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Aux frontières de l’école, Institutions, acteurs et objets

Onze auteurs – dont Stéphane Bonnéry, Benjamin Moignard, Stéphanie Rubi, Pierre Périer, Patrick Rayou – pour cet ouvrage collectif dirigé par Patrick Rayou et issu de travaux de recherche du réseau interdisciplinaire Reseida. Les contributions sont organisées en dix chapitres regroupés en trois parties et s’intéressent à ce qui bouge « aux frontières de l’école » (titre du livre) : Des frontières à l’épreuve, Des lignes qui bougent, Des objets et des pratiques nomades.

On retiendra de ce tour d’horizon que, bien loin de la société sans école revendiquée par Illich dans les années 1970 (Deschooling Society), on observe plutôt que la scolarisation a envahi l’ensemble de la société. Dans le même temps la forme scolaire tend à être affectée et modifiée par l’irruption au sein de l’école de ce qui lui était auparavant extérieur : cultures jeunes, monde du travail, et l’extérieur de l’école l’est aussi par une sorte de prolongement en d’autres lieux de ce qui, auparavant, relevait de l’école : externalisation du travail scolaire, pédagogisation de la vie de famille. Un double mouvement qui contribue à brouiller le paysage. Toutefois si les lignes bougent les frontières ne disparaissent pas. Elles deviennent mouvantes, instables, parfois difficiles à identifier, ce qui ne facilite pas le travail des professionnels et encore moins celui des élèves. Cette porosité entre l’école et ce qui l’entoure ne profite qu’à certains : ceux qui maitrisent le mieux la culture légitime et peuvent plus facilement circuler entre différents codes.

Suffit-il de « re-sanctuariser » l’école pour résoudre les problèmes liés à cette porosité ? Telle n’est pas la position des auteurs de cet ouvrage. Un exemple : les enquêtes de Patrick Rayou sur les internats d’excellence montrent bien qu’ils n’ont pas relevé le défi d’aboutir à davantage de démocratisation.

Le chapitre introductif rappelle que, si les frontières de l’école semblent bien indépassables parce que liées à sa nature même, « la manière de les déplacer, de les rendre plus ou moins visibles, d’occulter ou de mettre en évidence et d’accompagner leurs franchissements les plus périlleux participe à la construction ou à la réduction des inégalités d’apprentissage ». Car il s’agit bien, dans tous ces travaux de recherche, de mieux comprendre comment agir sur les inégalités que l’école tend à creuser plutôt qu’à réduire.

En conclusion Patrick Rayou propose de parler de percolation plutôt que de porosité pour rendre compte avec plus de justesse du processus actuel : « Dans ce processus la frontière perd son statut de ligne pour devenir un espace et un temps où se produisent des phénomènes complexes car ce qui circule après l’avoir franchie change aussi de forme. »

« La compréhension des phénomènes scolaires […] passe nécessairement – rappelle Rayou – par l’analyse circonstanciée de la scolarisation des objets du monde et de la perception de leur statut par les publics auxquels leur étude est proposée ». L’un des problèmes auxquels se heurte l’école dans sa tentative de démocratisation tient sans doute à ce qu’elle ne s’attache pas suffisamment à aider les élèves qui n’ont pas eu la chance d’acquérir en dehors de l’école les « dispositions à apprendre » dont ils ont besoin, à pouvoir les construire.

Cet ouvrage fournit des analyses précieuses pour penser ensemble logique cognitive et logique sociale dans la recherche d’un horizon partagé au-delà des frontières de l’école. Qu’on aborde les devoirs à la maison, l’entrée en 6e, les élèves perturbateurs, les internats d’excellence ou le coaching scolaire on constate qu’il n’y a pas de solution magique et que – comme le formule Pierre Périer en conclusion de son chapitre sur l’expérience des professeurs débutants – « il reste beaucoup à faire pour analyser la négociation en train de se faire lorsque cohabitent des mondes hétérogènes que la classe tente d’assembler, par ajustements successifs en un monde commun ».

Nicole Priou