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Ce livre, qui reprend un ouvrage précédent aujourd’hui épuisé, mais en l’actualisant profondément, est probablement l’un des plus complets de André de Peretti.
Une recension de données diverses sur l’école, souvent dispersées dans de nombreuses publications, permet de rassembler statistiques et tableaux comparatifs mis en perspective historiquement. Veut-on savoir si le « niveau monte » depuis un siècle ? Si le latin est plus ou moins enseigné aujourd’hui par rapport aux années cinquante ? Ce qu’étaient les écoles primaires supérieures aux alentours de 1940-1950 ? Les effectifs des lycéens en 1850, 1900, 1950 et aujourd’hui ? Tout est là, synthétisé à partir des recherches d’A. Prost, Baillon, Cros, Duru-Bellat, Thélot, etc. Sans compter la recension des chercheurs anglais et américains en particulier sur le nombre d’élèves souhaitable par classe.
Ces données précieuses sont présentées sans sécheresse ni accumulation, mais à l’occasion de discussions sur les grandes questions d’éducation. Il en est de même pour les problèmes d’ordre qualitatif comme ceux des méthodes d’enseignement.
On appréciera aussi que tout ceci soit fortement pensé, au plan d’une philosophie de l’éducation et d’une philosophie politique. Ce n’est pas pour rien que Teilhard de Chardin, Ricœur, Zeldin, Serres, Rogers, toute la ligne personnaliste et sur un plan sociologique Moreno, Lewin, Crozier sont présents.
On voit bien comment la perspective de son précédent ouvrage, ici même recensé, énergétique personnelle et sociale et celle du présent livre ne font qu’une. C’est à partir d’une certaine conception de l’énergie et à l’inverse de l’inertie à l’œuvre dans le monde matériel comme à travers un ensemble de mutations, dans le monde humain, qu’une certaine conception de l’éducation va apparaître et s’imposer. Le phénomène éducatif et le phénomène formatif - on sait le rôle qu’a joué l’auteur dans le domaine de la mise en place de la formation des enseignants - ne sont qu’une autre façon d’envisager cette énergétique dont la loi d’Ashby nous rappelle sans cesse la pertinence dans nos champs respectifs.
La pensée d’ensemble est sereine. Pas seulement parce qu’on découvre que la violence scolaire n’a pas attendu l’an 2000, mais surtout parce qu’une telle pensée rassure par son équilibre. Que l’on prenne par exemple la querelle directivité/non-directivité, André de Peretti prend soin d’analyser les termes, ce qu’omettent de faire les esprits partisans, de les situer, d’expliquer leur nécessité en fonction de telle alternance entre l’énergie et l’inertie, entre l’initiative enseignante centrée sur le besoin de transmettre le savoir et l’initiative de l’élève centrée sur le désir d’autonomie...
De l’ensemble, on ne peut que conclure que la réforme du système éducatif ainsi présentée, alliant exigence démocratique et qualité différenciée, est « jouable ».
Ajoutons que, même si l’ouvrage est riche de 400 pages, les chapitres sont brefs. Les respirations nécessaires à un long parcours sont donc ménagées. L’auteur se hâte lentement. On ne peut lui reprocher ni son exhaustivité parce que maîtrisée, ni ses détours parce que suggestifs. Tout au plus regrettera-t-on une petite tendance à multiplier les parenthèses. Que voulez-vous : c’est le propre d’une pensée complexe que de chercher à infléchir ses propres nuances à travers les méandres du style, voire de la graphie et des tableaux abondants !
Albert Moyne
En complément du texte de Jean-Pierre Mialaret paru dans le dossier Musique (n° 394) voici la liste de quelques recherches qui s’inscrivent dans ces orientations générales et tentent d’appréhender la pluralité et la complexité des situations et faits d’éducation musicale.
le 10 mai 2001Le mois dernier, nous avons évoqué dans cette rubrique l’idée, avancée par un conseiller de J. Lang, de développer les internats, forme d’encadrement susceptible d’aider certains élèves à mieux vivre l’école. Nous avons également évoqué les risques d’une telle mesure. Voici un témoignage d’une ancienne interne. Même si l’école a beaucoup changé depuis, et en particulier les conditions d’hébergement qui préservent un peu mieux l’espace privé, les questions posées méritent réflexion.
le 10 mai 2001En lisant le texte de Pierre Madiot (billet du mois du Cahier n° 391 L’école et l’exclusion) je reconnais dans ces mots l’école d’avant 68 qui fut aussi la mienne, je vois comme nos impressions, nos souvenirs et au-delà nos analyses sont différentes.
le 10 mai 2001« Bâtir un collège pour tous qui soit en même temps un collège pour chacun » : la formule a fait florès et il est vrai qu’elle le mérite ! Du dynamisme dans l’octosyllabe initial qui suggère un élan républicain et fraternel, tempéré par le balancement harmonieux de la fin de la phrase qui renvoie paradoxalement à l’unicité de la personne. Jack Lang a réussi par la magie du verbe à réconcilier (presque) tout le monde.
Tout d’abord le collège reste un lieu de socialisation commun à une classe d’âge : nous ne pouvons que nous en réjouir. La création d’une mission de réflexion sur la mixité sociale des collèges semble un bon signe : signe que l’une des principales difficultés du collège est bien identifiée. Le collège « unique » souffre en effet moins de son hétérogénéité que de sa trop grande homogénéité dans le recrutement social. Cela dit, dans l’état actuel de l’urbanisme plus soumis au marché de l’immobilier qu’à une véritable politique de la ville, la mission semble presque impossible. Les pistes ouvertes : restructuration des secteurs scolaires, transport d’élèves des quartiers difficiles vers les collèges plus favorisés, création de dispositifs d’excellence dans les zones difficiles, contrats passés entre établissements difficiles et privilégiés, devront faire l’objet de notre vigilance. Et en particulier pour ce qui concerne le point deux : « transport des élèves des quartiers difficiles vers... » qui me semble résonner fâcheusement. Qu’en pensent les principaux intéressés ? Auront-ils le choix ? Quelle image de leur quartier, de leurs lieux de vie ? Et la réciproque est-elle envisagée (envisageable ?...).
Pour ce qui est de l’enseignement, le collège demeure inchangé dans ses structures : classe de sixième, puis cycle central cinquième-quatrième, et classe de troisième : tant mieux si c’est pour mieux se centrer sur des approches pédagogiques et des contenus d’enseignement plus diversifiés. Les mesures suggérées semblent intéressantes : meilleur accueil des sixièmes avec, à titre expérimental, des professeurs bivalents permettant un meilleur suivi des élèves, et, on ose l’espérer, une approche des savoirs et des savoir-faire plus cohérente. Les « itinéraires de découverte » dans le cycle central fondés sur une approche pluridisciplinaire : nature et corps humain, arts et humanités, langues et civilisations, initiation à la création et aux techniques, semblent une idée intéressante si, bien sûr, certains « pôles » ne sont pas réservés à des profils type d’élèves. La classe de troisième censée préparer aux premiers choix d’orientation offrira des enseignements « choisis » par les élèves pour 15 % environ des 29 heures hebdomadaires. Ces enseignements porteront sur des domaines complétant les enseignements communs : langues et cultures de l’Antiquité, langues et cultures du monde, arts, sciences expérimentales, technologie, découverte professionnelle.
Ces propositions vues à distance, dans leur généralité, semblent plutôt positives : qu’en restera-t-il dans la pratique quotidienne ? Les « choix » laissés aux élèves seront-ils guidés par l’intérêt de la tâche proposée, ou par les performances réalisées dans les enseignements communs ? Tous les élèves auront-ils accès au moins une année dans leur passage au collège à des apprentissages techniques ou bien certains en seront-ils dispensés ?
Il est utile et bon de diversifier les parcours, d’offrir des choix à la marge, mais il est aussi essentiel de s’interroger sur le socle des enseignements « communs » : s’il demeure inchangé selon la conception classique de l’enseignement du lycée général, il y a de fortes chances pour que les difficultés rencontrées aujourd’hui par les collégiens perdurent. Un cahier des exigences, fixant « l’idéal éducatif du collégien », sera préparé par le Conseil national des programmes pour la prochaine rentrée. Souhaitons qu’il ne travaille pas seul et que tous - enseignants, parents, élèves, citoyens, car il s’agit d’un problème dépassant largement le champ scolaire - puissent en débattre afin que chacun, bien sûr, puisse s’y retrouver.
Marie-Christine Chycki
le 10 mai 2001J’ai écouté Zebda, son accent toulousain et ses rythmes joyeux, et puis avec les élections municipales de Toulouse j’ai entendu les Motivé-e-s.
Enseignant dans un collège d’une cité proche de la ville rose, j’ai entendu des paroles de refus de l’exclusion, de refus de la peur, celle que l’on a de l’autre et celle que l’on inspire aux autres. J’ai entendu une demande de démocratie, de démocratie directe, c’est-à-dire vécue au jour le jour, ensemble pour tous.
Si bien qu’au débat en cours sur le collège unique, pour tous et pour chacun, j’ai prêté une oreille différente.
Dans la chanson Essence ordinaire, les Zebda ont pour leitmotiv « Je crois que ça va pas être possible, pas être possible, pas être possible. » Il s’agit du filtrage à l’entrée des boîtes de ceux qui n’ont pas le profil d’être accueillis : « Veuillez entrer, monsieur. »
Français, anglais, maths, latin, allemand, grec, lycée Fermat, lycée des Arènes, BEP, Bac, passage en quatrième, ébénisterie... « Je crois que ça va pas être possible. » Ceci, je l’entends en conseil de classe et en salle des profs. Il y a parfois des surprises, mais me dit-on d’un air entendu, c’est l’exception qui confirme la règle ! Et alors ! Avec de l’essence ordinaire aussi on peut faire de beaux voyages et c’est Super.
Zebda a écrit Le bruit et l’odeur qui commence par « J’suis tombé par terre, c’est pas la faute à Voltaire - Le nez dans le ruisseau y’avait pas Dolto. » Elle aurait pu répéter en pure perte qu’il faut écouter pour entendre, écouter pour comprendre, pour comprendre l’autre et se comprendre soi-même.
Refus de l’autre et refus de soi-même, je suis mort de trouille et souhaitant une société policée j’entends régime policier.
L’Autre est différent, différent de moi, alors j’entasse les dispositifs, quitte à n’y faire qu’à ma tête, non pardon, selon mes valeurs. Mais quelles sont les valeurs déclarées de l’École, je ne sais pas bien encore, je vais relire le texte ministériel du 5 avril. C’est vrai « J’suis tombé par terre, c’est pas la faute à Voltaire ».
En classe « ils n’écoutent rien », oui mais Zebda, ils l’écoutent.
Au premier tour des municipales, à Toulouse, 12 % d’électeurs ont entendu les Motivé-e-s, dans la ville où j’enseigne, 12 % d’électeurs ont entendu les sirènes sécuritaires au second tour.
Les concerts de Zebda déclenchent de l’enthousiasme, pas des émeutes. Dans « ma » classe de troisième d’insertion, je suscite de l’intérêt, de la résignation aussi, et du rejet. Mes resquilleurs ne se reconnaissent pas dans ce qu’ils entendent et font. Où est la jubilation qu’ils manifestent lorsqu’ils vont voir et écouter Zebda ! Motivés ils ne le sont pas, dans une école qui oublie de faire du sens pour eux.
François Simon [1]
le 10 mai 2001Lorsqu’on évoque l’enseignement de la musique à l’école, quelques images viennent encore spontanément à l’esprit, qui méritent d’être sérieusement dépoussiérées : professeur isolé, impuissant à transmettre une culture savante éloignée des préoccupations des élèves. Les pages qui suivent permettront, nous l’espérons, de montrer une autre réalité : beaucoup d’enthousiasme, beaucoup d’imagination, beaucoup de réussites exemplaires, sinon quotidiennes, beaucoup de questions aussi qui en sont le moteur.
De fait, l’enseignant des disciplines artistiques est à la fois artiste et enseignant ; il doit toujours prouver quelque chose pour avoir la reconnaissance de la société et se faire une place dans un établissement d’éducation, particulièrement en musique, et pas seulement dans l’Éducation nationale
Au collège, le professeur d’éducation musicale est normalement paré de tous les attributs qui font de lui un professeur à part entière. Il doit donc se comporter comme un professeur ordinaire, enseignant une discipline extraordinaire, qui reste dans bien des cas secondaire, puisque son horaire est réduit à la portion congrue de l’heure hebdomadaire et que sa reconnaissance institutionnelle est la note du contrôle continu du brevet.
Enseigner la musique « obligatoire » n’est pas facile, mais en réfléchissant bien, les difficultés ne sont pas forcément là où on les attend. Les programmes sont-ils désuets ? Le fossé culturel entre les générations et les milieux sociaux est-il infranchissable ? Le décalage entre la formation d’origine du professeur et la réalité est-il plus grand que dans d’autres disciplines ? Les articles de ce numéro tendent tous à prouver le contraire.
Les programmes ont beaucoup évolué, laissant une large marge d’initiative aux enseignants, qui leur permet de s’adapter autant qu’il le faut à la culture musicale des élèves d’aujourd’hui. Si l’objectif reste de les faire accéder aux chefs-d’œuvre du patrimoine, tous les chemins sont possibles : reste bien sûr à savoir s’emparer de cette autonomie, ce qui ne s’improvise pas.
Le fossé culturel devrait donc pouvoir se réduire. Quelques expériences relatées dans ce numéro ont ouvert la voie. Pourtant il ne suffit pas de la liberté pédagogique et de la bonne volonté pour y parvenir. Enseigner les musiques actuelles, c’est-à-dire enseigner aux « jeunes » leur propre musique, se révèle à l’usage un enjeu éducatif plein de contradictions.
L’isolement du professeur d’éducation musicale ? Bien sûr il est souvent seul de son espèce dans son établissement - dans le meilleur des cas, il a une fraction de collègue qui, lui, est « à cheval » sur deux établissements. Mais toutes les collaborations, tous les partenariats lui tendent les bras : transversalité, interdisciplinarité, contrats locaux d’éducation artistique, ateliers de pratique artistique, classes à projet, classes à horaires aménagés, regroupements départementaux. Autant de possibilités, venues du terrain ou impulsées par les deux ministères - de l’Éducation et de la Culture - qui lui permettent de travailler « en équipe », au prix certes de beaucoup d’énergie.
Le décalage entre la formation et la réalité de la classe ? Les études qui mènent à l’enseignement scolaire, au sein de l’université et des IUFM, sont tout à fait comparables aux autres disciplines, et les sciences de l’éducation n’y sont pas absentes. Des progrès restent sans doute à faire, que les enseignants réclament et dont se préoccupe le ministère, mais les questions sont en majeure partie communes à tous les enseignants.
Pourtant le malaise existe et il faudrait en trouver les racines.
Une réflexion est ouverte dans ces pages sur la pertinence de l’âge auquel s’adresse l’enseignement « de masse » de la musique, c’est-à-dire le collège. L’adolescence n’est, tout simplement, peut-être pas le bon moment pour que les élèves accèdent à une pratique et à une culture musicales nouvelles pour eux.
Faut-il dès lors, faire porter l’espoir vers l’école élémentaire ? Les ministres de l’Éducation et de la Culture viennent d’annoncer un plan ambitieux pour le développement des arts et de la culture à l’école, qui prend largement en compte ce questionnement. Commencer plus tôt, travailler davantage en partenariat avec les musiciens professionnels et les institutions culturelles, améliorer la formation initiale et continue des enseignants, voici trois pistes qui semblent fécondes.
Il n’en reste pas moins, à l’analyse, que la musique n’est pas une discipline tout à fait comme les autres, car elle ne peut pas être enseignée si le plaisir n’est pas au rendez-vous. Enseigner la joie à l’école, comme nous y invite le premier article de ce dossier, tel est bien le défi à relever et pour lequel les artistes-enseignants méritent une plus ample reconnaissance.
Michèle Villatte, directrice du centre musical d’Etouvie à Amiens.
Noëlle Villatte, principale de collège à Gennevilliers.
Remerciements à Martine Vidal, professeur d’éducation musicale à Narbonne, pour sa contribution et ses conseils.
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