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C’est au pied du mur qu’on invente l’échelle

J’enseigne dans un établissement que je qualifierais de normal. Les militants pédagogiques n’y sont ni plus ni moins représentés que les idéologues anti-réforme. En réalité, nous sommes tous soucieux de bien faire, au service des élèves. Mais beaucoup de mes collègues sont perplexes et inquiets face à la somme des changements à entreprendre. On relève parfois une certaine lassitude, pour ceux qui ont vu passer trop de réformes classées sans suite ou sans effet notable. Bref, rien que de très naturel me semble-t-il, et pourtant, nous avons de vraies raisons d’être confiants en notre capacité collective à modifier durablement nos pratiques !

Mon collège, de centre-ville, n’est déjà plus le même depuis dix ans : il y avait des classes de niveau, le socle commun y était resté un objet abstrait… Les mentalités ont bien évolué et nous n’avons pas attendu la rentrée 2016 pour cela, même si le mouvement s’accélère.

La rentrée et la suite…

Passées les polémiques stériles du printemps 2015, les premières inquiétudes ont porté sur la façon dont la refondation du collège allait impacter nos conditions de travail. Souvent présentée comme pédagogique, cette réforme n’en modifie pas moins le fonctionnement de l’établissement. Les deux sont étroitement liés : l’organisation influence directement notre potentiel pédagogique, mais dans la mesure du possible, c’est l’inverse qui est souhaitable.

Finalement, la parution d’une DHG (dotation horaire globale) à la hausse aura rassuré même les plus anxieux. Dans le flou général qui prévalait début 2016, nous avons choisi d’utiliser les « heures de marge » pour créer des groupes à effectif réduit, pour proposer l’option LCA et un groupe bilangue en 6e. Nous avons aussi conservé une réserve d’HSE (heures supplémentaires effectives), pour rémunérer ponctuellement des groupes de besoins ou du co-enseignement. De cette période, il ressort la fâcheuse impression d’avoir dû « mettre la charrue avant les bœufs ». Plus que la réflexion pédagogique, la priorité aura plutôt été d’éviter les services partagés, partant du principe qu’il est plus difficile de s’investir dans des projets sans une stabilité professionnelle.

L’hiver et le printemps 2016 auront été marqués par le plan académique de formation. Les retours des uns et des autres montrent que ces journées se sont assez bien passées malgré les menaces de sabotage ou de « résistance pédagogique ». Cependant, la qualité a pu être assez variable en fonction des disciplines et des formateurs. C’est donc avec ce bagage hétérogène que nous avons tenté d’organiser l’AP, les EPI et l’évaluation pour la rentrée suivante.

AP et EPI

En ce qui concerne l’AP (accompagnement personnalisé) et faute d’information claire, nous avons simplement convenu que les heures en groupes réduits facilitaient un accompagnement personnalisé. Puis nous avons estimé le temps que chaque matière consacre à une pédagogie différenciée, dans le cadre de son horaire. Pour les EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires), nous n’avons pas manqué d’idées et de projets, même si dans les faits, il s’est agi le plus souvent de trouver une thématique commune permettant une approche transdisciplinaire (parallèle) plutôt qu’interdisciplinaire (croisée).

Ce n’est pas totalement satisfaisant, ni pour l’AP ni pour les EPI… Pour l’instant, car nous sommes plusieurs à mesurer les déficiences de nos choix pédagogiques et à vouloir les faire évoluer à l’avenir. Un des points positifs nous vient de la confection des emplois du temps. Il y a, dans la semaine, jusqu’à cinq créneaux horaires sur lesquels toutes les classes et tous les enseignants sont disponibles. Cela nous permet de proposer des groupes à géométrie variable, de la co-animation, mais aussi d’organiser des heures de vie de classe ou de se concerter.

À la rentrée 2016, nous avons dû faire des choix dans l’urgence sur la question de l’évaluation. Le principal a tranché : des bulletins sans notes (même si chacun reste libre d’en mettre) et l’obligation pour tous de renseigner le socle et de positionner les élèves sur quatre niveaux de maîtrise dans sa discipline.

On touche ici un point sensible, qui est loin de faire l’unanimité et peut même provoquer des tensions dans l’équipe. Pour y remédier et pour nous constituer une culture commune, nous avons demandé une formation d’établissement. Dès la première journée, nous avons progressé collectivement sur le choix de compétences transversales et la rédaction de critères ou d’indicateurs partagés par tous. Le rôle de la formation continue est ici essentiel, même si celle-ci n’a pas toujours bonne presse.

C’est dur de changer les pratiques !

Sur bien des sujets (évaluation, différenciation, pédagogie de projet, co-enseignement), certains collègues sont heurtés dans leurs convictions et leurs pratiques. Comment leur en vouloir ? Il y a une certaine violence à décréter un changement immédiat dans tous les domaines d’un métier déjà difficile. Alors, il n’est pas question de reporter la réforme, mais il faut être raisonnable dans son déploiement, sans quoi l’épuisement nous guette. Oui on avance, pas à pas, en tâtonnant, parfois en se trompant, mais finalement bien mieux qu’on l’imaginait…

À ce stade, nous, les militants pédagogiques de terrain avons un rôle capital à jouer. Nous devons nous mettre au service de nos collègues pour les accompagner progressivement vers un changement des pratiques. Il faut le faire en toute humilité, car l’on nous taxe souvent de donneurs de leçons, parfois à raison. Les doutes qui se font jour, les questions qui se posent, nous les connaissons pour les avoir déjà éprouvés.

Je le constate au quotidien : les choses sont en train de bouger. À table, dans la salle des profs, on parle de pédagogie, de compétences ou de contenu des bulletins, plutôt que (ou en plus) de Kévin qui s’est encore fait remarquer. La réussite de cette réforme, si on la souhaite, passera par notre capacité collective à partager nos expériences, par des publications, mais surtout par notre investissement dans nos établissements respectifs. Mais justement, ne sommes-nous pas des pédagogues ?

Laurent Calmon
Professeur de technologie au collège Les Capucins de Châteauroux (36) et formateur

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