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À l’école de la sécurité

Curieux titre, qui n’a pas seulement pour but d’éviter un énième « Prévenir la violence scolaire ». Disons d’emblée qu’il ne s’agit pas d’une sécurité que l’école aurait à faire apprendre (comme la sécurité routière, c’est bien à celle-ci que Éduscol renvoie avant tout en réponse à une recherche sur ce mot). Il s’agit bien de la sécurité au sens de la garantie des biens et des personnes, dans leur intégrité physique et psychologique, garantie que l’école se doit d’assurer. Ce numéro a l’ambition d’élargir le thème de la prévention de la violence, déjà largement travaillé, en reliant derrière ce terme de sécurité la question du traitement des comportements violents à celle du besoin de reconnaissance, voire de la réussite scolaire. L’éditorial propose ainsi la notion de « sécurité éducative » : « être en sécurité signifierait apprendre et enseigner dans des conditions plus favorables, moins anxiogènes ». L’usage de ce terme, en tout cas dans cette acception, est peu répandu dans l’institution, on ne le trouve ainsi que dans un outil de « diagnostic à la sécurité en milieu scolaire » proposé en décembre 2004. Il renvoie bien sûr à celui d’insécurité, si usité dans les médias, et on sent bien dans les diverses contributions de la revue à quel point ce couple gêne, voire même embarrasse, les pédagogues.
Le sociologue Hugues Lagrange présente d’abord l’évolution récente de la notion d’insécurité, en montrant qu’au-delà de la question de la délinquance, son succès est dû au climat « d’insécurité sociale », du fait de la dégradation de la protection sociale, des incertitudes économiques, de l’effritement des idéaux et des valeurs, etc. Pour Valérie Caillet, ce sont les incivilités qui dérangent, bien plus que l’insécurité, et c’est pour elle une école « de justice et d’équité scolaire » à laquelle il faut travailler. Pour Bruno Robbes, dans un article remarquable, mieux vaut se méfier des connotations sécuritaires pour parler plutôt, du côté des élèves, de « besoin de clarté et de justice », et « d’assurance contre le désordre » coté enseignants. D’autres auteurs sont encore plus critiques. Ainsi Michel Kokoreff et Jacques Rodriguez, pour qui la sécurité « opère à l’école une criminalisation des difficultés scolaires, sans remettre en cause l’institution elle-même ». Ils interrogent un « consensus de l’inquiétude », qui « alimente une inextinguible demande de sécurité », jusqu’à « l’état d’urgence structurel ». Jacques Fortin s’inquiète d’une revendication de sécurité synonyme de soustraction aux risques, là où la fonction éducative de l’école serait plutôt d’apprendre à les affronter.
En ce qui concerne le bilan de l’existant, le témoignage de Katrine Rømhild Benkaaba, jeune enseignante d’origine danoise, découvrant l’école française au travers de son année de stage, est sévère pour notre institution : plutôt qu’une éventuelle école de la sécurité, c’est une école de la discipline, de la contrainte voire la coercition qu’elle décrit… Quant à Sébastien Peyrat, il dresse un tableau saisissant et inquiétant de réalisme de la pénétration en force de la loi de la cité dans le collège du quartier, à laquelle les enseignants ont bien du mal à faire face.
Sans présager de l’avenir de ce concept de « sécurité éducative », on trouvera donc derrière ce titre, finalement roboratif par l’éclairage qu’il propose sur le fonctionnement de l’école, un dossier posant des questions essentielles, comme celle que propose Philippe Vienne en conclusion de son article : « quelle école voulons-nous, c’est bien à la question qu’il faut se poser à l’heure du bilan sur les politiques sécuritaires et leur panoplie de technologies et de “partenariats”… ».

Patrice Bride


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