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Arrête de te plaindre et dépêche-toi !

Quel enseignant n’a pas rêvé d’avoir un climat de classe serein ? Des élèves motivés par les apprentissages et ayant une bonne estime d’eux-mêmes ? Et si nos comportements, malgré nos bonnes intentions, créaient l’effet inverse ? « Ah ! Ce n’est rien, ça va passer… », « ne pleure pas, ce n’est pas grave ! » Autant de phrases que nous énonçons naturellement, au quotidien, avec même parfois un peu d’agacement dans la voix. Face aux émotions exprimées par nos élèves, nous nous sentons souvent démunis et sommes alors maladroits dans nos échanges.

Au lieu de nier les émotions

Il y a deux ans, en tant que conseillère pédagogique, j’ai pu observer dans ma circonscription un accroissement de situations conflictuelles liées à un manque de communication entre enseignants et élèves mais aussi entre adultes. J’ai alors proposé des animations pédagogiques où l’on puisse travailler concrètement des modes de communication plus satisfaisants pour le mieux-être de tous. Afin d’être épaulée pour préparer et mener ces temps, j’ai collaboré avec une psychologue scolaire de la circonscription. La formation que nous proposons s’appuie sur la méthode Faber et Mazlish[[Adèle Faber, Elaine Mazlish, Parler pour que les enfants apprennent, Éditions du Phare, 2016.]] qui invite, dans un premier temps, à nous interroger sur notre façon de communiquer avec les enfants, pour ensuite proposer des façons d’agir permettant de gérer différemment les échanges. Ce travail s’articule autour de six animations pédagogiques étalées sur deux ans.

Lors de la première rencontre, je précise rapidement que ma collègue et moi-même n’intervenons pas en tant qu’expertes qui auraient des réponses à apporter. Notre rôle est de présenter un certain nombre de façons de faire. À chacun ensuite d’utiliser celles qui lui conviennent le mieux ; ces quelques mots détendent l’atmosphère.
Pour débuter, une situation mettant en scène un enfant et un adulte fait sourire les enseignants, puisque chacun s’y retrouve plus ou moins :

L’enfant : « Je ne sais pas quoi écrire. C’est trop dur !
L’adulte : — Mais si, tu sais. Arrête de te plaindre et dépêche-toi ! »

Au quotidien, il nous arrive très souvent de nier ainsi les émotions des élèves sans nous en rendre compte, et cela engendre des relations conflictuelles néfastes pour les apprentissages. Cette première rencontre est donc l’occasion d’apprendre à accueillir les émotions des élèves, en particulier à l’aide de jeux de rôle.

Lors de la deuxième rencontre, certains enseignants font part de leur surprise face à l’efficacité de certaines réactions. Une enseignante raconte : « Un matin, j’étais très en retard pour partir travailler. Mon fils s’y était pris au dernier moment pour mettre ses chaussures et ne parvenait pas à faire ses lacets. Au lieu de laisser éclater ma colère, j’ai simplement verbalisé ce qu’il devait ressentir : “C’est agaçant ces lacets qui ne se mettent pas comme il faut”. Il a acquiescé en disant qu’il prendrait du temps ce weekend pour s’entrainer et a rapidement noué ses lacets. Nous sommes ainsi partis tous les deux, certes en retard, mais avec le sourire. J’étais fière d’avoir su éviter des tensions aussi facilement. »

De même, une autre enseignante partage son expérience : « Pendant les récréations, je n’essaie plus de savoir à tout prix qui est à l’origine du conflit. J’arrête de parler et j’écoute, en acquiesçant régulièrement pour montrer mon intérêt. Cette technique me rend service, car elle économise de l’énergie. L’élève a été écouté et je n’ai pas eu à chercher qui avait commencé le premier. Avant, je voulais toujours apporter une solution immédiate aux élèves qui venaient me voir. J’avais l’impression que c’était mon rôle, qu’ainsi je leur montrais ma considération. Mais c’était chronophage et épuisant. Maintenant, je les écoute simplement pour comprendre leurs besoins. »

Malgré ces expériences positives, chacun évoque la difficulté à changer ses habitudes. D’autres expliquent que le soir, ils repensent à leurs paroles de la journée et cherchent des formulations plus empathiques. C’est un premier pas. Ma collègue et moi sommes là pour dédramatiser et témoigner de nos essais, de nos réussites mais aussi des difficultés rencontrées. L’empressement de certains à confier leur vécu, leurs questionnements montre le réel besoin d’un espace de parole. Ces temps-là sont rares dans la profession, voire inexistants, pourtant le besoin est bien présent.

L’altérité

Le troisième atelier a pour thème la punition. Les enseignants avaient exprimé leur hâte d’aborder ce sujet souvent tabou. Beaucoup ne savent pas comment gérer leurs émotions lorsqu’un élève a dégradé du matériel ou fait mal à un autre. Cela entraine souvent des punitions qui ont pour objectif de rabaisser l’élève pour calmer la colère de l’adulte.

Les outils proposés par Faber et Mazlish, tels qu’offrir un choix ou réfléchir aux émotions des autres, amènent l’enfant à chercher une façon de s’amender, parce qu’on lui montre qu’on le respecte et qu’on souhaite le responsabiliser. C’est ainsi que j’expose au groupe une situation récente dans laquelle un élève avait volontairement arraché un affichage dans le couloir. Au lieu de le punir, l’enseignante lui a demandé ce que pourraient ressentir, en voyant cela, les élèves qui avaient affiché ce travail. L’élève a tout de suite dit qu’ils seraient surement en colère et tristes. Il a alors proposé de réparer avec du ruban adhésif. Cette réparation proposée par l’élève lui-même a permis de restaurer son estime aux yeux de l’enseignante.

Lors de l’évaluation de ces temps, les enseignants ont confié se sentir plus armés pour communiquer et souhaitent poursuivre la formation l’année suivante. Car chacun prend conscience du lien entre l’accueil des émotions des élèves et la gestion de ses propres émotions. De même, les enseignants ont compris que les procédures utilisées avec les enfants peuvent l’être également avec les adultes. Certains outils, comme la résolution de problèmes, servent aussi à mieux vivre les rencontres entre parents et enseignants. Lors d’un entretien qui s’annonçait un peu difficile avec des parents, j’ai fait le choix de les rencontrer sans leur enfant dans un premier temps. Cela m’a permis de leur proposer de faire équipe et de réfléchir ensemble à une façon de favoriser la coopération de leur fils. Cette première partie d’entretien a été décisive ; les parents qui étaient sur la défensive se sont tout à coup sentis valorisés et impliqués. Face à l’enfant, nous nous sommes présentés comme un groupe soudé avec des objectifs similaires.

Apprendre aux enseignants à accueillir les émotions de leurs élèves et à communiquer autrement est essentiel. Cette compétence est plus complexe qu’il n’y parait, comme nous en faisons l’expérience au quotidien. À l’heure où les parents et la société elle-même attendent de nous un professionnalisme sans faille, y a-t-il une place pour la prise en compte et le bienêtre de l’individu ? La réponse serait-elle du côté de la formation initiale et continue ?

Mathilde Jallu
Professeure des écoles et formatrice, Saintes