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Au Québec : « Soyons fiers de notre éducation »

Vous avez fait parvenir aux journaux québécois à la mi-décembre, suite aux derniers résultats de Pisa, une tribune signée par dix-huit universitaires intitulée « Soyons fiers de notre système d’éducation ». Pourquoi ce texte ?

Louise Lafortune : La mise en œuvre des programmes de formation de l’école québécoise définis en termes de compétences pour les élèves du primaire et du secondaire est commencée depuis 2001. Depuis les débuts, il n’est pas facile de faire comprendre le passage d’une perspective de transmission de connaissances à celle du développement de compétences. Depuis quatre ou cinq ans, depuis que l’évaluation est au cœur des changements de pratiques, il est encore plus difficile de faire comprendre les changements aux parents et à la population en général. Beaucoup semblent avoir la nostalgie de leur école et ne voient pas la nécessité de changer ; plus encore, ils perçoivent les changements actuels en éducation comme néfastes. Cette perception mène trop souvent à un dénigrement de notre système d’éducation. Pourtant, c’est la quatrième fois que le Québec sort premier des résultats de Pisa dans le monde francophone. Ces bons résultats sont peu publicisés, et une équipe d’universitaires québécois a voulu tirer profit de leur sortie pour manifester collectivement qu’il était possible d’« être fiers de notre système d’éducation ». Même s’il y a des lacunes, que tout n’est pas parfait, que des améliorations sont possibles, notre message fort se voulait une occasion de valoriser ce qui se fait au Québec en matière d’éducation. Plusieurs disent qu’« il faut arrêter la réforme », mais oublient que plusieurs éléments de celle-ci ont déjà été mis en place depuis 1996 et que personne ne les remet vraiment en question : la maternelle à temps complet, l’intervention dans les milieux défavorisés, les conseils d’établissement dans les écoles qui donnent plus de place aux parents, par exemple. Actuellement, c’est le débat sur le bulletin unique qui prend beaucoup de place. Il marque un retour vers la transmission de connaissances au détriment du développement de compétences. En français et en mathématiques, il reste des compétences dans ce bulletin, mais pas vraiment de façon explicite pour les autres disciplines. C’est le retour au redoublement et un certain abandon de la notion de cycles d’apprentissage de deux ans. Quand certaines personnes ou certains groupes attribuent à la réforme un grand nombre de problèmes en éducation, comme le décrochage ou les difficultés en français, ils oublient que ces problèmes existaient déjà, que ce n’est pas la réforme qui les a causés, elle a plutôt été mise en place pour tenter de les résoudre. Notre article était l’occasion de montrer la qualité de notre système d’éducation au plan international, de susciter des débats pour questionner certains retours « en arrière » et pour montrer que le dénigrement n’est pas toujours justifié.

Vous dites : « le Québec se classe dans le peloton de tête en ce qui concerne les résultats en mathématiques, en sciences et en lecture. Plus remarquable encore, le Québec est au premier rang dans le monde francophone, devant la France, la Belgique et la Suisse ». Or Christian Rioux, correspondant à Paris du quotidien Le Devoir écrivait le 7 décembre « Les élèves canadiens sont en recul, même s’ils se classent largement au-dessus de la moyenne. Pourtant, sur dix ans, leurs résultats baissent dans tous les domaines […]. Avec une note en sciences qui passe de 534 à 529, le Canada reste parmi les meilleurs. Mais, sur dix ans, sa note a chuté de onze points », comment expliquez-vous ces différences d’interprétation ?

Louise Lafortune : Quand il est dit que le Canada se classe au huitième rang (et le Québec se situe au moins dans la moyenne canadienne), le jugement est posé trop rapidement. L’image globale n’est pas mise en évidence : il y a des pays qui n’étaient pas visés dans les trois premières épreuves de Pisa. Le Canada est toujours deuxième dans le monde occidental, derrière la Finlande. Le changement de rang est donc davantage dû à l’ajout de pays qu’à un recul de la qualité des résultats. Quant à la baisse de onze points, elle correspond à environ 2 % ce qui justifierait de se demander si cette baisse est significative au plan statistique.
François Dubet, coauteur de Les sociétés et leur école, est venu au Québec en décembre dernier. Le groupe qui l’invitait a signalé notre plaisir qu’il soit là dans un contexte problématique actuellement en éducation. Dans sa présentation, il a souligné qu’il trouvait bizarre tout ce qu’il entendait à propos de « supposés » problèmes dans notre système d’éducation, considérant ce qui apparaissait de nos résultats dans les épreuves internationales. J’étais très contente qu’il tienne de tels propos chez nous !

Et vous Luc Prudhomme, quelle est votre analyse, qu’ajouteriez-vous aux propos de Louise Lafortune ?

Depuis les années 1960, on a connu plusieurs mouvements dans la formation continue des enseignants, ainsi que des révisions des programmes scolaires et des programmes de formation. Nous avons aussi au Québec un réseau d’écoles publiques alternatives assez puissant. Plusieurs de ces écoles sont certainement des moteurs de l’innovation ; certains ministres ont déjà déclaré qu’elles étaient des sources d’inspiration importante pour la réforme actuelle. Globalement, il y a toujours eu une certaine vivacité dans le champ de l’innovation. Des enseignants, dispersés sur le territoire, savent faire, expérimentent, pensent que l’important est de s’interroger sur les façons d’enseigner pour les enrichir, les rendre plus efficaces. Quand on accuse la réforme du curriculum comme étant la mère de tous les maux, on oublie qu’elle est un outil de plus, proposé pour tenter d’agir sur des problèmes qui sont soulevés par la population elle-même : le manque de réussite des garçons, le décrochage scolaire, la motivation et j’en passe. Présentement, ce qu’on essaie de faire, c’est de travailler à partir de toutes les données de recherche existantes pour proposer un curriculum qui pourrait rejoindre tous les élèves et rejoindre aussi ceux qui n’ont pas nécessairement un profil dominant au niveau verbo-linguistique ou logico-mathématique. C’est dans ce contexte que le choix d’une approche par compétences s’est imposé. On est dans un système qui pense et qui cherche, mais il reste encore des efforts à faire, des solutions innovatrices à inventer.

Ce travail est-il soutenu par un accompagnement au niveau de la formation des enseignants ?

Luc Prudhomme : Il y a eu beaucoup de propositions de changements. Dans les universités, nous fonctionnons maintenant avec un référentiel de douze compétences à développer en formation à l’enseignement. Ont été aussi ajoutées une année de formation et des heures de stages. On est en train d’avancer : nos plans de cours en formation initiale ne parlent plus d’objectifs à atteindre ou de contenus spécifiés, mais bien de contenus à s’approprier dans le cadre d’une compétence à développer. Il va surement y avoir des changements au fur et à mesure qu’on expérimente.
Dire que tout est réglé serait abusif, car cette formation est dispensée à l’intérieur d’une institution, l’université, qui a de nombreuses règles et qui ne comprend pas forcément le renouvèlement de l’enseignement et de l’évaluation comme on souhaiterait qu’elle la comprenne. On voit des mouvements intéressants. J’étais aujourd’hui avec douze étudiants dans un projet de recherche où on réfléchissait aux moyens à développer pour aider les élèves à intégrer ce qu’ils apprennent dans de nouvelles situations…
Ici comme ailleurs, tout le monde a une conception de ce qu’est un bon enseignement, un bon enseignant, et on doit composer avec diverses perceptions et représentations hétérogènes qui doivent s’exprimer, avec lesquelles il faut essayer d’avancer progressivement vers des pratiques un peu plus aidantes pour les élèves. C’est clair que selon moi, la situation est toujours inquiétante quand on pense aux différences. Je travaille au sein d’une chaire de recherche centrée sur la réussite des élèves qui éprouvent des difficultés à l’école. Dans nos projets de recherche, nous sommes constamment en relation avec des élèves qui peuvent décrocher le jour même ou le lendemain matin. Chaque fois que j’en vois un, c’est un de trop. Nous travaillons avec les enseignants qui veulent faire réussir tous ces élèves. La réforme des curriculums et l’approche par compétences nous offrent de belles pistes pour aider ces enseignants. Encore faut-il qu’on nous laisse le temps de les aider, grâce à la formation, à intégrer le concept de compétences, à travailler dans cette logique et à devenir habiles à piloter différents types de situations d’enseignement. C’est dans de telles situations que nos élèves vont développer des savoirs de haut niveau qui vont les aider à fonctionner dans notre société, à faire avec les technologies, la communication, la mobilité planétaire, etc. Il y a quarante ans, c’était très important d’avoir des idées générales en histoire, d’être capable de situer le Moyen Âge sur une ligne du temps pour trouver des informations dans l’index analytique d’une encyclopédie. Aujourd’hui, ce dont nos jeunes ont besoin, c’est de savoir comment identifier des mots-clés pour trouver l’information et apprendre à juger de la pertinence des informations recueillies. La réalité des jeunes n’est pas celle que nous avons connue. Nous sommes dans un monde qui change, qui évolue et l’école doit avancer elle aussi.

Louise Lafortune
Ph. D., professeure au département des sciences de l’éducation de l’université du Québec à Trois-Rivières

Luc Prudhomme
Professeur, codirecteur du Laboratoire international sur l’inclusion scolaire,
chaire de recherche Normand Maurice, université du Québec à Trois-Rivières