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Actions et décisions dans l’Éducation nationale. Un itinéraire de recherche.

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L’éditeur L’Harmattan a bien raison d’avoir ouvert une série thèses et travaux universitaires dans laquelle la contribution d’André Robert a toute sa place et ce, à un double titre. D’abord, l’ouvrage constitue une référence pour ceux qui ambitionnent de soutenir une habilitation à diriger des recherches, exercice mal défini, mais dont la  » jurisprudence  » montre qu’elle combine une synthèse de travaux et une réflexion distanciée à leur propos. Ensuite, l’ouvrage présente un second mérite, et pas des moindres : éclairer certaines questions d’actualité brûlantes, au centre desquelles le jeu des interactions entre la décision en matière de politique éducative et les réactions qui s’ensuivent fréquemment au niveau des organisations syndicales.

L’introduction est l’occasion pour André D. Robert de pointer les intérêts et les limites d’une spéculation uniquement philosophique mais aussi son nécessaire dépassement par une méthodologie sociologique, toujours interrogeable par la première dans le domaine des fondations et du sens. L’introduction rappelle notamment la manière dont l’auteur a convoqué, à l’occasion des conflits entre syndicats enseignants et ministère, les concepts de dépendance (renvoyant à des intérêts opposés et à des avantages communs), de frustration relative (correspondant à une convoitise pour un bien symbolique – reconnaissance sociale, prestige, savoir – ou pour un bien matériel – niveau de vie, aisance financière), de concurrence (sous-tendant l’idée de compétition pour l’obtention des mêmes biens lorsqu’il existe une surenchère entre organisations syndicales).

Une première partie traite de la méthode adoptée pour les analyses de contenus conduites sur les actes de langage retenus. C’est l’occasion de situer l’apport du linguistique Austin et de montrer la nécessité d’élargir son point de vue  » Quand dire, c’est faire « . On pourra se reportera au  » Que sais-je ?  » d’André D. Robert sur le sujet.

Une seconde partie pose un regard sur des évolutions récentes du système éducatif, en se demandant s’il s’agit d’une exception française sauvegardée ou de dérives accomplies ? Après avoir évoqué le projet républicain de l’école avide  » d’assurer la justice, l’égalité des chances, le traitement égal de tous les élèves fondé sur la réputation d’interchangeabilité des établissements et des enseignants de même niveau, garantie par des procédures centrales standardisées « , l’auteur montre, à propos de la carte scolaire que ce projet constitue essentiellement un principe régulateur, qu’il est possible de repérer des disparités géographiques, sexuelles, entre établissements d’un même secteur. En conclusion, l’interrogation sur l’universel et le particulier dans l’École se trouve particulièrement fondée, même si elle n’est qu’approchée.

La troisième partie à propos du (ou des) syndicalisme (s) enseignant (s) et de l’autonomisation professionnelle des enseignants rappelle d’abord une particularité de ce dernier :  » on note une réelle aisance du syndicalisme enseignant, à la différence de son homologie ouvrière, à intervenir sur des questions professionnelles, y compris en termes de méthodes et de contenus et en allant jusqu’à l’élaboration de vastes projets réformateurs, mais une difficulté plus grande à mettre en adéquation choix socio-politiques et nature des pratiques effectives dans la classe « . À partir de la manière dont la question de la professionnalité est posée par les syndicats, et sur les bases d’une approche interactionniste, André D. Robert en vient à l’idée que la professionnalisation  » doit être regardée comme la conquête collective d’un statut  » et donc comme la possibilité de développer une autonomisation professionnelle. L’auteur accepterait-il de penser que, finalement la contestation syndicale s’expliquerait, au-delà de toutes les péripéties revendicatrices, par une recherche de l’identité des métiers enseignants pour qu’ils se constituent en professions. Énorme paradoxe alors que la situation actuelle où le ministère, en normalisant davantage l’activité enseignante sans remettre en cause le statut des professeurs (cf. le collège de l’an 2000 qui ambitionne, pour les élèves, une heure de vie de classe, des remises à niveau, du tutorat, sans que les conséquences pour les enseignants en soient tirées en termes de compétences professionnelles ou de conséquence pour leur statut), restreint la marge d’autonomie de chacun, mais en contrepartie en professionnalise les attributs. On comprend alors que C. Allègre, symboliquement, soit par certains enseignants, vécu comme un mauvais père (ses projets étant considérés comme un excès de spécification d’un métier qui par là même n’accéderait pas au statut de profession) et par d’autres comme un bon père (ses projets conduisant à davantage de professionnalité du métier de professeur, chacun ayant à opérer des choix d’activités au-delà d’heures de cours). Pour reprendre les propos d’Alain Touraine, on assiste actuellement à travers les revendications de certains syndicats enseignants, à une opposition contre le passage d’une école républicaine à une école démocratique. L’école républicaine se définissant essentiellement par une visée d’universalité que seule permet la raison ; l’école démocratique se construisant en prenant en compte la raison (la recherche de l’universel), mais aussi la liberté (l’acceptation des individualismes) et la mémoire (vecteur des particularismes). D’où les alliances récentes entre républicains de tous bords et conservateurs de toujours. Le risque ultime des statu quo est l’intégrisme et celui des volontaristes progressistes est le libéralisme.

Un ouvrage donc de référence qui ne peut que donner envie, d’une part de lire ou relire diverses contributions de l’auteur [[Comme Le syndicalisme enseignant ou L’analyse de contenu.]], d’autre part, de lui suggérer une recherche nouvelle à propos des relations entre le politique et le scientifique dans la prise de décision.

Michel Develay


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