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Au revoir les enfants…

Maintenant il s’est sauvé
Et comme une bête traquée
Il galope dans la nuit
Et tous galopent après lui.

Prévert, Chasse à l’enfant.

En août 2005, Rachel et Jonathan, les aînés de Barbe Makombo, une ressortissante congolaise (RDC) ont fui de leur domicile pour bloquer l’expulsion de leur mère et la leur : la loi, interdit encore d’expulser les parents sans leurs enfants… Rachel et Jonathan ont été recueillis et protégés par le Réseau éducation sans frontières (Resf)[[Voir la pétition « Nous les prenons sous notre protection » sur le site de Resf.]]. La médiatisation de l’affaire a alors sans aucun doute contribué à faire prendre la circulaire ministérielle du 31 octobre 2005 qui suspendait jusqu’au 30 juin 2006 l’expulsion des familles immigrées sans papiers ayant des enfants scolarisés.

On consentait à oublier un peu ces élèves jusqu’à la fin de l’année scolaire… Mais depuis, de trop nombreux enfants ont eu à subir la violence d’une expulsion traumatisante vers des pays où ils risquent de n’être plus jamais scolarisés…

Le 29 juin 2006, Barbe Makombo est interpellée vers 18 heures dans une grande surface de Sens et on met en place un cordon de police pour interdire à sa fille, élève de sixième, l’entrée de son collège…

Bien au-delà des débats sur l’immigration, ce qui choque ici c’est de voir que la racine anthropologique sécuritaire pousse les responsables politiques – parfois eux-mêmes d’origine étrangère – à passer outre à un interdit majeur, immémorial : on ne doit pas s’en prendre aux petits, il est odieux de commander à la police la chasse à l’enfant au sein même de l’école ! Aujourd’hui comme hier, c’est bien de notre inconscient collectif que monte un haut le cœur devant la lâcheté de tel directeur d’école ouvrant avec empressement la porte de sa classe pour qu’on y arrête en plein cours[[Lire Écoliers, vos papiers ! d’Anne Gintzburger, Flammarion, 2006.]] certains de ses élèves sans papiers. C’est encore et toujours le chagrin et la pitié[[Cf. Le Chagrin et la pitié, documentaire de Marcel Ophüls sur la Collaboration et la Résistance, 1971.]] de voir se détourner de ces enfants les regards de trop de braves et honnêtes gens, d’observer la prudence des grands médias[[Fort courageusement, Libération parraine un enfant sans papiers par jour…]] qui hésitent à affronter la puissance montante qui séjourne au ministère de l’Intérieur et qui pourrait bien occuper l’Élysée en mai 2007… Alors, certains se laissent complaisamment convaincre par l’argument des enfants « prétextes », des enfants prétendument mis au monde et instrumentalisés par leurs parents pour obtenir des papiers. Donc des enfants presque pas vrais, illégitimes en tout cas, faits tout exprès pour apitoyer, mendier des papiers, gonfler les statistiques de l’immigration clandestine… Allons, fermons les yeux sur ces enfants « non choisis », il y a le Mondial, le Tour de France et les vacances…
Fort heureusement, sur un autre versant de notre psyché collective, on observe l’élan solidaire, le courage et la générosité humanitaires qui poussent de simples citoyens, de nombreux enseignants à signer la pétition de Resf, à désobéir à la loi, parce qu’ici la loi est illégitime, et à recueillir des enfants pour les soustraire aux arrestations.
Il est réconfortant de constater qu’il y a encore et toujours des justes qui se refusent à dire définitivement Au revoir les enfants[[Au revoir les enfants, film de Louis Malle, 1987.]].