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D’emblée, il faut entendre ici le mot exclusion comme désignant, pour le dire de façon tranchante, « la part d’échec » de l’école, les limites d’une politique scolaire qui se veut légitimement démocratisante [1].
L’exclusion telle que nous l’entendons dans ce dossier n’est ni une question d’élèves ni une question d’enseignants, c’est une question systémique. Elle désigne les ratés de la réussite scolaire, dont des élèves sont les victimes, manifestement, en même temps qu’ils en sont les acteurs. Tout comme les enseignants, les établissements, les familles, et au-delà « la société » dans son ensemble sont à la fois dans l’affaire acteurs et victimes à certains égards. De l’échec, de l’absentéisme ou de l’indiscipline, voire de l’exclusion prononcée en conseil de discipline, à l’exclusion au sens politique (ou problématique) du terme, il faut donc changer de focale.
En 2000, quelque 8 % d’une classe d’âge sortent encore du système scolaire sans qualification, et ce chiffre n’a pas baissé ces dernières années. Au bout de dix années de scolarité, quelque 10 % des jeunes gens présentent des difficultés graves de compréhension de l’écrit, et près de 4 % peuvent être qualifiés d’illettrés. Il y a des jeunes soumis à l’obligation scolaire qui s’y soustraient (c’est le phénomène de la « déscolarisation », nouvellement reconnu), et non seulement leur niveau est très faible mais leur estime d’eux-mêmes est souvent profondément dégradée [2]. Il est vrai qu’une mauvaise scolarité ne débouche pas toujours sur une mauvaise insertion dans l’emploi, et celle-ci pas toujours sur une vie ratée, sur une vie d’exclus, néanmoins ces indices interpellent l’école en tant que service public.
Qu’est-ce qu’une scolarité normale ?
« L’exclusion traite des exclus en tant que et seulement en tant qu’ils sont plus ou moins éloignés de ce dont ils ne devraient pas l’être », écrit Saül Karsz, assez mystérieusement à première vue [3]. Au fondement, il y a du jugement social. La loi mentionne ce que la collectivité nationale trouve normal en matière d’acquis au cours de la scolarité : il est question, pour tous, d’une instruction (une « culture générale »), d’une employabilité (une « qualification reconnue »), et d’un épanouissement personnel et social (« développer sa personnalité », « exercer sa citoyenneté »). Ces attentes, n’importe quel père et mère de famille les ressent en envoyant son enfant à l’école, même si leur contenu précis varie selon les individus et les groupes sociaux. Or, elles entrent en collision avec d’autres normes : ainsi l’idée générale que chacun a ce qu’il mérite (c’est le schème de « croyance en un monde juste », mis en évidence par la psychologie sociale [4]), - idée qui se décline assez couramment chez les enseignants en celle-ci : c’est la société qui est injuste, l’école est juste (c’est un peu la « philosophie spontanée » des enseignants).
On le voit, ces deux dernières normes, prises ensemble, ne sont pas incompatibles avec l’attente de scolarité normale. À condition de traiter l’élève qui ne va pas bien scolairement comme une exception ou comme une erreur. En imputant les difficultés à l’altérité (sociale, culturelle...) des élèves « difficiles », on rend leurs difficultés normales et on valide à la fois la croyance en la justice de l’école et le principe d’une scolarité normale pour tous. C’est cette liaison (scolarité normale, rétribution du mérite, altérité de certains) que la problématique de l’exclusion oblige à réviser. Elle récuse le schème « chacun a ce qu’il mérite ». La sociologie de l’éducation dit depuis quarante ans que l’égalité des chances n’est pas réalisée dans l’école. Si l’on veut garder le cap de l’égalité, il faut penser l’école comme un ensemble de rouages produisant des effets sociaux et cognitifs, rouages qu’il incombe aux professionnels (et aux responsables politiques ! - chacun sa sphère de compétence) de conduire et d’adapter autant que nécessaire en fonction des effets observés. Ce qui revient à appliquer à l’école une réflexion conséquentialiste (à mettre en avant le critère des conséquences de l’action) [5].
La fabrication sociale de l’exclusion scolaire
Au cœur de notre problématique, il y a la conviction que « les choses peuvent changer ». Il ne s’agit pas de prendre les acteurs sociaux pour des démiurges, de faire comme s’ils pouvaient métamorphoser le monde à volonté. Mais de bien comprendre ce qui se joue dans les interactions entre acteurs.
L’apport des sociologues est décisif dans la compréhension du phénomène. Il s’agit d’une sociologie neuve, nourrie de la tradition de sociologie critique « à la française », mais pas seulement, et beaucoup plus soucieuse que sa devancière d’appréhender les processus dans leurs méandres et leur complexité - beaucoup plus interprétables en termes professionnels, par conséquent.
Deux concepts s’avèrent cruciaux pour décrire la fabrication sociale de l’exclusion à l’école : le concept d’ordre coproduit (ou négocié), et le concept de carrière (ou de trajectoire).
Le concept d’ordre amène à décrire les modalités selon lesquelles les acteurs (élèves, enseignants, autres professionnels) construisent et entretiennent ensemble l’ordre scolaire (le climat de travail, le sentiment que « ça va bien », ou bien le chahut, l’inquiétude sur ce qui se passe, etc.). Une étude de cas dans un LP étiqueté sensible et pourtant tranquille quoique pas spécialement performant, montre ainsi une configuration où l’ordre d’ensemble repose notamment sur un dispositif central de rattrapage des bavures comportementales (des élèves et des adultes), établi à l’échelle de l’équipe éducative et bien reconnu par tous, tandis que l’ordre dans la classe et la mise au travail des élèves, laissés à l’initiative des professeurs dans leurs classes respectives, sont très inégalement assurés. L’efficience collective serait sans doute améliorée si certains enseignants modifiaient leur gestion de classe, ce que les équipes successives de direction n’ont pas recherché ou pas obtenu [6].
Le concept de carrière (en un sens dérivé de la valeur qu’a le mot dans carrière professionnelle, par exemple) s’intéresse à la construction subjective et objective, active et réactive, rétrospective et en projet, régulière ou en ligne brisée... d’une courbe de vie ou d’une évolution collective. Ce concept permet d’appréhender la déscolarisation et le décrochage scolaire, entre autres, en tant que processus interactifs et séquentiels, qui se développent souvent à bas bruit, du moins dans leurs premiers temps.
Ainsi, les jeunes qui ont abandonné l’école moins de cinq ans après leur entrée au collège, montre Sylvain Broccolichi, étaient de milieu modeste et avaient des acquis très faibles à l’entrée au collège. Que leur mauvais accrochage scolaire résulte d’ennuis de santé, d’ennuis familiaux, d’un déménagement, etc., ils n’avaient personne chez eux pour les accompagner dans l’étude et ne fréquentaient pas une structure d’aide. Le changement d’établissement, les exigences du collège, l’affectation à une mauvaise classe, les ont enfoncés dans le sentiment qu’ils étaient nuls, ce que certains - mais pas tous - ont compensé en chahutant. Puis ils sont partis, malgré les instances de leurs parents souvent. Or, tous les élèves partageant les mêmes caractéristiques scolaires et sociales à l’entrée au collège n’ont pas quitté l’école. Pourquoi ? Comment ? Les chercheurs s’intéressent tout particulièrement aux inflexions de trajectoire, aux redressements. Le geste pédagogique d’accompagnement et de soutien apparaît décisif, qu’il soit accompli dans le cadre de la classe ou en dehors [7]. On voit alors sur les carrières scolaires ce que dégage aussi une étude de l’insertion dans l’emploi : « Beaucoup de parcours contiennent des situations précaires, sans que le parcours lui-même soit précaire [8] ».
Innover ? Non ! Transformer l’ordinaire
C’est sur la base de ces constats que le dossier est construit. On n’y parle pas d’eux, les élèves pour lesquels le pronostic scolaire est mauvais. Le précédent Cahier sur l’exclusion (n° 328) les montrait banals, ordinaires. Nous irons ici plus directement à l’essentiel : à la représentation d’irréversibilité ou d’adversité que construisent les enseignants à propos de ces élèves et de leur milieu pour expliquer leurs défaillances. Cette représentation est fallacieuse. Elle se comprend, mais il faut la récuser. Sans qu’il soit question, dans un pervers mouvement de balancier, d’exonérer les élèves de leurs propres responsabilités individuelles et collectives dans leur mauvaise conduite et/ou leur échec, on affirme ici la faisabilité et l’impact potentiel d’un agir éducatif bien ciblé, coproduit entre enseignants et élèves au premier chef, et mobilisant aussi les équipes d’établissement, les partenaires de l’accompagnement scolaire et, pourquoi pas, les alliés du contrat éducatif local, tous parties prenantes du pari de l’éducabilité des enfants et des jeunes.
Cette fois, le dossier est donc centré sur nous, ou plutôt sur la transaction (pratique et symbolique) entre nous et eux constitutive du rapport pédagogique, dans laquelle nous détenons statutairement et sans conteste la position dominante. Le dossier est structuré comme une séquence d’action :
Françoise Lorcerie, CNRS.
le 10 février 2001Ouf, la rentrée éditoriale des ouvrages sur l’école est moins consternante qu’en 1999 ! Certes, on trouve toujours le lot de livres médiocres et la litanie de l’école en détresse, tuée par les réformateurs pédagogistes sévit encore largement. On citera dans cette veine le ridicule petit livre de Adrien Barrot, pourtant en vedette sur les rayons des libraires ou (hélas !) dans Télérama : L’école mise à mort, à 10 F chez Librio (qui nous avait habitué à mieux en matière d’édition) ou le bien peu original livre de l’ancien conseiller de F. Bayrou, Xavier Darcos (qu’on pensait plus ouvert), L’Art d’apprendre à ignorer (Plon)
Chez le premier, les aides-éducateurs deviennent de sortes de « gardes rouges » (sic) chargés de décerveler la jeunesse pour le plus grand profit des « destructeurs du savoir », chez le second, un Philippe Meirieu est présenté comme le chef de file des démolisseurs de l’école. On connaît la chanson !
En même temps, Guy Morel et Daniel Tual-Loizeau font rire à peu de frais en pourfendant le jargon des sciences de l’éducation (Petit vocabulaire de la déroute scolaire, Ramsay) au nom d’un pseudo-bon sens qui oublie que personne n’a le monopole du jargon ou de la langue de bois (même si on peut bien entendu se retrouver dans le rejet d’un certain langage abscons et inutile).
Peu de réflexion sérieuse dans tous ces livres qui doivent être très vite oubliés.
Faisons aussi un sort au livre de Claude. Allègre (Toute vérité est bonne à dire), qui tient trop souvent du règlement de comptes, où l’on apprend cependant de manière surprenante que l’ancien ministre était partisan de l’examen d’entrée en sixième (on lit cela avec stupeur au milieu d’une page) et où l’on trouvera une nouvelle version de la thèse du « complot », laquelle aide rarement à bien penser la complexité d’une situation de crise.
En revanche, les ouvrages de Dubet et Duru-Bellat d’une part, et de l’ancien conseiller de Claude Allègre de l’autre, solides et documentés, nous apportent des éléments stimulants pour penser l’école d’aujourd’hui et de demain.
Le livre de D. Dacunha Castelle vaut mieux que son titre qui ressemble curieusement aux titres des pamphlets « républicains ». L’auteur s’attache surtout à analyser les blocages qui empêchent les réformes de s’accomplir. Il sait avoir la dent dure contre l’hypocrisie de ces « antilibéraux » qui tolèrent parfaitement l’élitisme des cours particuliers et des entorses à la loi républicaine quand il s’agit par exemple de carte scolaire et contre la malhonnêteté de ceux qui pratiquent la désinformation à coups de rumeurs. Il n’hésite pas en même temps à avancer quelques propositions dont certaines paraîtront iconoclastes, sur l’enseignement des langues anciennes et celui de la technologie par exemple. Malgré l’hommage rendu aux pédagogues, on regrettera quelques formulations rapides et assez inexactes sur les travers de ceux-ci (à qui il est reproché une absence de réalisme d’une façon un peu rapide : l’auteur avait-il là le souci de trouver un « équilibre » un peu artificiel ?). On appréciera la réflexion sur les disciplines de l’ancien président du Conseil national des programmesä et quelques anecdotes bien significatives des efforts qu’il faut fournir quand on veut se heurter à la stricte logique disciplinaire. En revanche, la partie sur la formation, assez confuse, déçoit. Enfin, Didier Dacunha Castelle, comme P. Meirieu dans Parents-enseignants : la grande explication, plaide pour une intervention des politiques afin de dépasser le cadre strictement corporatif des débats actuels. Vœu pieux ? Et pourtant, comment ne pas être d’accord avec l’auteur quand il interpelle un pouvoir qui devrait se saisir « d’un sujet aussi décisif, alors qu’il est amené à se pencher sur des problèmes aussi ardus que la bioéthique ou le nucléaire ».
L’hypocrisie scolaire est un titre très pertinent pour évoquer le thème central de l’ouvrage de Dubet et Duru-Bellat sur le collège. Se trouvent synthétisées les propositions déjà avancées par les deux auteurs qui s’expriment ici à la fois en chercheurs et en militants indignés par les contre-vérités et les discours ronflants des pourfendeurs des réformes, alors que ceux-ci s’accommodent parfaitement de l’existant, c’est-à-dire de la « fracture scolaire » qui traverse les collèges et crée l’école à deux vitesses. On voit là la convergence avec le livre précédent. Pour Dubet et Duru-Bellat, on peut affirmer à la fois que le collège ne va pas si mal (il a su s’adapter en partie aux nouveaux publics, il a su évoluer) et qu’il ne va pas si bien en terme de « justice ». Les inégalités s’aggravent, le consumérisme scolaire tend à cliver les établissements. Trop d’élèves sont apathiques ou « déviants », ne trouvant pas toujours au collège « de quoi les nourrir, les aider à grandir dans un univers de connaissances et d’apprentissages significatifs pour eux ». Le collège reste l’antichambre du lycée général, sous la pression notamment des « défenseurs de la vraie foi » pour qui toute révision des programmes est considérée par exemple comme crise de lèse-culture, voire de lèse-civilisation. Les auteurs les renvoient dos à dos avec les « libéraux » qui, d’un autre point de vue, s’opposent aussi à la démocratisation. Ils prônent au contraire une véritable suspension de la sélection au profit de la construction d’une culture commune qui tienne compte de l’hétérogénéité des publics et permette d’enclencher une « dynamique de mobilisation ». Et là encore, on fait appel aux politiques pour qu’un vrai débat national ait lieu à ce sujet. Mais celui-ci doit être éclairé par des faits et les propositions émises dans le livre n’ont de sens et d’intérêt que parce qu’elle s’appuient sur une collecte d’informations et de données (objectives ou subjectives, à travers questionnaires et enquêtes) : « il s’agit de se placer sur le terrain de ce qu’on sait sur le collège. Ce n’est pas parce que tout le monde ou presque l’a fréquenté ou y a envoyé ses enfants que chacun peut considérer son stock d’anecdotes personnelles ou d’expériences plus ou moins gratifiantes comme un savoir indéfectible. ».
Un ouvrage utile donc, certes plus exigeant que les libelles dénonciateurs, mais que tout responsable politique s’intéressant aux questions scolaires devrait lire avec attention.
Jean-Michel Zakhartchouk
Dans cette période d’interrogation sur les innovations et les réformes, il faut lire ce livre qui pose ces questions après avoir cherché, et trouvé, des établissements qui offrent des solutions aux élèves en échec scolaire. À la question du titre Élèves à problèmes, écoles à solutions ? L’auteur, Cécile Delannoy (qui a été longtemps rédactrice en chef des Cahiers), répond oui et sa réponse est détaillée, argumentée. Elle s’est déplacée, a visité des établissements qui aident les élèves en difficulté. Elle a observé et interrogé tant le fonctionnement que ses effets avant de conclure en affirmant que ces écoles différentes sont un véritable recours pour les élèves en difficulté.
Ces écoles sont à la marge du système éducatif, le plus souvent elles n’appartiennent pas à l’Éducation nationale. Qu’ont-elles en commun ? Les solutions qu’elles proposent sont-elles généralisables ?
Dans la deuxième partie, l’auteur détaille sept points essentiels au fonctionnement de ces écoles différentes : elles sont de petite taille et le directeur connaît personnellement les jeunes et les adultes de son établissement, il les rencontre tous les jours ; ces établissements ont une dimension familiale, les élèves y vivent ensemble autre chose que l’école (mangent, font la cuisine, rangent...) ; l’alternance stage/enseignement y est pratiquée, les élèves sont aussi acteurs, producteurs ; une véritable marge de manœuvre existe, une liberté d’innovation ; les élèves sont accompagnés de manière personnelle, ils se sentent accueillis, la qualité de la relation est essentielle ; il y a un effet de rupture, de changement d’identité et un sentiment d’appartenance à un groupe (esprit maison) qui valorise les élèves ; les adultes s’investissent fortement et collectivement dans leur fonction ce qui donne plus de cohérence et une meilleure pérennité à leur travail.
Ces modes de fonctionnement sont questionnés : s’agit-il de totalitarisme éducatif ? S’occupe-t-on des problèmes scolaires ou des problèmes de comportement ? Faut-il combler des lacunes ou remotiver ? Plus fortement encore : ces établissements font-ils réellement réussir ? Réussite aux examens, insertion professionnelle et sociale, degré de satisfaction et calcul des coûts, tout converge, ça marche !
Alors, que pourrait-on généraliser : la démassification des collèges (au moins dans les quartiers difficiles) ; l’introduction de l’alternance ; l’action sur le recrutement, la formation et l’accompagnement des enseignants ; la capacité à faire évoluer les structures. Mais, n’oublions pas que les solutions de ces écoles sont provisoires et que leur manière d’inventer des solutions est plus importante que les solutions elles-mêmes. À nous de réfléchir, dans toutes nos écoles, à des pistes de solutions possibles en nous interrogeant dans ces deux directions, stratégique et psychologique. C’est urgent.
Françoise Carraud
Philippe Perrenoud a publié dans le n°390 des Cahiers (" Peut-on être “conseiller” pédagogique ? "), aux pages 42 à 45, un article intitulé : " Mettre la pratique réflexive au centre du projet de formation ".
Faute de place, nous n’avions pu donner in extenso les références bibliographiques de cet article. Les voici telles que Ph. Perrenoud nous les a communiquées.
" Écoles de parents ", " comment éduquer votre enfant ", groupes de paroles, soutiens psychologiques, " parents en difficulté " : aujourd’hui il est sans doute plus facile d’être enfant, mais être parent apparaît comme un défi presque impossible, inaccessible. On ne saura jamais bien faire, c’est trop clair.
Formation continuée, groupes Balint, sessions, colloques, programmes de professionnalisation : être prof relève aussi de ces fameux métiers impossibles qu’on essaie tout de même de pratiquer le moins mal possible ; on change ses méthodes, on remet à jour ses connaissances. Sachant que les savoirs et les savoir-faire perdent si vite de leur pertinence, et qu’il faudra reprendre tout cela dans quelques années.
Dans les contes populaires le héros naît fragile et Il se lance tout de même sur les chemins, parce qu’on n’a trouvé personne d’autre pour combattre le mal. Il commence par affronter ce que les narratologues appellent " épreuve qualifiante " : berner un ogre, estourbir un brigand aider une pauvre vieille qui, en fait... Après quoi le voilà adulte il sait ce qu’il veut et où il va. Le reste se déroule tout seul : il dézingue le dragon, délivre la belle princesse et devient roi (et père de " beaucoup d’enfants " dont l’éducation sera sans nuage).
Et nous ? Le début du conte, ça va : des gens pas tellement solides qui se lancent tout de même dans l’aventure d’enseigner, ok.
Mais il est bien clair que nous passerons notre vie professionnelle à essayer, à réussir de petits trucs, à nous planter dans les grandes largeurs, à nous demander (seul ou avec d’autres) ce qui n’a pas marché, à essayer autrement... et ainsi de suite. Certains enseignants croient que leurs diplômes les ont définitivement qualifiés - ce qui prouve bien que les contes de fées sont une lecture dangereuse.
Prof ou parent aujourd’hui, c’est bien souvent la même impression : qu’on passera sa vie à apprendre à l’être. Sauf par illusion, nous ne serons jamais définitivement qualifiés, assurés à vie d’une compétence tout terrain, investis d’une véritable autorité.
Dommage tout de même Nous en resterons à l’épreuve initiale, à une qualification toujours à réparer, restaurer, remettre en cause. Immobilisés à vie dans ce moment où nous " passerons notre bac d’abord ". Jamais nous ne balaierons les dragons d’un revers de lame pour délivrer la belle princesse. Sauf par illusion.
Professionnalisés comme des bêtes, bardés d’outils, révisés-psy jusqu’au tréfonds, nous aurons toujours à affronter ce moment où on découvre une nouvelle classe, avec chaque fois la même question : est-ce que je vais savoir faire ?
Philippe Lecarme, professeur honoraire de Lettres.
le 10 janvier 2001Le terme de conseiller pédagogique est d’emblée piégé car il correspond selon les cas à une fonction ayant un statut, les CPC ou CPD dans le premier degré, ou à une fonction supplémentaire ou complémentaire du travail de l’enseignant dans le cas des PMF/IMF et des enseignants du second degré.
Annonçons donc tout de suite la couleur : ce dossier est consacré aux personnes qui dispensent ou sont réputées dispenser du conseil pédagogique envers les enseignants en formation sur le terrain, et par ricochet bien sûr, au contenu de ce qu’elles dispensent.
Le premier écueil que nous avons rencontré est que les titres comme les reconnaissances institutionnelles de ces personnes sont très diverses. Pour aller vite, car la chose sera amplement développée dans le dossier, dans l’enseignement primaire nous parlerons des maîtres formateurs et des conseillers pédagogiques, dans l’enseignement secondaire des conseillers pédagogiques et tuteurs, mais dans l’un et l’autre interviennent les formateurs IUFM.
Deuxième écueil : dans un système d’enseignement qu’on se complaît toujours à décrire comme terriblement centralisé, on trouve une invraisemblable diversité dans les fonctionnements, les dénominations et les formations (quand il y en a). Cette profusion, qui souvent confine au désordre, nous obligera à préciser très souvent : " en certains lieux ", " dans la plupart des cas ", etc. Que le lecteur ne pense pas que ces nuances correspondent à un à peu près dans notre travail. Il reflète au contraire l’impossibilité qu’il y a le plus souvent à généraliser.
Troisième écueil : tous ces conseillers font beaucoup de choses, entre autres du conseil pédagogique, mais cette notion de conseil est aussi floue que vaste et comprend beaucoup d’aspects qui ne relèvent que de très loin du conseil.
Nous avons donc décidé d’aborder la notion de conseil pédagogique en nous intéressant d’abord aux personnes qui sont censées le porter. Nous commençons ainsi par exposer d’un point de vue historique d’abord " d’où ils viennent ", avant d’adopter un point de vue descriptif, avec toutes les réserves dont il faut entourer une description qui pourrait figer la fonction de conseiller dans des représentations réductrices.
Nous accordons ensuite une large place aux témoignages des divers acteurs présents sur cette scène du conseil pour mieux en cerner la difficulté. C’est pourquoi, stagiaires ou tout jeunes profs, conseillers et IPR seront appelés à la barre des témoins.
Nous verrons ensuite comment se vit cette partie de la vie professionnelle, avec quelle formation possible ; nous observerons quelques outils utilisables pour enfin nous poser des questions sur les fonctions et sur les rôles du conseiller.
Ces questions sont nombreuses, nous en avons privilégié quelques-unes en donnant plus la parole aux " gens du terrain " qu’aux chercheurs. Qu’on nous pardonne ce parti pris, mais il nous a semblé que les travaux des chercheurs étaient suffisamment accessibles pour qu’on puisse les consulter alors qu’il est souvent difficile de savoir ce qui se " tricote dans nos casernes " pour reprendre une expression d’Edgar Morin, parlant lui des lieux dans lesquels il sévit.
Élizabeth Thuriet, professeur à Sisteron.
Marie-France Urbain, professeur à l’IUFM de Paris.
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