris ou pas ». Et pourtant, plusieurs disent : « il faudrait le supprimer », en tout cas le réduire, le changer et « travailler plus en classe », même si la plupart hésitent à aller aussi loin. Idées contradictoires d’adolescents qui ne voient qu’un gain de temps de loisir ? Il me semble qu’il faut plutôt entendre là l’expression du sentiment que ce qu’on fait en classe est peu productif, qu’on en sort en n’ayant pas compris, pas mis en place la mémorisation, en étant même souvent perdu.

Alors, le travail à la maison, pour ceux qui ont un minimum de souci de réussir, cela sert surtout à essayer de combler ces manques du travail en classe, grâce au temps qu’on peut prendre et à l’aide des autres. Mais en même temps, ce travail à la maison est souvent un moment où, faute d’avoir de l’aide, on rencontre des « problèmes de compréhension » et où on abandonne très vite. Mes élèves sont sérieux, ils essaient de faire ce qu’on leur dit de faire, mais, ils disent, en minimisant le problème : « Comme tout le monde, des fois, on survole ». Car c’est un travail dont les élèves ne voient pas le bénéfice : il n’a pas de reconnaissance claire (les profs contrôlent « en regardant vite fait »), et ils ont souvent l’impression qu’un gros effort supplémentaire pour réviser avant un contrôle a produit une note aussi mauvaise que d’habitude. Certains ont pu négliger cette obligation au collège, parce qu’un minimum d’écoute et le rythme du collège leur permettaient d’y arriver couci-couça quand même. Ils n’ont pas pris l’habitude. Alors, entre la contrainte que représente le travail à la maison, la « fatigue » et le « manque de temps », et le peu d’effet qu’il a, on le fait « si le professeur le ramasse ».

L’une des différences principales par rapport au collège, dans les milieux familiaux de la plupart de mes élèves, c’est que les parents ne contrôlent plus, en tout cas, de loin, « du moment qu’ils me voient avec un cahier et un stylo ». Cette interruption du contrôle parental est brusque, à l’entrée en seconde, et cela a un effet catastrophique sur beaucoup d’élèves, qui, en même temps, trouvent la liberté du lycée, le sentiment d’être « autonomes », les emplois du temps à trous et les longues journées avant le bus du soir. Par contre, l’intervention régulière chez quelques uns de cours particuliers, d’un frère étudiant, ou d’un voisin complaisant peut avoir des effets très positifs si elle permet d’apprendre à travailler ; elle peut aussi complètement fausser le jeu, en dopant des notes, de façon à permettre le passage dans la première souhaitée : l’aide ne peut alors plus s’arrêter avant le bac…

Les pratiques ordinaires des enseignants

Les professeurs, de leur côté, savent très bien comment est fait le travail à la maison. Ils continuent à donner des exercices, des préparations, des devoirs-maison, et surtout à contrôler et sanctionner de façons très diverses : du simple regard réprobateur en passant dans l’allée à la retenue le mercredi pour un devoir maison non rendu. Certains acceptent des délais très élastiques, certains donnent des devoirs facultatifs seulement… Beaucoup déplorent la qualité du travail fait par les élèves, et en même temps leur manque de travail. Mais ils en donnent, parce qu’il faut en donner, et avec la multiplication des matières, ça fait effectivement beaucoup, beaucoup de petits travaux, et quelques « gros » qui ont tendance à tous tomber en même temps. Au-delà, peu de propositions concrètes. Très peu de professeurs défendent l’idée qu’en plus du travail «explicitement donné », les élèves doivent seuls, de façon autonome, penser à apprendre les leçons, ouvrir le livre, revoir les devoirs rendus, etc. Personne ne leur dit qu’il faut le faire, et surtout, personne n’a la moindre idée qu’il faudrait leur montrer comment le faire : ce n’est pas disciplinaire, donc on n’en parle pas. Il y a un changement de « règle du jeu » lors du passage du collège au lycée, mais il reste le plus souvent implicite, et les élèves qui ne le décodent pas en subissent les conséquences.

Modestes propositions

Il me semble que l’une des clés principales de la réussite au lycée et du lycée est dans la façon de modifier cette situation de fait.
Faire que chaque élève travaille vraiment en classe, qu’il sorte de cours non pas avec un cours écrit dans le cahier et « à apprendre », mais en ayant compris, avec les repères nécessaires pour être autonome ;
Faciliter l’organisation du temps de travail des élèves en coordonnant les disciplines, en définissant un programme de travail qui permette l’anticipation (de nombreux collègues annoncent aujourd’hui un contrôle qui « aura lieu après-demain, sur le chapitre que nous finissons aujourd’hui ») ;

Ne pas noter -ne jamais noter- le travail à la maison, qui doit être clairement affirmé comme une étape de l’apprentissage, mais le contrôler, le réutiliser systématiquement pour avancer ou pas, pour choisir le travail suivant, pour revenir sur une notion.
Travailler plus sur le temps long : sur le mois plus que sur la semaine. Ne pas s’obliger à donner toujours un exercice à la fin du cours, il est des jours où ça ne s’impose pas ;
Ne jamais donner à faire seul, hors classe, un travail de recherche, de préparation d’exposé, de compléments culturels, qui ne profitent qu’à ceux qui n’en ont pas besoin : faire ce travail là toujours en classe.

Tout cela demande certainement du temps, en classe, qu’il faut prendre en modifiant la façon de « faire le programme », mais surtout un autre regard sur le travail du professeur, une autre place donnée à sa parole, et à ce que je souhaite chaque jour entendre en classe, « le doux bruissement des élèves au travail ».

Françoise Colsaët, Professeure de mathématiques en lycée à Cavaillon.