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Avril 1963, dans les Cahiers pédagogiques : Manifeste pour l’Éducation nationale

Construire l’école de notre temps

[…] Il faut en finir avec le cloisonnement des enseignements parallèles distribués à des enfants de même âge mais d’origine sociale différente. [Après les] magnifiques réalisations de la IIIe République, il faut construire jusqu’au bout l’école unique.
L’école moyenne, création originale, délicate à mettre en place, mais indispensable, doit permettre, après l’école primaire, cette véritable orientation sans laquelle notre société continuera à gaspiller son bien le plus précieux : les qualités diverses de sa jeunesse. L’école secondaire [[En termes actuels, l’école moyenne est le collège et l’école secondaire le lycée.]] qui lui fera suite conservera les vertus de la formation classique qui a fait ses preuves, mais comportera sur un pied d’égalité complète les sections modernes et techniques qui ne seront plus des parentes pauvres ni des étrangères. L’enseignement supérieur devra offrir à un public considérablement élargi les diverses formations théoriques ou pratiques spécialisées. La promotion du travail [et des] centres culturels populaires [favoriseront] cette éducation permanente qui est une des conditions d’existence de la démocratie moderne.

Un humanisme vivant

[…] La journée de l’élève n’est pas élastique, [et] l’encyclopédisme auquel prétendent encore vainement les programmes est devenu absolument impossible. « Des clartés de tout », l’expression n’a plus de sens de notre temps. Il faut choisir. On peut songer à délimiter un minimum commun à tous les élèves, par exemple l’usage de la langue maternelle, l’éducation civique et physique, l’apprentissage d’une langue étrangère, l’initiation au langage mathématique, à l’expression graphique. Il faudra également définir, pour le cycle d’orientation, une série d’options d’essai et, pour le second cycle, un choix de disciplines spécialisées, conçues comme éléments d’une culture personnelle, en vertu de ce principe que seul un travail approfondi fait franchir à l’esprit une étape intellectuelle.

Tant que toutes les spécialités continueront à tirer chacune de leur côté la couverture inextensible de l’emploi du temps, il est inutile d’espérer distribuer une formation en profondeur. De cette succession kaléïdoscopique d’heures de toutes sortes ne peut naître qu’un tourbillon éphémère, fruit d’un travail nécessairement hâtif et superficiel. Arrêtons le massacre.

Une pédagogie renouvelée

Vingt-cinq élèves, [c’est encore trop] pour que le maître puisse véritablement enseigner à apprendre. Il faut généraliser la répartition par demi-classe pour ces heures de pédagogie méthodologique et d’enseignement individualisé. Toujours nécessaire sous ses diverses formes, le travail dirigé a un rôle particulier à jouer pour remédier au handicap que subissent à l’entrée en sixième les enfants issus d’un milieu familial peu intellectuel. Tout le travail pédagogique concret doit être fondé sur la connaissance de l’enfant, tel que peut l’observer chacun des professeurs, [et sur] la psychologie de l’enfant et de l’adolescent. Il est inutile de remplir une cervelle de notions qu’elle ne peut assimiler.

C’est l’élève qui doit s’approprier le savoir, et personne ne peut le faire à sa place, surtout pas le maître.

Le cours magistral et le livre, qui ne donnent le résultat que tout élaboré, ne doivent pas être la règle, mais l’exception. [Mais, comme les] méthodes non dogmatiques sont plus lentes, leur utilisation suppose donc une plus grande liberté vis-à-vis des programmes.

Dans nos classes, on parle trop souvent du passé – que par surcroît on idéalise. Que de temps en temps aussi on étudie le présent pour lui-même, qu’on invite les jeunes à concevoir cet avenir qui les attend et que, dans une certaine mesure, ils feront. Que chaque discipline enfin soit repensée en fonction des besoins présents de l’homme concret.

Une éducation républicaine

Inutile de parler de démocratisation de l’enseignement, si on n’accepte pas un 14 Juillet scolaire, qui donnera aux grands adolescents en particulier, les moyens et l’habitude d’exercer leur responsabilité, d’apprendre l’usage de leur liberté, d’acquérir le goût de l’initiative.

L’école doit faire l’apprentissage de la vie sociale, elle doit être la première république à laquelle participe activement la jeunesse. Sinon, il n’y aura plus en France qu’une démocratie sans démocrates.

Cela suppose le strict respect du caractère laïque de l’école publique et par voie de conséquence heureuse la fin de l’écartèlement de la jeunesse (et du pays) en clientèles adverses.

Les maîtres

[…] La formation des maîtres doit comprendre une formation professionnelle, une information psychologique et pédagogique qui a ses classiques : Dewey, Makarenko, Decroly ou Freinet. [Parce que] le métier d’enseignant, de par sa nature même, est un des plus menacés par la routine, les stages régionaux, les rencontres d’équipes locales doivent être fréquents. C’est auprès de ses collègues qu’on apprend son métier. [Des] séjours à l’étranger montrent que les formes auxquelles nous sommes habitués, trop habitués, n’ont rien de sacro-saint et qu’on peut fort bien s’organiser autrement.

La préparation d’examens et de concours difficiles a en soi quelque chose de stérilisant. La fameuse culture générale pour laquelle nous aimons nous battre, c’est d’abord aux enseignants qu’il faut l’assurer, dans le temps même de leur formation. Les centres de formation des maîtres doivent être largement ouverts sur le monde extérieur : aux professeurs aussi, l’étude du milieu ferait le plus grand bien. Des rencontres avec des jeunes des autres corporations seraient également profitables. Pourquoi pas, au cours d’une année sabbatique, des stages dans des professions différentes, ne serait-ce que pour s’aérer et connaître quelque peu ce monde auquel nous prétendons préparer nos élèves ?

Une préparation, complémentaire serait donnée aux différentes catégories de professeurs, [dans des] « périodes », à raison d’un mois tous les trois ans par exemple.

Il faut que cesse au plus vite ce fait scandaleux que les jeunes gens les mieux doués pour l’enseignement se détournent de ces carrières au profit de situations moins dévalorisées. Il en sera pourtant ainsi tant qu’un professeur certifié par exemple ne recevra pendant ses années de début qu’un traitement un peu supérieur à 800 francs.[[800 F de 1963 font à peu près 5 900 F de 2002, ou 900€.
]] »

Si on nous prenait au mot…

La réforme devrait commencer par une période de fermentation pédagogique et de libre discussion. Que l’on organise partout des congrès, des journées, des rencontres, des commissions d’études, non pour appliquer un projet, un seul, déjà adopté, mais pour en concevoir plusieurs.

La réforme proprement dite serait réalisée progressivement, là où seraient assurées les conditions nécessaires concernant les locaux, les effectifs, le nombre et la qualification scientifique et pédagogique des maîtres, la fusion des personnels et la polyvalence des établissements. Ainsi la réforme, plutôt que générale et superficielle, serait localisée, mais réelle. Sans cet ensemble de dispositions, il est inutile de lancer une réforme de l’enseignement. Il serait même dangereux de le faire. Faute de crédits, faute d’équipement, faute de personnel, l’application sera forcément caricaturale, et d’excellentes idées se trouveront plus ou moins durablement dévalorisées.

[Mais] certaines mesures, sans constituer par elles-mêmes une réforme, permettraient de préparer la réforme ultérieure et de freiner la faillite qui nous menace : la clause du ministère le plus favorisé, la décentralisation, l’ouverture de nouveaux établissements techniques, la création d’un fonds régional pour soutenir, sous contrôle et après approbation, les initiatives pédagogiques les plus utiles, la formation accélérée de nouveaux maîtres et l’information des anciens, la mise à l’étude, par des commissions compétentes, de nouveaux programmes permettant d’éliminer l’encyclopédisme au profit d’une véritable culture.


« Un jour, peut-être, le dégel ? »

Georges Hervé anime le réseau REVEIL[[La version électronique de la LETTRE DE REVEIL est diffusée gratuitement sans obligation d’adhésion à l’association. Elle peut être librement rediffusée auprès des personnes et des groupes intéressés. Pour la recevoir directement, il suffit de signaler votre adresse électronique à assoreveil@wanadoo.fr. Site : http://assoreveil.org ]]. C’est aussi un compagnon des premières heures des Cahiers pédagogiques. Dans le n° 48 de 1964, il a écrit un texte sur lequel nous lui avons demandé de réagir avec le recul de quelque quarante années de militantisme pédagogique.

« En face de cette évolution dramatique de notre temps, certains, rares il est vrai, jouent les censeurs et réclament un impossible retour en arrière. D’autres, au contraire, ont affirmé depuis plusieurs années déjà la nécessité d’une éducation totalement repensée, d’une éducation tournée vers le monde présent et à venir, mais aussi d’une éducation permanente. Leur voix n’a guère été entendue.
Quelques associations privées ont bien cherché à suppléer à cette carence de notre société en matière d’éducation. Mais leurs moyens étaient limités, leur implantation sporadique et leurs mobiles pas toujours exempts d’un certain paternalisme. Trop souvent, d’ailleurs, elles n’avaient pour effet que d’accentuer des injustices sociales déjà flagrantes.

L’éducation permanente est l’aide que la société doit apporter à tous ses membres pour leur permettre de s’adapter aux conditions de vie toujours nouvelles. Assurer une éducation permanente à tous ses membres est un devoir comme c’était jadis un devoir d’assurer l’instruction à tous les enfants. C’est donc à un organisme d’État qu’il revient d’assurer cette éducation permanente.

Or l’école – à tous ses niveaux – est le seul organisme capable d’assumer cette tâche. […]

Bien sûr, on ne pourra pas se contenter de l’architecture sommaire actuelle. Déjà les simples classes étouffent dans leurs cubes non fonctionnels. Le foyer socioculturel devra comprendre, autour de salles spacieuses, des ateliers pour les travaux de groupes. Il lui faudra également une bibliothèque, un auditorium, une salle de fêtes et de réunions, des ateliers spécialisés tels que laboratoires photo, un stade et des espaces verts naturels pour les jeux et activités de plein air.

Quant à son personnel, outre des instituteurs, il devra comporter les éducateurs pour enfants et adolescents, des éducateurs pour adultes, des instructeurs, ces derniers souvent bénévoles[…]

Pour assurer l’unité de la maison, il semble que le temps de travail des instituteurs devrait être réparti entre la classe proprement dite, les activités non spécifiquement scolaires des enfants (où ils seraient assistés par des éducateurs) et l’éducation permanente des adultes (où d’autres éducateurs les épauleraient).

Ainsi équipée et encadrée, l’école serait à même de remplir son triple rôle : éducatif, social et culturel. Elle apporterait aux enfants tout à la fois un complément de formation morale individuelle, une formation sociale et civique, une formation intellectuelle, une préparation au travail et aux loisirs. Quant aux adultes, ils y trouveraient, outre une information et un recyclage permanents, un lieu où pourrait se reformer leur sens social, où ils apprendraient à dominer les techniques de loisir, un lieu de culture adapté à leurs possibilités et à leurs besoins fondamentaux. »

Georges Hervé, Cahiers pédagogiques, n° 48, 1964.


La réaction de georges Hervé :

Quarante ans après : permanence d’une urgence.

Je suis d’abord frappé par l’actualité de ce texte dont je n’avais gardé aucun souvenir. La « révolution de l’école » était nécessaire il y a quarante ans ; quel mot serait assez fort pour en dire l’urgence aujourd’hui ?

Il faut resituer ce texte dans son contexte historique avant d’en venir à la situation actuelle. Au début des années soixante, une réflexion sur l’école se développait dans certains milieux enseignants, mais aussi parmi des non-enseignants, médecins, psychologues, parents d’élèves, etc. Cette réflexion était soutenue notamment par une revue, L’Éducation nationale, et deux de ses responsables, Gilles Ferry et Pierre-Bernard Marquet. C’est à leur initiative que des associations d’enseignants, de non-enseignants et des personnalités [[Comme Bertrand Schwartz, alors directeur de l’École des mines de Nancy et à l’origine d’une action d’éducation continuée décentralisée dans tout l’Est de la France, ou Roger Gall, directeur de la recherche pédagogique à l’IPN, ancêtre de l’INRP actuel.]] se rencontraient périodiquement. C’est d’ailleurs dans ce contexte que les CRAP sont nés, issus des Cahiers pédagogiques. Les idées que j’avançais dans cet article résultaient sans doute de mon expérience de jeune instituteur d’un village de la banlieue mulhousienne, mais aussi et surtout de cette réflexion collective. Elles s’inscrivaient dans l’histoire d’une idée, celle d’éducation permanente, dont il est sans doute bon de retracer brièvement l’évolution.

Prolonger l’instruction ébauchée par l’école primaire

Cette idée est antérieure à la fondation de l’école de la IIIe République, mais est inséparable des idées qui, au long du xixe siècle, conduiront à cette fondation. Jean Macé, imprégné de l’idée hugolienne qui affirmait que « le savoir dispense la liberté », créait la Ligue de l’enseignement dès 1866… Il ouvrait ainsi la voie aux nombreuses « sociétés » post et périscolaires d’éducation permanente qui furent créées dans toute la France, le plus souvent par des instituteurs, après la campagne de pétition pour l’instruction obligatoire (1871/72), avant même la loi sur les associations de 1901. Il faut se souvenir que jusque dans les années 1950 l’école primaire était la seule à accueillir 95 % des jeunes Français, pour une courte période de leur vie. Ces associations « après l’école » entendaient d’abord prolonger l’instruction ébauchée par l’école primaire, sans négliger pour autant son action éducative.

Faire face à l’évolution technique accélérée

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les rédacteurs du plan Langevin-Wallon faisaient une large place à l’éducation permanente dans la refonte, qu’ils jugeaient indispensable, du système scolaire français. L’accent était mis sur la nécessité d’adapter l’éducation à l’accélération de l’évolution de la société pour éviter, notamment, la rupture du lien entre les générations. Et, fait nouveau, l’éducation permanente devait permettre de faire face à l’évolution des métiers. Elle reposait essentiellement sur les enseignants de tous les ordres en liaison avec le monde associatif local.

Promouvoir de nouveaux repères sociaux

Au cours des années d’après-guerre, ce n’était plus simplement d’évolution qu’il s’agissait, mais d’une véritable mutation sociale qui bouleversait l’ordre ancien. La « fureur de vivre », la montée du consumérisme, etc., annonçaient le rejet de l’ordre ancien qualifié de bourgeois au printemps 1968, mais aussi la perte de repères de la société actuelle. Le système scolaire apparaissait, de son côté, comme complètement incapable de faire face aux besoins individuels et collectifs de l’époque. Cette contestation « dopait » les recherches sur le terrain [[Ces recherches étaient le plus souvent le fait d’enseignants agissant dans leurs classes ; mais elles poussaient aussi à projeter des actions plus coordonnées au sein d’établissements expérimentaux. Le lycée expérimental de Montgeron était de ceux-ci. Des groupes mettaient en chantier d’autres projets, comme celui du collège audio-visuel de Marly-le-Roi ou celui auquel travaillait l’AME pour Mulhouse (voir http://assoreveil.org/ame_1965 )]] et les réflexions des mouvements pédagogiques. Plus que jamais, la réorganisation de l’école devait se faire dans la perspective d’une éducation permanente. Celle-ci s’enrichissait d’une nouvelle dimension s’ajoutant aux précédentes : celle de promouvoir de nouveaux repères sociaux, autour des valeurs de solidarité, d’entraide, de coopération. Des associations d’éducation populaire s’efforçaient de répondre à ces besoins, mais, outre que ces actions étaient surtout organisées dans les villes et touchaient donc peu les populations rurales encore nombreuses, la liaison institutionnelle entre l’école et ces initiatives n’était pas réalisée. Or seule cette liaison devait permettre de couvrir vraiment tout le pays, de toucher toutes les populations et surtout d’initier une synergie entre le scolaire et le post et périscolaire. Je note d’ailleurs au passage que l’organisation de l’école primaire suggérée en 1964 préfigurait celle qui sera proposée par la Charte pour bâtir l’école du xxie siècle en 1999.

Quelle traduction ces idées ont-elles eu dans les faits ?

L’action de la Ligue de l’enseignement et des mouvements proches a été évoquée plus haut. Ajoutons simplement que ces mouvements ont eu une part déterminante dans la formation des responsables syndicaux d’avant-guerre et de l’immédiat après-guerre.

Si le plan Langevin-Wallon n’a pas été appliqué, avec les « 30 glorieuses » et le développement sans précédent de la technique industrielle, la nécessité d’assurer une « remise à niveau » professionnelle périodique au moins pour les cadres moyens (la maîtrise) amena des entreprises à se grouper pour assurer cette formation. Quant aux réformes de l’école qui se succédèrent depuis 1959, leur objectif, évidemment masqué sous des discours « démocratiques » (démagogiques ?), était fondamentalement d’« écrémer » les classes populaires. En ouvrant plus largement les portes de l’enseignement secondaire, elles ont donné naissance au mythe de « l’égalité des chances ». L’évolution exceptionnellement rapide de la technologie au cours des années 1960/80, en réclamant des cadres de plus en plus nombreux, a effectivement permis à des jeunes plus nombreux qu’auparavant de profiter de « l’ascenseur social », ce qui a conforté ce mythe. Aujourd’hui, on assiste au retour en force du principe des « héritiers » : jamais les « bons lycées » préparant aux « grandes écoles » n’ont été aussi courus par ceux qui ont l’information et les moyens nécessaires pour y engager leur progéniture. Pour les enfants des autres, les emplois sous-qualifiés ou le chômage sont de plus en plus souvent le seul avenir.

Les mouvements d’éducation populaire sont en net recul [[J’ai avancé quelques explications à ce recul dans une contribution à la Biennale 2000 : voir http://assoreveil.org/biennale2000.html ]]. Pour survivre, ils sont souvent obligés de devenir des prestataires de services dans une société de plus en plus marquée par le consumérisme. L’école tend à n’être pensée et organisée qu’en fonction du baccalauréat d’enseignement général (série scientifique de préférence), avec orientations successives par l’échec pouvant conduire, à différents niveaux, à l’exclusion des élèves jugés non aptes à poursuivre l’étude. Pour beaucoup, les savoirs ne sont que des moyens qu’il faut « acquérir » pour décrocher un examen ou un concours. L’idée d’éducation permanente est pourtant présente dans les discours officiels… et dans certains projets étrangers à l’école : ceux de l’ERT [[European Round Table, organisme de lobbying européen regroupant plus de 40 très grosses entreprises, souvent multinationales.

]], de l’OCDE [[Organisation de coopération et de développement économiques.]], de l’OMC [[Organisation mondiale du commerce.]].

Vers la marchandisation du savoir

Les projets de l’ERT sont nés de la nécessité d’assurer une formation professionnelle directe et indirecte aux salariés de l’industrie et des services, formation de plus en plus coûteuse pour les entreprises. D’où l’idée de recourir aux technologies modernes pour mettre en place un enseignement à distance [[Voir http://assoreveil.org/ert.html.]]. Les avantages y sont nombreux… pour les entreprises. Mais pour que ces salariés soient formés (voire conditionnés) à ce type de « d’éducation permanente », ils doivent avoir acquis un certain nombre de compétences de base ; d’où l’objectif fixé à la période scolaire : préparer les jeunes à ce type d’enseignement. Et quelle meilleure préparation que l’entraînement de plus en plus jeune ? La « marchandisation » du savoir est en route, ce qui renforce encore l’idéologie consumériste qui imprègne nos contemporains.

Éduquer ou instruire : un faux problème

Dans ce contexte, la question de savoir si l’école doit éduquer ou instruire m’apparaît comme une querelle sur le sexe des anges ! La société perd, dans la globalisation-marchandisation du monde, le peu de repères qui lui restaient ; la citoyenneté se dilue dans le consumérisme ; l’hyper-individualisme exacerbé détruit le lien social ; des abîmes se creusent entre les générations, entre des groupes sociaux, ouvrant la voie au repli en communautés hostiles les unes aux autres ; le « peuple d’en bas » est désinformé, manipulé, dupé, endormi par « ceux d’en haut » qui pensent pour lui et le mènent à vitesse accélérée vers le « meilleur des mondes » ; et ceux qui ont la charge de faire advenir la société de demain en formant les petits d’hommes, que font-ils pour leur permettre d’échapper à ce conditionnement ? Croient-ils qu’il leur suffit de « transmettre » les savoirs disciplinaires qu’ils ont acquis ?

Dans un monde globalisé où les « managers » prévoient que dans les vingt ou trente ans à venir, 20 % de la population active suffira à faire fonctionner l’économie mondiale, il reste à trouver des occupations pour « tenir » les 80 % restant : l’Américain Kissinger a inventé un nouveau concept pour désigner « le pain et les jeux » de la société moderne décadente : le « tititainement », mélange de Disneyland, de Coca Cola et de Mc Donald’s. Qui peut croire qu’un tel monde est viable ?

Un défi sans précédent : refonder l’école du XXIe siècle

Dans une société qui a rejeté ses repères moraux et civiques anciens, l’école est la seule instance à pouvoir faire émerger un nouvel humanisme fondé sur les valeurs de la république, la Liberté, l’Égalité et la Fraternité [[Et non sur la seule liberté individuelle qui fonde le paradigme de la domination par les plus forts ; qui s’appuie sur une idéologie socio-biologique pour justifier les inégalités et refuser l’idée même de fraternité.]] À pouvoir aider nos concitoyens à s’approprier les armes conceptuelles qui leur permettront d’échapper au conditionnement idéologique actuel, pour inverser la déshumanisation à marche forcée qui conduit à une violence de plus en plus omniprésente dans les relations inter-humaines.
L’école ou la guerre civile : ce titre d’un essai de Philippe Meirieu et Marc Guiraud résume bien ce qui est sans doute l’enjeu majeur de notre société. L’utopie ou la mort : titre d’un autre essai, celui de René Dumont le complète. « Un autre monde est possible » : oui, mais le mouvement anti-mondialisation a-t-il bien pris conscience de la nécessité de refonder les systèmes éducatifs pour le promouvoir ? Toutes les grandes questions qui se posent aujourd’hui conduisent, en dernière analyse, à la nécessité d’une autre éducation, d’une autre école. La refonder est l’affaire de tous : les professionnels ne peuvent que donner l’information pour éclairer les choix qui doivent être ceux de tous les citoyens ou du moins d’une large fraction. Il est de plus en plus urgent de sortir de nos cénacles pour nous attacher à initier le grand débat national, approfondi et prolongé sur les finalités de l’école du XXIème siècle.

Georges Hervé, mars 2003.