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«Bien sûr, “ce n’était pas mieux avant”, mais ce n’est pas mieux aujourd’hui.»

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La relation entre l’école et les parents d’élèves est-elle un sujet de réflexion de longue date pour les Cahiers pédagogiques ?
Quand on relit les Cahiers sur une quarantaine d’années – à partir de la fin des années 60, pour être précis – on peut aisément constater que la relation École/Famille a toujours été une préoccupation des rédacteurs comme, donc, de leurs lecteurs. Ainsi, dans la foulée de Mai 68, à l’époque de l’idéologie de la «participation» qui prétendait, officiellement, en finir avec les pratiques et habitudes de «l’ancien monde», plusieurs articles se félicitaient de changements considérés pédagogiquement comme nécessaires et évidents… la suppression des notes, notamment ! (On sait ce qu’il en est advenu, y compris dans l’essai de limiter le classement des travaux sous la forme d’une répartition selon une échelle simplifiée de A à E.) Il s’agissait ainsi d’expliquer la chose aux parents qui venaient tout juste – circulaire Edgar Faure de mai 1969 – d’être reconnus comme partenaires au sein des Conseils d’école. En fait, ce sont les enseignant-e-s qui, déjà très majoritairement réactionnaires, refusèrent le (s) changement (s).

Est-ce que des choses vous ont surpris lors de cette compilation ? Des enjeux totalement disparus ou au contraire toujours pas réglés alors qu’on aurait pu penser qu’ils le seraient ?
En fait, ce qui m’a vraiment surpris, bien qu’ayant «vécu» toute cette période, c’est de constater que pratiquement rien n’a changé vraiment. (Re) lire en particulier ce qui s’écrivait dans les années 70, 80, 90, c’est constater que, pour l’essentiel, la situation actuelle était déjà décrite alors. Bien sûr, «ce n’était pas mieux avant», mais ce n’est pas mieux aujourd’hui. De ce point de vue, heureusement, cette compilation témoigne de la richesse des réflexions et propositions de naguère : on peut par exemple y (re) trouver des descriptions d’expériences, des analyses précises sur les vécus sociaux différenciés des rencontres professionnel-le-s/familles.

Autre constat, au début des années 80, la possibilité d’un gouvernement de gauche en France ne semblait pas encore une utopie ; aujourd’hui, dans les écrits des militant-e-s pédagogiques, la déception est telle que le positionnement politique est bien moindre : les réflexions sont devenues beaucoup plus techniques qu’idéologiques.

Y a-t-il des constantes qui se dégagent dans les expériences et les pistes évoquées dans ces articles ?
La constante essentielle, c’est, évidemment, l’existence d’un travail en équipe. Groupe de profs voire établissement au complet, il s’agit toujours qu’un collectif organisé qui permet de faire entrer Les parents dans l’école comme titrait le numéro 237 des Cahiers en octobre 1986. L’équipe autorise une réflexion diversifiée, sur les pratiques d’évaluation ou sur l’aide aux devoirs par exemples, elle ritualise les relations, elle aide à prendre en compte les dissonances culturelles liées à la diversité des familles. Ensuite, il s’agit grâce à elle d’institutionnaliser des pratiques en particulier (accueil quotidien en primaire, rencontres systématiques à des horaires où les parents sont disponibles, remise directe du bulletin trimestriel…) pour que ce soit l’ensemble des parents qui soit amené à participer aux échanges, sinon – et c’est un problème non négligeable pour la représentation par délégation et pour les Fédérations de parents – le risque est grand que s’impliquent uniquement des adultes aux intérêts socialement proches.

Si la question se pose encore aujourd’hui malgré tout cela, quels sont les freins à l’établissement d’une véritable coéducation entre parents et équipes, et comment les lever ?
La revendication autour de la coéducation, portée en particulier par la FCPE, a bien débouché sur la reprise de la notion y compris dans les textes officiels, mais, concrètement, force est de constater que bien peu de choses ont vraiment progressé. Certes, des délégué-e-s de parents siègent dans les différents Conseils, du primaire au lycée, bien des expériences locales fort riches liant familles et éducateurs existent, mais dans une période où la représentativité des fédérations comme celle des syndicats va déclinante, alors que l’individualisme dans notre société va triomphant, et où la notion de « travail en équipe » est, chez les enseignant-e-s en particulier, loin d’être prisée, le militantisme et l’engagement pédagogiques sont plus que jamais nécessaires. Et ce n’est malheureusement pas la formation actuelle – moins « professionnelle » que jamais dans les Espé où, de plus, l’allongement des études privilégie un recrutement socialement similaire – qui permet d’être, à brève échéance, d’un optimisme béat.

Reste donc à continuer, comme hier, de militer individuellement et collectivement, en suscitant des rencontres en personne – pas simple dans un univers où les échanges se font de plus en plus souvent à distance – avec les collègues d’abord au sein des établissements pour les convaincre encore et toujours de la nécessité du travail en équipes, avec les partenaires ensuite : les parents bien sûr, mais aussi l’ensemble de celles et ceux qui participent à l’éducation des jeunes, en particulier ceux représentés au sein du CAPE (Collectif des associations partenaires de l’École).