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Au rap citoyen !

« Madame, on peut faire “Au rap citoyen !” aujourd’hui ? On a une heure de perm ! » Voilà une question que j’ai entendue à maintes reprises au cours de l’année dernière ! Notre projet « Au rap citoyen ! » avait comme objectif d’amener les élèves de 5e à s’engager dans un projet d’enseignement coopératif. Pari réussi au regard de leur demande !

Ce projet a été mené au cours de l’année 2016-2017 avec les trois classes de 5e de notre collège rural. Il faisait se croiser l’éducation morale et civique (EMC), l’éducation aux médias et à l’information (EMI), l’éducation musicale, le français et l’anglais. Les premiers ateliers ont permis aux élèves de rencontrer des bénévoles d’Amnesty International, d’Avessac sans frontières[[Il s’agit d’une association de soutien aux demandeurs d’asile.]] et de la Boutique solidaire de Pipriac[[Boutique dont les salariés font partie de l’entreprise Tezea lancée dans le cadre du projet « Zéro chômeur » soutenu par ATD Quart Monde.]]. Cette partie du projet a été menée pendant les cours d’EMC, en coenseignement avec le professeur d’histoire-géographie et la professeure documentaliste. Chaque classe a ensuite débattu pour choisir une association à aider et une action à mener, l’occasion pour nous de les accompagner dans la prise de parole et l’écoute afin d’appréhender la pratique du débat d’idées.

Les derniers ateliers du projet ont permis à chaque classe de créer une chanson mise en musique et en clip pour raconter cette aventure solidaire : les élèves devaient choisir dans quel atelier (écriture des paroles de la chanson, création de la musique, création du clip) ils s’inscrivaient, en tenant compte de l’avis des autres, puisque les groupes devaient être équilibrés en nombre. Pour les ateliers de création, j’étais accompagnée d’intervenants extérieurs, artistes ou animateur culturel des association Souliers[[Association de promotion du cinéma amateur de Rochefort-en-Terre (56).]] et La Dent de scie[[Association de création artistique (44).]]. Les productions ont été gravées sur des DVD et vendues ensuite au profit des associations partenaires.

J’ai réalisé une évaluation de ce projet coopératif en m’appuyant sur l’avis des élèves ; je voulais en effet savoir quelles compétences et connaissances ils pensaient avoir acquis, mais aussi quel était leur ressenti face à cette expérience.

Chacun et tous

En tant que coordinatrice du projet, j’ai eu la chance d’accompagner les élèves dans toutes les étapes. L’accompagnement des élèves, basé sur la pédagogie de projet, concerne aussi bien l’individu que le collectif classe. Le rôle du professeur est alors d’être aux côtés de chacun pour susciter l’envie d’apprendre et d’être acteur, pour les amener à s’appuyer sur leurs acquis extrascolaires et scolaires pour s’engager dans les apprentissages nécessaires au projet, et pour valoriser le développement des compétences de chacun d’entre eux. Mais il s’agit aussi d’accompagner le collectif classe en développant la confiance entre élèves et entre adultes et élèves, en nourrissant une logique de coopération réflexive pour apprendre à faire ensemble.

Pour les accompagner au mieux durant cette année scolaire, j’ai dû ainsi créer des outils sur mesure pour garder en mémoire le cheminement du projet : un cahier de projet que les élèves remplissaient dans la durée, des documents de réactivation des connaissances acquises pour faire face au temps écoulé entre chaque atelier. J’ai aussi proposé aux élèves des méthodes pour faciliter la communication, le débat et la prise de décision collective : création d’une charte de projet pour chaque classe, travail en groupe coopératif avec un rapporteur, un secrétaire, un responsable du temps, un surfeur (responsable de la navigation sur internet), discussions avec un crayon de parole, mise en commun des idées individuelles avec le Post-it meeting, documents de répartition des tâches, etc.

Avoir une boite à outils bien équipée facilite donc l’accompagnement des élèves dans ce type de projet coopératif. Utiliser ces outils sur un temps long comme une année scolaire permet en outre aux élèves de s’en emparer et de les utiliser de façon autonome : les derniers débats avec le crayon de parole se faisaient en autogestion, sans mon intervention. C’est un élève qui rappelait les règles de cette discussion, montrant ainsi que ce mode de gestion de la parole s’inscrivait progressivement dans la classe. L’autoévaluation réalisée par les élèves montre que la majorité d’entre eux (plus de 70 %) pensent avoir appris à respecter l’avis des autres, même si ce n’est pas le leur. 87 % disent avoir beaucoup (voire énormément) apprécié ces temps de débat. 68 % pensent que ces discussions leur ont, beaucoup ou énormément, appris à donner leur avis. L’utilisation du crayon de parole leur a permis de concevoir le débat comme un échange dans lequel chacun peut s’exprimer et apprend des autres, au cours duquel on peut voir évoluer son avis.

Maitres d’œuvre

Au-delà des outils utilisés, l’accompagnement des élèves repose sur l’action du professeur dans l’action conjointe de ces temps didactiques. Pour analyser ma pratique, je me suis appuyée sur le quadruplet de la structure de l’action de l’enseignant, selon Gérard Sensevy[[Gérard Sensevy, Le sens du savoir. Éléments pour une théorie de l’action conjointe en didactique, De Boeck Supérieur, 2011.]] : définir, dévoluer, réguler, institutionnaliser.

L’accompagnement des élèves dans la pédagogie de projet nécessite la dévolution du professeur visant à rendre les élèves responsables de leurs apprentissages. Après discussion et proposition de chacun, la classe choisit par vote l’association et l’action à mener. La production finale est créée par les élèves et dépend des choix du collectif, mais aussi de l’engagement de chacun. Le professeur rejoint les élèves sur leur terrain et apporte l’étayage nécessaire en fonction des besoins repérés, il les aide à résoudre les problèmes rencontrés et à aller vers ce qu’ils souhaitent. Cette dévolution me parait primordiale pour que les élèves s’approprient le projet et qu’ils en soient les maitres d’œuvre. Il s’agit pour le professeur de trouver l’équilibre entre un projet prescriptif (un prêt-à-l’emploi) et une logique de coopération réflexive qui permet aux élèves d’inventer leur manière de faire. Ils sont 66 % à penser que cette expérience leur a énormément « appris à s’engager sur un projet et à assumer leurs responsabilités ».

La régulation, ce que le professeur fait en vue d’obtenir de la part des élèves une stratégie gagnante, est tout aussi nécessaire à l’accompagnement des élèves, puisqu’elle permet la coordination du travail collectif. C’est là que les outils et méthodes apportés par le professeur ont leur place, afin que chaque élève soit mis en confiance pour entrer dans les apprentissages et prendre place au sein du projet coopératif. Le collectif classe peut ainsi suivre un cheminement, étape après étape. Ils ont utilisé, au cours de l’année, plusieurs outils et méthodes leur permettant de garder une trace écrite du projet, de se partager les tâches ou de s’organiser dans le calendrier des ateliers. Ce projet, de part sa durée et son organisation, a sollicité les capacités d’anticipation et de projection dans le temps des élèves, visant à les rendre plus autonomes.

L’institutionnalisation (ce que le professeur fait pour que tel ou tel comportement, telle ou telle assertion, ou telle ou telle connaissance soient considérés comme légitimes, vrais et attendus dans l’institution) et la définition (ce que le professeur fait pour que les élèves sachent précisément à quel jeu ils doivent jouer) sont aussi essentielles pour rassurer les élèves au cours d’un projet qui laisse place à la création et à un certain degré d’aventure. C’est à ce niveau que se place d’après moi la nécessité d’une parole partagée entre l’élève et le professeur, au quotidien. Il s’agit de les encourager, de leur ouvrir le champ des possibles, en mobilisant leurs connaissances et compétences scolaires et extrascolaires pour avancer. En participant à la création d’une chanson mise en musique et en images, ils ont tous eu le sentiment de créer et de pouvoir s’exprimer.

Ce projet « Au rap citoyen ! » nous a permis de nous questionner sur l’accompagnement des élèves vers davantage d’autonomie, mais aussi vers la valorisation de chacun. 63 % des élèves pensent avoir « réussi à faire bien mieux que ce que je pensais » ; ce résultat montre ainsi que le projet a contribué à une meilleure estime de soi de la part de la majorité des élèves. Accompagner les élèves, c’est aussi leur permettre de gagner confiance en eux, de croire en leur capacité d’agir sur le monde. Ce monde que les professeurs ont tout intérêt à inviter dans les projets pour accompagner les citoyens en devenir que sont les élèves. Ce lien avec l’extérieur est reconnu comme un facteur de motivation, puisque 82 % d’entre eux disent avoir été motivés par ce projet « car on aidait d’autres gens, à l’extérieur du collège ». Accompagner les élèves repose donc aussi sur les liens que le professeur crée entre le scolaire et le « hors les murs », leur permettant ainsi de donner du sens à leurs apprentissages, de réinvestir les connaissances et compétences acquises en classe dans des projets ancrés dans la cité et dans leur vie d’adolescents. Et si c’était à refaire ? Tous ont répondu « oui ! ».

Nadine Bouchard
Professeure documentaliste, Pipriac (35)


En savoir plus

Lien vers les clips :

– 5e Blue : https://youtu.be/62FYYgWT8no
– 5e Green : https://youtu.be/UrKiS1anZjs
– 5e Yellow : https://youtu.be/25bT1vxQZRM

Lien vers le bilan du projet « Au rap citoyen ! » : https://drive.google.com/open?id=0B5o0BpKb4mtKcDZsUWFlR0V0Y00