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Anticiper pour ne pas décrocher

«En dix ans, le métier de directeur de CIO a beaucoup évolué.» La lutte contre le décrochage scolaire, dossier prioritaire pour l’Institution, est un volet sur lequel se manifeste particulièrement cette évolution. Pierre-Olivier Wessels voit son rôle aujourd’hui comme celui d’un conseiller technique auprès des chefs d’établissements, des enseignants, « pour prendre de la distance sur les situations difficiles pour l’élève et les enseignants, en les désamorçant ». Les liens déjà existants avec les structures d’orientation et d’insertion se sont étoffés et déployés vers les lycées et collèges pour agir de façon plus réactive. Ils se concrétisent notamment avec l’association « Travailler demain », où le dialogue et la co-construction entre les partenaires sur le thème de l’orientation scolaire aboutit à l’organisation du « Carrefour des Formations et des Métiers » avec un fort volet pédagogique.

Dans un département rural, la dimension du territoire est cruciale pour que l’isolement, l’éloignement ne freinent pas l’émergence de solutions, l’accès à l’information. En Vendée, les maisons du service au public sont en cours de déploiement, et ont vocation à accueillir les services pour des permanences, favorisant le dialogue avec les établissements, les élèves, les familles. La vision territoriale dresse des passerelles entre collèges et lycées pour mieux appréhender les risques de ruptures de scolarité et préparer les transitions. Et puis, parfois, les raisons du décrochage sont à rechercher dans la difficulté à venir à l’école pour des raisons familiales ou de transport. Les liens tissés avec les services territoriaux de proximité facilitent la levée des obstacles.

Trouver des solutions

Lutte contre le décrochage scolaire dans l’Éducation nationale, actions pour l’anchrochage scolaire dans l’enseignement agricole, peu importent les termes. Les référents dans les collèges et lycées des deux systèmes participent aux mêmes journées thématiques où ils se familiarisent aux outils, aux concepts «pour ne pas parler du décrochage scolaire en terme d’objet, ne pas attribuer d’étiquettes stigmatisantes», où ils acquièrent une méthode s’appuyant sur l’analyse de situations-problèmes propices à trouver des solutions. Les établissements publics et privés contribuent à des initiatives voisines, l’objectif de réduire le nombre de sortants de l’école sans diplôme, sans solution est commun et partagé. Par le biais du Service public régional d’orientation, le cercle s’élargit aux Missions locales, au point info jeunesse du CIDJ, à Pôle Emploi, aux centres de formation pour adultes comme le CNAM ou l’AFPA, aux collectivités territoriales, etc.

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Depuis 2015, les Régions ont dans leurs responsabilités l’orientation dans le cadre de la formation tout au long de la vie. Dans les Pays-de-la-Loire, les directeurs de CIO sont pour la plupart animateurs des plateformes de suivi et d’accompagnement des décrocheurs. Pour Pierre-Olivier Wessels, l’important est d’anticiper, «de faire du lien, du réseau». Au cours de l’année 2014-2015, 223 situations de décrochage ont été traitées sur le bassin Vendée est incluant le secteur de Fontenay-Le-Comte, un seul cas ressortant de la base nationale était inconnu. Des réunions techniques permettent l’analyse au cas par cas des situations des élèves sortis du système dont certains signalés par les enseignants ou les conseillers principaux d’éducation.

Le choix opéré dans le co pilotage État–Région est de créer du lien entre les différentes structures ayant pour vocation de recevoir des jeunes pour trouver à chaque situation une solution sous forme de retour en formation dans les plus brefs délais. «L’objectif est de proposer la solution la mieux adaptée pour aider le jeune à rebondir : un retour en formation initiale dans un établissement que nous recherchons, une remise à niveau pour se réinscrire dans un processus de formation ou la recherche d’un emploi».

Réseaux et réseaux

A chaque fois, les réseaux sont activés pour que la solution se traduise dans les faits avec l’accompagnement nécessaire. Les jeunes migrants isolés sont ceux pour qui la mission s’avère la plus difficile avec souvent un passage par des cours d’alphabétisation et rarement une structure d’accueil disponible. Anticiper le décrochage scolaire passe par un travail soutenu avec les chefs d’établissements qui à leur tour déploient les initiatives avec leurs équipes. Le directeur du CIO élabore avec lui des pistes, détermine les moyens à mobiliser, fournit des éléments de réflexion. Sa contribution s’alimente d’une veille documentaire sur les réseaux sociaux, les sites éducatifs ou institutionnels pour repérer les dispositifs, les recherches universitaires et les projets.

« Au delà de la pédagogie, il faut donner des informations pour comprendre comment se construit, vit l’adolescent d’aujourd’hui. » La veille s’intéresse aussi aux difficultés d’apprentissage, aux hauts potentiels, aux troubles du comportement, sources de décrochage scolaire. Donner de l’information variée permet aux chefs d’établissements de réagir en se basant sur des éléments diversifiés, de ne pas se sentir démunis dans les situations extrêmes comme lors de conseils de discipline, de mieux comprendre, de trouver des solutions.

L’élève perçu à risque dans son collège ou son lycée peut s’avérer investi dans des activités citoyennes, associatives ou sportives. C’est dans sa singularité que les causes de ce risque et les moyens de le contrer sont à rechercher. Le P du sigle COP comme conseiller d’orientation- psychologue prend là toute son importance. « Même si le terme de psychologue est encore mal perçu, dans le système scolaire, il est là pour gérer des situations singulières, s’intéresser aux élèves en tant qu’individus, devant vivre les tourments de l’adolescence sans être pour autant dans la pathologie. » Anticiper le décrochage c’est mettre en avant « la notion d’école bienveillante », « avoir un regard global, transversal » en conduisant l’élève à agir, apprendre à bâtir des projets et dès lors, motivé, faire preuve de persévérance scolaire.

Expérimentation

Il cite une expérimentation de l’accompagnement personnalisé de seconde menée dans trois lycées polyvalent et deux établissements agricoles où, en début d’année, un positionnement, via l’outil lycam, permet d’identifier les difficultés d’adaptation perçues par les élèves. Il en ressort, quelle que soit la structure, que « l’élève a besoin du regard bienveillant de l’enseignant, de se rendre compte que l’adulte a de l’attention pour lui ». Des ateliers sur l’estime de soi sont organisés pour « aider l’ado à mettre des mots ».

Dans cette expérience comme dans les initiatives développées, le principe est le même : «Trois axes soit trois entrées permettent de générer de la dissonance ou de la connaissance cognitive et donc de fournir des éléments permettant de tenir conseil, d’échanger et de discuter du projet : la connaissance de soi, la connaissance des métiers, la connaissance des formations.» Les équipes éducatives sont confrontées à la fois à l’individuation et à l’hétérogénéité. Le temps manque parfois pour trouver des solutions collectives et le regard extérieur amené par le conseiller d’orientation-psychologue et les partenaires qu’il associe apporte un peu d’oxygène.

Des ressources

L’accompagnement s’est imposé comme la colonne vertébrale de la pratique professionnelle de Pierre-Olivier Wessels. Il puise dans les techniques et outils développés par les CIO au fil des années auxquels le numérique donne un nouveau souffle interactif et collaboratif. Des guides à l’usage des enseignants, un synoptique pour l’accompagnement personnalisé dans le parcours avenir, la mobilisation des outils de l’Onisep… Les ressources sont développées comme autant de support pour que l’orientation s’inscrive dans la pédagogie mise en œuvre au quotidien.

Il se voit comme un psycho-pédagogue au service des établissements pour construire avec eux des solutions. « Le lien avec le décrochage scolaire prend sens dès lors que l’on considère en lycée, l’importance de susciter la curiosité des élèves et d’entretenir leur(s) motivation(s), notamment par le(s) projet(s) personnels voire professionnels post bac ». La transversalité est pour lui une dimension fondamentale, pour faire le lien entre les acteurs dans et hors l’école, envisager l’élève comme un individu à part entière et reconnaître son statut d’adolescent dans un monde mouvant. Son rôle est aussi de porter les textes, de leur donner du sens au niveau local par une compréhension de la globalité du système éducatif.

Son propre parcours lui offre des clés pour relier, tisser des réseaux entre des univers voisins mais qui au final ont peu l’habitude de se côtoyer. Successivement, animateur, éducateur, instituteur, conseiller d’orientation-psychologue et aujourd’hui directeur de CIO, il a eu l’occasion d’accompagner tous les types de publics de la maternelle à l’école doctorale, en passant par cinq académie et de lieux de vie urbain, ruraux et mixtes. Il a œuvré auprès de publics différents, dans des institutions différentes mais avec comme constante le trait d’union entre la pédagogie et la psychologie. Au fil de son expérience vendéenne, il a forgé une conviction, celle que la lutte contre le décrochage scolaire autorisait une mise en perspective sur le sens de l’institution et en ce sens était un moyen d’envisager autrement l’école, de faire travailler ensemble des équipes et des partenaires et d’inviter à l’innovation pédagogique par la reconnaissance de l’individu en tant qu’acteur de son devenir.

Monique Royer

Le compte twitter de Pierre-Olivier Wessels

Les pages du site du Carrefour des métiers destinées aux enseignants

Des outils pour préparer l’après-bac