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Accompagner les élèves intellectuellement précoces

Dans sa classe, le professeur des écoles prévoit généralement des différenciations pédagogiques pour les élèves en difficulté, pour les élèves dont les troubles ont été diagnostiqués par un autre professionnel, notamment les élèves dys. Toutefois, il ne faut pas oublier les autres élèves, y compris ceux qui ont terminé avant les autres, qui posent tout le temps des questions, qui coupent les cheveux en quatre. Les enfants ayant un haut potentiel (HP), appelés également élèves intellectuellement précoces (EIP), surdoués ou zèbres, ont aussi besoin d’un accompagnement en classe.

Élève à haut potentiel ne veut pas systématiquement dire élève en réussite scolaire. Certains d’entre eux peuvent ne pas réussir les exercices les plus faciles, ne pas être capables d’expliquer leurs stratégies, être hors sujet ou s’ennuyer ferme en classe. Il y a aussi ces enfants à haut potentiel qui présentent des difficultés d’apprentissage, ou même en échec scolaire, amenant certains enseignants à remettre en cause le diagnostic. On méconnait bien souvent la situation en pensant qu’ils sont capables de réussir seuls et qu’il vaudrait mieux se concentrer sur les élèves « vraiment en difficulté ». En réalité, les textes officiels le stipulent, les EIP font partie des élèves à besoins éducatifs particuliers.

Différenciation et hétérogénéité

Enseignante en maternelle, j’ai régulièrement des élèves précoces dans ma classe. Je commence par une différenciation pédagogique, c’est-à-dire un même objectif pour toute la classe et des variables didactiques qui peuvent jouer, entre autres, sur la complexité. Cette différenciation profite à tous les élèves, qui peuvent ainsi progresser à leur rythme. Cela permet de gérer l’hétérogénéité des élèves dans les classes.

Il existe plusieurs manières de différencier. Ainsi je crée des groupes de besoin dans un domaine particulier et de manière limitée dans le temps, ce qui évite d’être stigmatisante. Je mets en place des groupes de niveau, du tutorat. Je fais varier les outils, les supports, j’alterne les démarches (déductive, inductive, dialectique), je différencie mon degré de guidage.

Mais parfois, ces différenciations ne suffisent pas à certains enfants. Si les apprentissages que je propose restent en dessous de leur zone proximale de développement[[Espace entre les tâches que l’enfant peut réaliser lui-même et celles qu’il parvient à réaliser avec l’aide d’une personne plus avancée dans ce domaine.]], ils n’apprennent rien. Dès lors, je ne peux plus avoir le même objectif d’apprentissage avec eux qu’avec le reste de la classe. Mon accompagnement prend alors la forme d’une individualisation, c’est-à-dire d’un programme personnalisé, pour tenir compte de leurs particularités d’apprentissage.

Prenons un exemple : en moyenne section, j’ai prévu une séance d’apprentissage sur la manipulation des syllabes ; l’objectif est de scander et de dénombrer les syllabes orales. Paul sait déjà le faire. Je lui propose des plateaux inspirés de la pédagogie Montessori où, par exemple, il manipule les syllabes à l’écrit, le but étant qu’il continue à progresser dans ses apprentissages. Ponctuellement, je lui propose également d’être tuteur d’autres élèves.

Je mets également en place des activités motivantes autour d’un projet. Par exemple, la réalisation d’un court-métrage. Avec les élèves, nous identifions les activités à réaliser pour aboutir à notre projet. Les réponses viennent d’eux, ils argumentent pour justifier leurs idées : faire du théâtre, inventer des mouvements, mimer des émotions, faire des bruitages, se filmer avec une tablette, créer des décors, inviter les parents. J’apporte l’étayage nécessaire pour les aider à mettre en mots leurs propositions. Tous s’inscrivent pour réaliser l’activité qu’ils ont choisie, ils s’engagent dans l’effort, prennent des initiatives et des responsabilités. Mon rôle est de faire les liens entre leurs idées et le programme pour exprimer leurs souhaits en termes d’objectifs d’apprentissage, en identifiant les savoirs en jeu, les connaissances à acquérir : s’approprier des outils techniques, les éléments clés d’une création filmique et les outils artistiques, se déplacer avec aisance dans des environnements variés, communiquer avec les adultes et les autres enfants par le langage en se faisant comprendre, participer verbalement à la production d’un écrit. La pédagogie de projet permet cette différenciation simultanée des activités en fonction des besoins et des capacités de chacun.

Du temps libre

Cependant, parfois cela ne suffit pas. Des élèves dont les capacités sont très supérieures au niveau de la classe montrent des signes connexes de mal-être, d’ennui, malgré ce que j’avais pu mettre en place. Je pense notamment à trois enfants : l’un commençait à se désintéresser de ce qui se faisait en classe, perturbait la concentration des autres élèves, un autre s’isolait de plus en plus et entrait en conflit avec les autres élèves sur la cour et dans la classe, le troisième savait lire en moyenne section.

Je me suis inspirée des écrits de Susan Winebrenner d’une part et, d’autre part, de ceux de Jean-Marc Louis et Fabienne Raymond repris par Roselyne Guillou[[Roselyne Guillou, Les élèves à haut potentiel intellectuel, Retz, 2016.]]. Cette dernière propose, entre autres, d’adapter sa pédagogie en « condensant », c’est-à-dire en dégageant du « temps gagné ». Comme ces élèves travaillent très vite, je leur ai dégagé du temps libre, du temps en autonomie pour réaliser des tâches plus complexes (des constructions en volume par exemple) et exercer leur créativité. Cet aménagement peut être formalisé par un contrat où parents, élèves et enseignant se mettent d’accord.

Accélérer la scolarité ?

Les passages anticipés sont préparés avec beaucoup de précaution, avec la volonté d’être au plus près des besoins de l’enfant. L’accompagnement se fait également en cheminant avec les parents. Je propose un entretien aux parents pour faire un bilan sur la scolarité de leur enfant. Dans un premier temps, je leur demande de me parler de leur enfant, leur ressenti par rapport à l’école. Je leur décris de manière factuelle le comportement de leur enfant en classe. Je leur présente les adaptations que j’ai mises en place et les répercussions sur leur enfant. Nous envisageons ensemble la suite de la scolarité. Lors du conseil de cycle, nous évoquons en équipe ces profils particuliers, afin de partager avec l’équipe enseignante et de mettre en place un projet. L’enseignant spécialisé peut intervenir auprès de l’enfant, venir l’observer dans la classe.

Je peux guider les parents vers un psychologue, afin que celui-ci donne son avis sur l’adaptation de l’enfant dans la classe supérieure et nous aide à choisir la meilleure solution pour l’enfant, mais l’objectif n’est pas de demander un test de QI. Je peux aussi leur proposer d’en parler avec leur pédiatre. Si les parents envisagent l’accélération de scolarité, nous faisons une équipe éducative où sont invités parents, enseignant titulaire, enseignant spécialisé, directeur de l’école, psychologue. L’historique de la démarche est présenté et la proposition d’accélération de la scolarité est rediscutée. C’est aux parents que revient la décision d’accepter ou non. Le passage anticipé est beaucoup plus facile à mettre en place dans les écoles qui travaillent par cycle, où l’on trouve des classes multiniveaux. Ainsi, l’accélération de scolarité n’est pas vécue comme un saut de classe, mais dans une continuité raccourcie : le cycle est fait en deux ans au lieu de trois.

Ingrid Guégan-Bertho
Professeure des écoles et formatrice à l’Institut supérieur Ozanam (Nantes)