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Montreuil, dimanche 1er octobre : journée d’effervescence pédagogique.
Equipes constituées ou individus isolés porteurs de projets, mouvements pédagogiques, associations : nous étions quelque 200 personnes réunies ce dimanche 1er octobre à la Bourse du Travail à Montreuil, à l’initiative de l’Institut coopératif de l’École moderne (ICEM), de Marie-Danielle Pierrelée - dont le Manifeste a recueilli à ce jour plus de 5500 signatures - de l’association DECLIC [1], et de Gabriel Cohn-Bendit (cf. l’Appel à l’union de tous les pédagogues paru dans Libération du 28 septembre). Le CRAP, avec le GFEN [2], les CEMEA [3] et l’AFL [4] étaient invités.
En toile de fond : la création du Comité national de l’Innovation pour la réussite scolaire présidé par Anne-Marie Vaillé dont un message est lu à l’assemblée : elle assure de son intérêt les initiatives qui se sont fait ou se feront connaître ; rappelle la volonté du ministre de voir se concrétiser à brève échéance les projets innovants ; évoque la tenue de commissions de travail spécifiques autour de tout projet soumis au Comité ; enfin informe de l’organisation de rencontres interacadémiques sur l’innovation courant novembre et décembre.
Fenêtre ouverte donc au ministère sur les projets innovants et, semble-t-il, volonté de s’inscrire dans un calendrier à court terme.
Deux stratégies
Les initiateurs de la journée ont tous souligné cette conjoncture politique favorable, inscrivant la réunion dans un impératif « d’urgence » : pendant quelques mois, « quelque chose » serait possible. Il faut saisir l’occasion : recenser les projets existants ou en gestation (quatorze seront ainsi présentés ce jour-là) ; créer un réseau pour coordonner le tout et maintenir suffisamment fort l’élan créé pour engager un processus durable.
Si l’horizon commun est celui du changement de l’École, deux stratégies se dessinent sans pour autant se figer en camps bien distincts : la première met l’accent sur l’existant. Il s’agit de s’appuyer sur les acquis pour aller plus loin. Acquis institutionnels d’une part : l’Éducation nationale, dans ses évolutions récentes permet - tout au moins dans les textes - de s’engager sur la voie de l’innovation (enseignement par cycles dans l’élémentaire ; travaux croisés en collège ; TPE, Aide individualisée en lycée). Acquis des mouvements pédagogiques d’autre part : le travail sur les pratiques, qu’elles soient coopératives, fondées sur la pédagogie institutionnelle, les méthodes actives, le « tâtonnement expérimental », ou tout autre apport né de plus d’un siècle de réflexion et d’expérimentation pédagogiques - dans lequel le CRAP et les Cahiers ont joué leur rôle - a permis des réussites qu’il faut mettre en valeur. L’ouverture apparente du ministère à ces idées devrait permettre de consolider et d’élargir les expériences menées dans les établissements.
la seconde met l’accent sur les résistances au changement qui annihilent tous les efforts cités ci-dessus. Ainsi Déclic 93 se heurte depuis trois ans au refus « démocratique » de l’établissement censé accueillir une petite structure innovante dans ses murs. Marie-Danielle Pierrelée dresse quant à elle un bilan totalement négatif du collège dont la situation est jugée « gravissime ». La crise de l’École est telle qu’un point de non retour aurait été atteint, nécessitant des mesures urgentes et radicales. Dans ce contexte, il s’agit de créer les conditions d’un véritable débat public sur les missions et le sens de l’École. Débat concernant tous les citoyens, et pas seulement les professionnels de l’éducation. Créer ce débat, c’est créer un rapport de forces permettant l’ouverture d’établissements « pionniers » ouvrant la voie à un réel changement. « Pionnier » est préféré à « expérimental » car il ne s’agit pas de se satisfaire de la création d’établissements parallèles au système, mais bien d’inscrire le changement dans une reconquête de l’École par l’ensemble de la société.
S’inscrire dans la durée tout en tenant compte de l’urgence : deux tendances contradictoires qui ont rythmé la journée en oscillations régulières.
Tantôt le pragmatisme orientait le débat vers des décisions matérielles immédiates : comment s’organiser ? Si mise en réseau il y a, qui assurera la coordination ? Objectif fixé : trouver une adresse nationale, permettant à chacun de se relier au mouvement, de continuer l’action localement tout en construisant les éléments d’un débat national.
Tantôt la question des valeurs venait interrompre le processus de décision. Plusieurs interventions ont jeté le soupçon sur les mots censés réunir les participants : en premier lieu le mot « innovation » jugé insuffisant à définir une base d’accord commune. Quelle est la finalité éducative cachée derrière le mot ? De l’émergence d’un sujet autonome, créatif, capable d’initiatives et solidaire, à celle d’un sujet capable de créer des entreprises, dynamique, inventif et ancré dans un projet de réussite personnelle, le sème discriminant ne réside pas dans le mot innovation qui favorise aussi bien l’une que l’autre. De même, la « réussite scolaire », peut être déclinée en termes contradictoires : dans un modèle compétitif et élitiste - fût-il républicain - ou dans un modèle plus humaniste visant le développement de la personne. Un deuxième questionnement, lié au précédent, posait le problème des limites de l’action commune engagée : certains principes comme la laïcité, la gratuité, bref le caractère public du mouvement ont été posés comme intangibles, excluant toute initiative à caractère privé. Cette position, affirmée fortement par l’ICEM, a révélé quelques failles dans l’assemblée. Le principal débat a porté cependant sur la confiance à accorder au ministère : la création d’établissements innovants en marge du système, qu’ils soient pionniers ou expérimentaux, ne risque-t-elle pas de servir d’alibi à un immobilisme de fait ? La figure de Meirieu, grand absent de la journée, apparaît en filigrane : peut-on applaudir sans réserve la création d’un comité de l’innovation qui marque en même temps la fin d’un processus de réforme visant à transformer l’ensemble du système éducatif ?
Bilan provisoire de la journée :
Au bout du compte, dans l’impossibilité de s’accorder sur une unique « tête de réseau », deux adresses ont été données : celle de l’ICEM, mettant à disposition son propre réseau : freinet. org/icem/, et celle du Manifeste de MD Pierrelée : www.multimania.com/mdpierrelee.
Un temps fort est proposé pour un forum national sur l’éducation : les 10 et 11 mars 2001 (dates à confirmer).
Cela dit, les questions de fond sont restées en suspens, et nous le voyons, beaucoup d’ambiguïtés devront être levées. Elles devront être levées en premier lieu dans notre propre mouvement : ces questions, nous nous les sommes posées, nous nous les posons encore. Quel bilan critique portons-nous sur l’état de l’École ? Le cri d’alarme de M.-D. Pierrelée rejoint les imprécations des pires détracteurs de la pédagogie : cela n’est certes pas une raison suffisante pour refuser de l’entendre. Cependant, devons-nous oublier la loi d’orientation de 1989 qui, tant sur les missions que sur le sens de l’École, est porteuse de bien des innovations ? Où sont les résistances ? Bien sûr dans l’institution, mais aussi dans les corps sociaux attachés à leurs propres représentations de l’École. Si un nouveau débat, plus large, plus citoyen ne peut être que profitable, la nouvelle loi qui en résultera sera-t-elle mieux appliquée que la précédente ? Dans l’immédiat, une question doit être débattue : quel rôle voulons-nous jouer dans la dynamique enclenchée ? Et, corollairement, quelle réponse apportons-nous à la question posée par Meirieu ?
Marie-Christine Chicky, professeur de français.
le 10 novembre 2000Paris, le 15 octobre 2000
Évidemment, tout le monde garde en mémoire les images de Palestine : la terreur de l’écolier qui va être atteint par une balle sous l’objectif d’une caméra, le visage ensanglanté de l’enfant mort, à la une d’un grand hebdomadaire. La violence se donne en spectacle et les camps se dressent les uns contre les autres, les pierres volent, les coups de feu partent. La victime est tombée. Vingt bras la soulèvent pantelante et l’emmènent dans une course tragique. Le groupe des sauveteurs grossit de clameurs et de partisans qui accourent, fascinés et horrifiés par le sort du héros qu’ils auraient pu être. Car la scène, réglée dans une sorte de schéma immuable, prévoit la part de hasard qui laisse dans l’incertitude l’identité de celui qui jouera le rôle du martyr. Après quoi, la grandiloquence des discours est à la mesure d’une émotion irrémédiable, des blessures inguérissables, de la haine et de la mort.
Le lendemain, les images se sont répandues, la foule s’est multipliée, un tombeau a été saccagé, une mosquée a été détruite, des synagogues ont été attaquées et des jeunes gens souriants se sont présentés devant les caméras afin d’expliquer, cautionnés par la fierté de leur père, qu’ils attendent sereinement le moment où ils tomberont à leur tour. Ce sont presque les mêmes, quelques années en plus, qui vont tranquillement lyncher à mort trois soldats égarés.
Ainsi, pendant que les chefs d’états se concertent, que les chefs de clans organisent leurs provocations, il faut bien constater que ce sont les enfants qui jettent les pierres et qui reçoivent des balles... et qui se transforment bientôt en tueurs.
Comme si le destin d’un monde condamné à un affrontement sans issue arrivait à ce terme où toute illusion a disparu. À ce moment, les adultes avertis s’apprêtent à assister à la représentation de cette fin qui les hante tandis que les enfants, abandonnés à la violence, n’ont plus d’autre espoir que d’y succomber. Plus que jamais, au Moyen Orient comme ailleurs, la violence peut apparaître comme la seule façon de donner du sens à une existence bornée de tous les côtés. C’est pourquoi, malgré les aspects sordides que revêt tout recours à la destruction, cette dernière finit par se parer des vertus de la rédemption avant d’autoriser de lamentables actes expiatoires.
Au milieu de la tourmente, les écoliers palestiniens retournent à l’école où l’on se plaît à reconnaître que les jeunes victimes étaient des élèves modèles. L’institutrice qu’on nous montre à la télé interroge sa classe sanglée dans ses petites blouses bien propres, attentive et sage. « Pensez-vous que nous pourrons vivre un jour en paix avec les Israéliens ? » Aucune main ne se lève. Ce sont eux que le journaliste a choisis pour nous prendre à témoin.
Il faudrait aussi aller voir du côté de ceux qui sont trop pauvres pour avoir une opinion. On n’ose même pas imaginer que la question puisse avoir un début de signification.
Quand il n’y a plus de parole, quand il n’y a plus de mots ni de dialogue pour communiquer et construire les relations humaines, alors surgissent les pierres et les balles. C’est vrai à l’échelle de tout un peuple comme en Palestine, et c’est vrai aussi, en d’autres circonstances, dans une simple classe, ici ou ailleurs.
Et, même s’il faut se méfier des rapprochements rapides, l’on ne peut s’empêcher de penser à ceux qui, loin de tout héroïsme, dans nos banlieues, dans nos quartiers délaissés, ou simplement dans nos classes ordinaires, ne trouvent plus d’autre moyen pour essayer d’exister que l’affrontement violent contre tout, contre rien, parce que rien, hormis la violence, n’est véritablement pris au sérieux.
Assistons-nous là à l’emballement d’une image étalée complaisamment par des médias soucieux de satisfaire un public avide de sensations ou au spectacle d’un théâtre où s’affrontent des forces d’une telle cruauté que seuls les enfants sont encore capables de les regarder sans trembler ?
Nous autres, pédagogues, éducateurs, allons-nous nous contenter d’être des témoins impuissants ?
Pierre Madiot
le 10 novembre 2000« J’étais un jour dans une classe de cours moyen, pendant une leçon de mathématiques. L’enseignant avait écrit au tableau l’énoncé d’un problème et avait demandé aux élèves de le résoudre. L’élève auprès duquel j’étais assise a copié consciencieusement l’énoncé, puis s’est croisé les bras et a commencé à regarder les mouches voler. Au bout d’un moment, je lui ai demandé pourquoi il ne cherchait pas, pourquoi il n’écrivait rien. “ Ce n’est pas la peine, m’a-t-il expliqué d’un air de commisération. Vous savez, le maître va nous écrire la solution au tableau tout à l’heure et je n’aurai qu’à la recopier. Si j’écris quelque chose maintenant, ça n’ira pas, je serai obligé de gommer, mon cahier sera sale ! ” [5] »
L’attitude de cet élève est logique, adaptée à ce qu’il comprend de la situation scolaire, où le produit est toujours privilégié par rapport au processus et où l’écriture est plus souvent la trace à reproduire d’un savoir constitué qu’un instrument pour construire ce savoir ou se l’approprier. Écriture de restitution qui se limite parfois même à des mots à insérer dans une phrase à trou, sur un schéma, sur une carte... Ou écriture bilan : classiquement, il n’y a pas de bonne leçon sans une synthèse finale du contenu abordé, recopiée ensuite par les élèves.
Pourtant écrire n’est pas seulement reproduire les traces d’un savoir préexistant. C’est tout à la fois la manifestation et l’instrument d’une activité cognitive (voir l’article de B. Pudelko et D. Legros), instrument qui, dans notre culture occidentale, a modelé en profondeur l’exercice de la pensée [6]. Il n’y aurait par exemple pas de science telle que nous la connaissons sans l’accumulation écrite des savoirs, l’appui sur ce qu’on a déjà trouvé pour aller plus loin, le débat entre membres d’une communauté scientifique toujours élargie par cette vertu qu’a l’écrit de reculer les limites du temps et de l’espace. L’écrit et la manière de s’en servir font partie de « l’outillage mental » d’une époque, pour reprendre l’analyse de l’historien Lucien Febvre. L’écriture est un « instrument », disent par ailleurs les psychologues de l’école vygotskienne : elle accroît les ressources du langage, et par là même de la pensée.
Pourquoi, alors, continuer à minimiser l’utilisation de l’écrit à l’école ? Il ne manque pourtant pas d’enseignants qui, dans toutes les disciplines, et dès l’école primaire, veulent faire de l’écriture cet instrument de découverte de soi et du monde, tentent de faire chercher et réfléchir leurs élèves par des pratiques d’écriture tâtonnantes, de brouillonnement, de retour sur eux-mêmes et sur ce qu’ils ont appris, d’échanges autour des écrits... Une écriture de découverte, d’élaboration, une écriture complexe qui accompagne et qui permet la construction de connaissances.
Ce genre de préoccupation n’est d’ailleurs pas entièrement neuf. L’affirmation que le français est un « bien commun » à toutes les disciplines était un mot d’ordre dans les années quatre-vingt ; elle est toujours aussi actuelle. Avoir à y revenir aujourd’hui est sans doute le signe d’un échec à instaurer des « pratiques langagières » [7] favorables aux apprentissages, et en particulier des pratiques d’écriture, et de le faire dans toutes les disciplines. Trop souvent encore, dans le primaire, les emplois du temps sont-ils compartimentés : écrire, c’est l’affaire des moments de production écrite, des moments où on apprend à écrire, où on intègre les règles de l’écriture. Dans le secondaire, faire écrire les élèves, surtout lorsque ceux-ci sont encore novices en la matière, apparaît aux autres professeurs comme « faire le travail du prof de français ». Les programmes actuels du collège, qui ne se contentent pas d’évoquer une nécessaire liaison entre le français et les autres disciplines, mais qui inscrivent depuis 1995 des objectifs langagiers au sein même du travail des professeurs d’histoire-géographie, de mathématiques ou de sciences de la vie et de la terre, seront-ils moteurs d’évolution dans les pratiques et les mentalités ? Des dispositifs institutionnels novateurs liant écriture et apprentissages disciplinaires (l’opération « La main à la pâte » en primaire, les TPE au lycée...) concourront-ils à un regard nouveau sur l’écriture ?
L’obstacle essentiel réside dans la conception tenace que la maîtrise de la langue écrite est un préalable à son utilisation. Nous proposons dans ce dossier de changer cette perspective : c’est lorsque les élèves sont impliqués dans des pratiques écrites diverses, fréquentes et qui leur font prendre conscience des buts cognitifs des tâches langagières qu’ils progressent en même temps dans leur maîtrise du langage. On fait alors « d’une pierre deux coups », pour reprendre l’expression de Catherine Le Cunff plaidant de son côté pour un « oral pour apprendre » [8].
Nous avons regroupé en cinq sections les contributions à ce dossier afin de mettre en évidence quelques enjeux des pratiques scolaires d’écriture « dans toutes les disciplines ».
Enjeu d’implication et d’investissement personnel : si on écrit pour penser par soi-même et se construire, l’écriture est écriture en « je », moyen de donner, en (se) racontant, un sens à son expérience et à sa perception des choses. On pourra se reporter aussi au Cahier n° 363, « Lire et écrire à la première personne » et à la discussion qui y est menée sur les rôles respectifs, en la matière, du « moi » intime et d’un « je » organisateur du discours.
Enjeu de connaissance du monde, de construction des connaissances, aux divers niveaux de la scolarité, dans la spécificité de chacun des domaines disciplinaires : la dissertation philosophique, par exemple, n’est pas la dissertation en sciences économiques et sociales (voir l’article d’É. Bautier et J.-Y. Rochex).
Cependant une question posée avec insistance dans les articles consacrés aux mathématiques mérite d’être posée de façon transversale : à partir de quand l’écriture devient-elle, non plus une aide pour réfléchir et pour résoudre un problème, mais une difficulté de plus, une tâche qui vient s’ajouter à la tâche de résolution ? En outre, d’un article à l’autre, ce ne sont pas toujours les mêmes fonctions de l’écrit qui sont mises à contribution. On pourrait ainsi opposer l’écriture formalisée travaillée par G. Chapron en SVT à l’écriture spontanée des élèves de F. Baudart en mathématiques. Ici, écrire est objectiver un discours pour pouvoir y revenir, là c’est rompre la linéarité du discours pour faire jouer le caractère proprement graphique de l’écrit : disposition, flèches, symboles... Écho d’un débat encore plus vaste. Que gagne-t-on à privilégier l’écriture spontanée des élèves et la construction tâtonnante, balbutiante des notions d’une discipline ? Que gagne-t-on au contraire à inciter les élèves à utiliser des conduites discursives normées (décrire, expliquer, argumenter, prouver...) ? Les réponses fournies à ces questions par la recherche sont nuancées. Ainsi, chez des étudiants, le rôle des savoirs rhétoriques varie selon les phénomènes scientifiques dont on cherche à faire élaborer une explication, et les connaissances antérieures favorisent l’écriture tout autant que l’utilisation de structures rhétoriques favorise l’élaboration de nouveaux savoirs [9]. Enjeu d’interdisciplinarité, de coopération, accent mis sur la pédagogie de projet. Écrire, notamment avec l’ordinateur, c’est le moyen de fixer un but de production commun à une (ou plusieurs) classes. Mais la réflexion sur l’écriture amène à redéfinir le projet : à mettre l’accent sur l’explicitation des apprentissages sous-jacents (A. Cabrera), à déplacer le centre de gravité du projet interdisciplinaire de sa thématique à la définition d’une conception de l’écriture réflexive commune aux professeurs qui y participent (M.-F. Faure). Un autre objet de réflexion, introduit par l’article de J.-L. Coupel, est celui de l’image : relation du texte avec l’image, primat de l’image sur le texte dans un produit multimédia. Mais, au-delà de la spécificité de l’écriture multimédia (ou, si l’on généralise, de toute écriture liée à la mise en commun de diverses formes d’expression au sein d’un projet), on retrouve le rôle structurant d’un discours dans le travail collectif du projet et dans les apprentissages disciplinaires (ici en histoire) auxquels celui-ci conduit.
Enjeu métacognitif : c’est en essayant d’expliciter ce qu’ils sont en train de faire et d’en saisir le pourquoi et le comment que les élèves peuvent donner cohérence aux tâches scolaires, percevoir le but cognitif de celles-ci, mieux s’approprier les procédures d’apprentissage et réguler leur propre activité. À travers la diversité des mises en œuvre, apparaît l’enjeu commun des pratiques de « journaux » et de « dictionnaires » présentés dans cette section. Le rôle du groupe est important et l’un des effets de l’utilisation de l’écrit est de permettre au groupe de mieux bénéficier des apports de chacun de ses membres (en particulier en ce qui concerne la verbalisation des buts ou des procédures, les bilans partiels...) et à chacun de formaliser ses écrits en tirant parti des échanges.
Une section particulière est consacrée à la formation des maîtres et notamment au mémoire que les professeurs stagiaires écrivent au cours de leur cursus. En quoi écrire participe-t-il au processus de formation ? Simple moyen d’évaluation, ou réel apport à une formation professionnelle ? La question demande d’autant plus à être posée qu’il ne s’agit plus seulement, pour un enseignant débutant, d’acquérir des connaissances, mais aussi des « connaissances en acte », des « schèmes » pour agir dans sa classe. Mais, en fin de compte, qu’il s’agisse d’apprentissages scolaires ou de formation d’enseignants, une des questions les plus fondamentales n’est-elle pas celle posée par R. Étienne dans sa contribution : à qui est destiné l’écrit produit ?
Jacques Crinon, IUFM de Créteil.
le 10 novembre 2000De nombreux formateurs ou enseignants connaissent certains articles de Serge Boimare et en ont apprécié la nature depuis déjà de nombreuses années. Il y était question d’enfants ayant « envie de savoir, mais peur d’apprendre », d’emprunts à la mythologie pour faciliter leur approche de la chose à lire, bref de dimensions identitaires et symboliques dans les phénomènes d’apprentissage.
Avec « L’enfant et la peur d’apprendre », Serge Boimare nous éclaire sur l’appareillage psychique que les enfants doivent mobiliser pour accepter d’apprendre. Apprendre s’explique d’abord pour cet auteur non pas comme un processus de traitement d’informations nouvelles par ajout ou par arrimage du nouveau à l’ancien, mais comme un processus de restauration de l’imagerie narcissique.
Dans un premier temps il nous invite à le suivre dans les repères spéculatifs qu’il éclairera ensuite par des études de cas d’élèves. Ainsi explique-t-il, d’abord, que les défaillances d’apprentissage s’alimentent à deux sources : une difficulté d’ordre instrumental et une difficulté d’ordre psychologique. La difficulté d’ordre instrumental se traduirait essentiellement par une instabilité psychomotrice, un déficit des repères identitaires et une pauvreté des stratégies cognitives. L’instabilité psychomotrice correspond à l’agitation, à l’instabilité, à des difficultés d’attention (les enfants bolides dont parle Francis Imbert qui veulent tout, tout de suite) ou symétriquement à des inhibitions, replis sur soi, endormissements. Le déficit de repères identitaires correspond à une perte des jalons organisateurs de la pensée, relatifs à l’environnement proche, à l’histoire personnelle, aux racines, à la filiation, à la maîtrise de la langue et des règles de communication. La pauvreté des stratégies cognitives se manifeste par l’évitement, voire la fuite devant toute activité d’élaboration intellectuelle dès qu’elle entraîne un retour sur soi.
La difficulté d’ordre psychologique s’identifie à un vécu de frustration excessif devant la remise en cause provoquée par l’apprentissage (apprendre c’est d’abord accepter de ne pas savoir momentanément), à une difficulté à trouver la bonne distance relationnelle avec celui qui a la charge de transmettre le savoir (accepter d’apprendre nécessite de s’identifier à celui qui manie le savoir), à une curiosité excessive parfois qui voudrait une réponse immédiate à des intérêts très personnels.
Cette étiologie installée, Serge Boimare, propose une attitude susceptible de remédier à la peur d’apprendre de ces élèves. Il la nomme médiation culturelle, devant remplir un double rôle.
D’abord « permettre aux questions brûlantes et aux inquiétudes premières d’avoir droit de cité. Mais pas n’importe comment, elles devront être contenues, figurées dans un registre symbolique, dans une métaphore qui les mettra en forme et les atténuera. »
Dans le même temps « offrir le fil pour s’en éloigner et aménager un cadre où le passage à l’abstraction et à la règle deviendra possible. »
C’est pour ces deux raisons que l’auteur propose de s’appuyer sur un auteur comme Jules Verne (qui dans ses romans glisse une formule mathématique, une explication géologique, climatique, technologique au moment où ses héros pourraient être menacés de faim, de froid, de mort ; tout comme les élèves qui ont peur d’apprendre et semblent n’y parvenir que lorsque des éléments de leur survie sont en jeu), sur la Bible et la mythologie grecque.
Le repérage théorique précédent n’occupe que vingt-six pages. Le reste de l’ouvrage (cent trente autres pages) est consacré à de nombreuses situations de classe. Guillaume qui n’apprendra à lire qu’avec des récits d’anthropophage. Gérard dont la peur de savoir liée à la mort de sa mère à cinq ans s’estompe par un voyage imaginaire au centre de la terre. Des élèves qui apprennent à diviser avec Castor et Pollux. Alberto et le gel de la pensée...
Un ouvrage qui peut convaincre le lecteur qu’une formation de psychologue est moins importante sans doute qu’une posture de médiation culturelle pour un enseignant. Posture à développer dans le domaine littéraire, scientifique ou artistique, à la recherche de métaphores développant une pensée imageante, support pour aborder les apprentissages avec des enfants en échec sévère, écrit l’auteur.
Michel Develay
Nous sommes en 1943, les bombes ont écrasé Lorient. Les élèves et leurs professeurs ont pris le chemin de Guéméné pour s’installer à l’hôtel de la Pomme d’or d’où ils continuent à apercevoir les lueurs qui régulièrement embrasent le ciel au-dessus de la ville où sont restées leurs familles. Entre les soldats allemands qui traquent les réfractaires du STO jusque dans les dortoirs et le cochon Adolphe qui engraisse dans un coin, la vie scolaire continue pourtant avec ses petits événements insignifiants, ses préoccupations de profs et de potaches, ses petites transgressions et ses grandes questions... et toujours la faim qui tenaille.
Qu’est-ce qui fait qu’au fil des pages, disposées comme un puzzle, les souvenirs répétés par les différents témoins produisent cet écho qui, en mettant en résonance les plus petits détails et les bruits de la guerre, anime un temps arrêté dans l’exception d’un exil, allie l’angoisse et l’insouciance et nous renvoie l’image d’une école aux portes de laquelle la vie et la mort et les immenses angoisses d’un monde déchiré hésitent à se manifester ?
Une nuit de bombardement sur Lorient, Ptit Père, le boute en train du lycée a disparu. Inquiétude et silence. On le ramène le soir suivant entre deux gendarmes. « Il était parti à pied vers Lorient pour prendre des nouvelles de sa famille ». Mais les frères Trébuil, eux, arrêtés en pleine nuit au milieu de la terreur générale et le professeur Mazé ne reviendront pas. Leurs noms sont inscrits au nombre des suppliciés de la Résistance.
Pourtant les photographies qui illustrent ce récit sont des images d’un étrange bonheur et les évocations du passé douloureux, ressassées à plusieurs voix, sont de celles qui forment une « mémoire » où l’école joue un rôle tout à fait singulier.
Pierre Madiot
le 12 octobre 2000Cette petite collection qui, précédemment, a édité quatre ouvrages autour de la philosophie et quatre autres autour des sciences du vivant, en édite à nouveau une série, autour des mathématiques. Ils ont pour titre : « Qu’est-ce que les mathématiques ? », « La géométrie classique : objets et transformations », « Le monde des nombres », « La logique ou l’art de raisonner ».
L’ouvrage que nous avons retenu est d’une lisibilité certaine et nous paraît pouvoir être conseillé à quiconque s’intéresse à l’art (ou plutôt à la science) du raisonnement et dispose du temps et de la disponibilité nécessaires à la spéculation abstraite. Il est didactiquement construit autour de quatre parties en parfaite filiation les unes avec les autres.
Dans une première partie les auteurs montrent que la vérité qui vise à distinguer le vrai du faux, se centre sur des objets et des énoncés dont elle formalise les relations. On y rencontre les subtilités de ces connecteurs logiques qui unissent des faits, des objets et que nous employons en permanence, le « non », le « ou », le « et », le « si... alors ».
Dans une deuxième partie, reprenant en sens inverse le trajet précédent, on va des énoncés aux objets et on redécouvre notamment les valeurs de vérité et les tables de vérité.
Une troisième partie s’intéresse au statut de la preuve en mathématiques, se dirigeant ainsi d’un énoncé à un autre énoncé, en formalisant le système d’inférences qu’il est nécessaire de construire pour parcourir le trajet.
La quatrième partie traite de l’axiomatisation (des objets aux ensembles). Elle illustre l’apport de la logique à l’ensemble des mathématiques par la modélisation qu’elle suscite et se clôt par le rappel au théorème de l’incomplétude de Godell qui, dans les années 1930, a montré qu’il existe des énoncés indémontrables. La logique rencontre là ses limites. Les limites de la pensée tout court, sans doute.
Michel Develay
À mettre à côté d’Un siècle de leçons d’histoire (Évelyne Héry ; cf. Cahier 378, p. 70) en souhaitant des études analogues sur toutes les disciplines : une réforme des lycées et des collèges demande que les professeurs spécialistes mesurent bien que leur discipline s’inscrit dans un ensemble, l’enseignement secondaire, que ses objectifs et pratiques ont beaucoup évolué et qu’on ne peut donc pas considérer leur état actuel comme intangible.
D’abord couronnement d’un secondaire réservé à peu d’élèves, la philosophie est maintenant enseignée à un grand nombre d’élèves, qui ont suivi des cursus différents, et par un grand nombre de professeurs. Ce changement est somme toute récent : les plus anciens des quelque quatre mille professeurs de philosophie d’aujourd’hui ont découvert cette discipline avec des professeurs qui étaient moins de mille encore vers 1960, et dans un tout autre contexte.
B. Poucet part de 1863, « recommencement » de l’enseignement de la philosophie et rétablissement de l’agrégation après la régression de l’Empire autoritaire ; mais on regrette qu’il ne rappelle pas brièvement la période où Victor Cousin régnait sur la philosophie. Pour chaque période, il dessine le contexte institutionnel, analyse les programmes et les instructions, dont il donne souvent le texte, fait l’inventaire des manuels et, d’après les rapports d’inspection, des pratiques des professeurs, compare l’enseignement public et l’enseignement privé.
Quelques notes pour donner envie aux non-philosophes de feuilleter le livre. Si la philosophie est au concours général depuis 1810, elle n’apparaît à l’écrit du baccalauréat, notée de 0 à 5, qu’en 1863 ; l’anonymat des copies ne date que de 1927. Son domaine a varié : il s’élargit en 1880 à l’économie politique, réduite ensuite à des aspects de morale appliquée. Veillant à la qualité de l’enseignement, les inspecteurs surveillent aussi les idées des professeurs, jusqu’après 1914. Dilemme ancien : « aider les élèves à penser par eux-mêmes et préparer le baccalauréat, d’un côté faire appel à l’intelligence, à l’invention, de l’autre à la mémoire et à la répétition » (p. 193). Il y a eu des instructions très pédagogiques : « si le système des rédactions est pratiqué » (rédaction par les élèves à partir de ce que le professeur a dit en classe, corrigée ensuite par le professeur) « il faut vérifier les résultats qu’il donne pour la majorité des élèves. Les rédactions de la seconde moitié de la classe sont-elles de telle nature qu’il y ait pour les élèves péril plutôt que profit à s’en servir en vue de l’examen, on devra changer de système » ; et de prôner « de joindre à la leçon orale un sommaire dicté soit avant, soit après la leçon : et ce sommaire doit être assez étendu pour que les élèves puissent y retrouver toute la substance de la leçon et soient, par suite, dispensés de la rédiger » (1890, p. 384). Il s’agit de préparer « des hommes et non des professeurs de philosophie ». Un rapport au Conseil supérieur en 1902 rappelle : « on a renforcé notre tâche, en effaçant autant que possible de nos programmes tout ce qui, à la rigueur, pouvait exposer le professeur de philosophie à oublier son rôle d’éducateur au profit de son savoir particulier » (p. 213). Les instructions de 1904 prévoient que, si le professeur a beaucoup d’élèves, il lit et note toutes les copies, mais « ajoute un commentaire marginal pour un certain nombre de copies seulement, avec un roulement régulier » (p. 387). Mais certains craignent une primarisation du secondaire, tel Alfred Fouillée : « Il ne faut pas que la démocratie s’oppose aux aristocraties naturelles - peut-on dire que Platon est l’égal de son cuisinier ? » (p. 210. On n’attendait pas cela du mari de l’auteur du Tour de la France par deux enfants). Questions toujours en débat, et l’on regrette l’absence de références actuelles (le nom de J. Muglioni n’est pas cité [10]).
Le rapport avec la religion est un peu spécifique à l’enseignement de la philosophie. Le programme de 1863 inscrit la morale avant la théodicée, pour montrer qu’elle est indépendante d’un fondement théologique ; l’Ordre moral, en 1874, rétablit l’ordre ancien (avant que Ferry ne supprime la théodicée), que l’enseignement « libre » conserve longtemps, de même qu’il reste longtemps assez indifférent aux évolutions de l’enseignement laïque (il conserve plus longtemps la pratique de l’enseignement en latin), et il utilise pendant longtemps aussi des manuels différents.
Conclusion dure, je n’ai pas dit malvenue : « la discipline philosophique a, contrairement à une légende trop souvent entretenue, assez peu contesté un ordre qu’elle contribuait moins à établir qu’à justifier » (p. 361).
Jacques George
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