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Aspects théoriques et pratiques du changement scolaire en éducation

L’auteur, professeur en sciences de l’éducation à l’Université Montpellier 3, a mené de nombreux travaux sur le changement en éducation scolaire. Il articule cette problématique sur quatre thèmes : la nature de l’éducation scolaire ; sa complexité ; les jeux et les enjeux des personnes et des groupes qui la concernent ; la question du langage dans cette éducation. Les six chapitres de l’ouvrage mêlent étroitement la chronologie de ses recherches et leur évolution avec des réflexions théoriques sur ces questions.
Deux idées clefs sont développées :
– dans un système éducatif dont la massification atteste l’intention démocratique, et la sélection la dure réalité, un certain nombre de contradictions émergent qui se transforment souvent en apories, en injonctions paradoxales ;
– ce n’est pas l’application d’un modèle pensée par le haut, mais l’action des acteurs, qui est motrice de transformations significatives.
Le premier chapitre prend l’exemple du latin, où le changement voulu de démocratisation n’a donné lieu au collège puis au lycée qu’à une régression organisée de la discipline.
Dans le second chapitre, il prend trois exemples qui montrent comment l’autonomie relative de l’établissement, avec son projet, ouvre la possibilité d’innovations d’équipes éducatives et pédagogiques… qui se heurtent aux habitus des acteurs, et à l’inertie d’un système qui reste globalement hiérarchisé et conservateur : une salle des parents favorisant la communication externe, un lycée pilote avec des conseils de classe participatifs, et des expériences diverses de démocratie scolaire dans l’établissement et en classe accompagnées par l’analyse des pratiques).
Le troisième chapitre interroge la formation des personnels comme levier possible du changement :
– l’évolution de la formation continue est patente : décentralisation, plan de formation des établissements et rôle du chef d’établissement, mise en place de conseillers en formation… Mais elle est freinée par la complexité d’une gestion académique (qui peine à communiquer et à articuler offre et demande), une professionnalité des formateurs qui se cherche, une identité professionnelle enseignante centrée dans le second degré sur le disciplinaire, une difficulté à anticiper sur les besoins.
– Quant à la formation initiale, renouvelée avec les IUFM, elle patine entre théorie et pratique, à la recherche d’une alternance réellement intégrative, elle hésite entre une conformité reproductrice et la nécessité d’une professionnalisation créatrice et responsable, où le mémoire professionnel, les visites formatives et l’analyse des pratiques devraient jouer un rôle déterminant.
Le chapitre 4 analyse l’action militante pour transformer le système. L’initiative d’innovations individuelles, en équipe ou dans des établissements expérimentaux, ouvre une brèche locale, d’autant plus gratifiante quand elle a pu être institutionnellement encouragée. Mais le caractère « piloté » de l’innovation restreint toute subversion radicale, et laisse à la marge du système ce qui ne peut être généralisé, car trop contraire à la logique globale. On ne peut en effet changer tout seul la machine école, ni changer les autres malgré eux. Cela suppose leur implication dans une démarche formative, dans un « établissement – formateur » à construire…
Le chapitre 5 explore trois voies pour une dynamique du changement :
– celle de l’émergence de réseaux divers dans le champ de l’éducation, dont le maillage souple et l’horizontalité pragmatique tentent de faire contrepoids à la verticalité descendante, par une logique plus coopérative, partenariale, contractualisée ;
– celle d’un chef d’établissement qui pourrait être pilote du changement, par l’impulsion démocratique de projets et la facilitation d’innovations pédagogiques, si son autonomie n’était sans cesse limitée par des injonctions hiérarchiques et la pénalisation de sa responsabilité ;
– celle de la formation des formateurs, axe stratégique pour accompagner les mutations nécessaires, dont la formation doit s’infléchir vers un « faire analyser » par les praticiens eux-mêmes leur travail réel et pas seulement prescrit, dans des situations dont il faut démêler la complexité.
Le sixième chapitre insiste sur les ruptures épistémologiques et praxéologiques nécessaires pour conduire au mieux le changement en éducation scolaire. Celles-ci impliquent une approche plus anthropologique de l’action éducative, et une recherche sur cette action faisant toute sa place à la réflexivité des personnes et des groupes (On prend ici l’exemple d’une recherche en Réseau d’éducation prioritaire).
Pour conclure, l’auteur propose une perspective où les chercheurs doivent être conscients de leur implication, se centrer sur l’action (en particulier sa verbalisation), mobiliser le regard pluridisciplinaire croisé pour prendre en compte la complexité, et articuler de façon pertinente les niveaux du local à l’international.

On peut faire deux lectures différentes de cette démarche bio-bibliographique : l’une comme le commentaire contextualisé et argumenté des recherches successives de l’auteur comprises, au-delà de la diversité des thématiques, dans une continuité problématique sur le changement en l’éducation scolaire ; la seconde, comme une réflexion approfondie et pertinente sur les paradoxes auxquels est confronté plus largement le changement dans l’éducation scolaire.

Deux interrogations sur ce travail remarquable :
– Comment penser le changement en éducation, si le noyau de la nouvelle professionnalité des acteurs est modélisé comme la capacité à gérer au mieux les contradictions générées en contexte institutionnel et local par la situation éducative ? L’analyse de ce changement doit-elle se penser dans les termes d’une contradiction repérée mais surmontable, les contraintes pouvant par exemple devenir d’un certain point de vue des ressources (comme une consigne exigeante développe la créativité dans un atelier d’écriture, ou comme les problèmes rencontrés sur le terrain donnent lieu aux innovations de certains praticiens…). Ou doit-elle se penser dans les termes d’une contradiction insoluble, où il y a impossibilité de dépasser conceptuellement certaines apories (ex : domestiquer et affranchir comme dit Hameline, et bien d’autres déclinées par Philippe Meirieu), mais aussi dans la pratique (ex : des programmes trop ambitieux pour un capital temps trop réduit, ou le mieux éduquer sans plus de moyens…)?
– D’autre part, dans l’ouvrage proposé, la crise du sens du rapport au savoir qui affecte l’école est abordée par le renouvèlement des didactiques, l’appel à la dimension anthropologique du questionnement humain, le projet personnel de l’élève ou le référent constructiviste de l’apprentissage ; quant à la crise du rapport à la loi, elle transite par une nouvelle conception de la gestion du groupe d’élèves ou de stagiaires faisant appel à la discussion, la négociation, l’analyse, la co-construction des règles et la socioconstruction des savoirs, et par une pratique renouvelée du management de l’établissement ou le recours à des réseaux.
Le changement est pour les acteurs à la fois une signification et une direction orientées par des valeurs et des démarches instrumentées. Mais quelles répercussions alors de la crise du sens sociétale sur le changement en éducation scolaire, qui doit désormais se confronter en permanence et à la complexité du réel et à l’incertitude dans l’action ?
On peut faire l’hypothèse que l’un des analyseurs de cette période de recomposition des identités professionnelles est, dans une société développant une idéologie démocratique sur un fond de montée de l’individualisme, la crise de la transcendance de l’autorité de la légitimité du savoir proposé aux élèves et du pouvoir exercé par le maitre ou le formateur. Il apparait donc nécessaire aujourd’hui de reconfigurer l’autorité des acteurs éducatifs en situation de responsabilité…

Michel Tozzi