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2007-2012 : Le prochain quinquennat changera-t-il l’école ?

Les idées pour changer l’école sont légion, parfois sur fond d’arrière-pensées très politiciennes. Parmi des propositions respectables se glissent des élucubrations et des falsifications, On trouve de nombreux textes mélancoliques exaltant les encriers en faïence, l’odeur de la craie et les internats mal chauffés. En contrepoint, d’autres entrevoient une école numérique qui transformerait les professeurs en pièces de musée. Ces augures ne seront jamais vérifiés. D’ailleurs, leur fonction n’est pas se colleter au réel mais seulement de témoigner de la capacité de leurs auteurs à perpétuer un débat sur le système scolaire tel qu’en lui-même l’éternité le change.

La doléance perpétuelle

Le « prévisionnisme » scolaire est un genre entre discours politique, journalisme spécialisé et compilation universitaire. Dans cet agrégat, on repère deux types de charges. Le premier annonce l’implosion imminente d’une école trop dure, centrée sur elle-même, dédaigneuse des besoins de l’enfant, installée dans le déni de la reproduction sociale et obnubilée par la sélection. Le second type de charges prédit le naufrage d’une école trop molle qui à force de s’ouvrir à toutes les influences et de ménager les élèves (notamment les mauvais), abandonne sa mission d’instruction première au profit d’expérimentations hasardeuses générant l’effacement des repères, le mépris de l’autorité, la baisse du niveau et l’illettrisme.

Les deux voies d’accusation développent de nombreux thèmes communs. Trois sont prépondérants. Le premier brode sur le retour nécessaire aux sources d’une école édénique qui jadis jouait merveilleusement son rôle d’ascenseur social et d’unification nationale. Le deuxième amplifie une autosatisfaction exaltant une supériorité intrinsèque de l’école de la République, une infaillibilité de ses missions pérennes, et parois l’abnégation de ses enseignants. Le troisième thème commun touche au rapprochement du système éducatif et du monde économique ; avec, d’une part, diverses versions de la sous-traitance de l’échec scolaire par les entreprises (apprentissage junior, CLIPA) ; d’autre part de multiples exemples de l’assimilation par l’école d’un idéal entrepreneurial, en l’occurrence dans la pédagogie structurelle des lycées techniques et professionnels ou dans des activités conjoncturelle comme la création dans les établissements scolaires d’une entreprise réelle (junior ou cadette).

Les acteurs du changement

Quels que soient les intentions et les contenus des changements évoqués, les protagonistes qui les formulent sont tous issus des mêmes cercles, au nombre de trois : les responsables, les experts et les enseignants.

Le groupe des responsables est constitué des décideurs détenant le pouvoir (légal et opérationnel) de réformer l’appareil éducatif (ministre, membres de cabinets, hauts fonctionnaires…). Leur manière d’agir prend deux formes concurrentes. La première est directe et tranche dans les questions pragmatiques par exemple le poids des cartables ou la méthode globale. La seconde est indirecte comme la loi organique relative à la loi de finance qui ne vise pas l’école en particulier, mais qui à l’occasion d’une réforme de la gestion de l’État induit des fermetures de classes, des suppressions de filières, la disparition d’options, la réduction du soutien aux élèves en difficulté et la surcharge des effectifs. Bref, quelques restrictions budgétaires réforment bien plus la vie des établissements que la loi d’orientation sur l’école, à telle enseigne que certaines dispositions voulues par François Fillon ne sont pas applicables à cause de la LOLF (par exemple le développement massif des langues vivantes).

Le lobby des experts regroupe des pédagogues, pédiatres, des intellectuels, des sociologues… qui proposent des réformes, mais n’exercent aucun pouvoir de décision. En général, les experts accusent les responsables d’être incompétents pour changer l’école tandis que ces derniers soulignent que les experts n’ont reçu aucune onction du peuple pour mettre en œuvre une politique éducative. Cependant, il arrive, que certains experts entrent dans le cercle des responsables pour mettre leur savoir au service du pouvoir. Parmi les experts, le patronat constitue un sous-ensemble typique, spécialisé dans le chômage des jeunes. Certains de ses membres affirment que les mauvais résultats de la France en ce secteur résulteraient de l’indifférence du système éducatif aux besoins des entreprises. Ce ne sont pas les emplois qui manqueraient, mais la main-d’œuvre suffisamment formée (qualifiée) pour les occuper.

Les enseignants constituent une famille particulière de réformateurs. Quelques-uns sont très ambigus puisqu’ils aspirent soit à une promotion parmi les responsables (proviseurs, inspecteurs, recteurs, conseillers techniques, ministres) ; soit à une ascension dans les rangs des experts (chercheurs, auteurs de manuels, documentaristes, essayistes, polémistes). Alors que les responsables et les experts accusent les enseignants de faire capoter toute tentative de réforme, ces derniers reprochent aux experts de n’avoir aucun lien avec le terrain et aux responsables de rejeter les modifications de bon sens que réclament les professeurs. Ce marasme soulève une question de fond. En effet, si nul ne conteste que les enseignants puissent exercer un contre-pouvoir de salariés face à leur employeur (l’État), en revanche, une démocratie avancée ne peut admettre d’instaurer sa politique éducative à partir des seuls compromis passés entre un ministre et les syndicats de fonctionnaires ? Qu’aurait d’authentiquement national, un système scolaire qui résulterait de telles négociations ?

Qu’entend-on par « changer l’école » ?

Tout le monde a une idée pour changer l’école : les églises, les mouvements de pensée, la presse, les associations, les courants pédagogiques, les collectivités locales… bref, pêle-mêle, toutes sortes de personnes morales ou physiques s’intéressant à l’enseignement ou plus largement à l’éducation et la jeunesse. Les consultations, colloques et autres états généraux ont beau se multiplier, les antagonismes sur le contenu même du changement restent prégnants depuis des décennies.

Pendant que le débat se dilate, le système scolaire accomplit en permanence des modernisations de filières, des adaptations de programmes, des rénovations de diplômes voire l’introduction de matières nouvelles. Alors, pourquoi le présente-t-on comme immuable ? Sans doute parce que seule l’organisation des études varie tandis que la fonction fondamentale de l’école reste figée. Par exemple, la refonte totale du baccalauréat de gestion (STG ex-STT) constitue indubitablement un changement pour le système éducatif et notamment sous l’angle de son adaptation aux emplois du futur, mais elle ne change rien pour les lycéens contraints par leurs conseils de classe de préparer ce diplôme de l’enseignement technologique à cause de leurs mauvais résultats en fin de seconde.

L’école engendre une telle appréhension dans ses méthodes d’orientation, ses modes de sélection, ses processus d’évaluation, ses décisions d’affectation ou ses moyens de sanctions que ses multiples améliorations fonctionnelles en d’autres domaines ne peuvent pas résorber le traumatisme qu’elle laisse dans les familles (dans la société). Tout citoyen découvre un jour que malgré d’incessantes métamorphoses, l’appareil éducatif pénalise ou favorise toujours les mêmes catégories d’élèves même si in extremis d’infimes corrections comme la discrimination positive et quelques commissions d’appel ou autres possibilités de recours gracieux nuancent cette tendance constante accablante.

Les changements qui ne changent rien produisent néanmoins de l’inquiétude, de la défiance et de la déception. En ce sens, la classe préparatoire aux études supérieures, ouverte en septembre 2006, au lycée Henri IV, pour une trentaine d’élèves boursiers, est un exemple symptomatique. Les accédants historiques aux cursus d’élite redoutent que ce type d’opération ne leur barre à terme un chemin chèrement tracé depuis des générations. Sachant qu’usage a force de loi, ils peuvent même ressentir une frustration. Conjointement, dans les couches populaires, la masse des laissés-pour-compte de l’instruction comprend que ce genre de promotion d’exception ne la concerne pas. D’ailleurs, les innovations qu’on lui propose sans cesse sont plus quelconques et consistent le plus souvent à quitter la voie générale pour se diriger vers des scolarités palliatives : classe relais, formation d’insertion, apprentissage junior…

Quels modes de changement prévisibles ?

La transformation de l’école étant un credo partagé par une multitude de parties-prenantes, les représentations du changement sont hétéroclites. Il est pratiquement impossible d’en faire une taxinomie exhaustive tant la profusion et la disparité du matériau sont exorbitants. Cependant, une observation méthodique permet de sérier trois grandes tendances réformatrices : l’attentisme, le passéisme et le pédagogisme.

L’attentisme soutient que le système éducatif se transforme par la force des choses, sans qu’il soit utile de prévoir des réformes pour lutter contre ses dysfonctionnements. Par exemple : les méfaits de la ghettoïsation (ethnicisation) dans certains établissements se dilueront d’eux-mêmes, grâce à quelques mutations démographiques et immobilières ou bien à l’occasion d’une abolition de la carte scolaire. Dans le même ordre d’idée, l’échec scolaire cessera d’être un problème, quand une reprise économique offrira un quasi plein emploi même à une main-d’œuvre peu qualifiée. Parallèlement, les nouvelles technologies (logiciels didactiques, internet) peuvent instaurer un autodidactisme généralisé relativisant le poids des scolarités linéaires et des cursus standards. Enfin, plus simplement, l’achat sur le marché de complément d’études ou de soutien (cours particuliers, stages linguistiques) est de nature à amoindrir les imperfections du système éducatif.

Le passéisme est la deuxième tendance réformatrice. Il suppute que la réintroduction de vieilles recettes ayant fait leurs preuves jadis permettrait un renouveau de l’école d’aujourd’hui. Cette idéologie apparaît, par exemple, dans le projet d’un uniforme ou d’une blouse. Mais le canon primordial du passéisme est l’autorité à l’ancienne. Luc Ferry l’assimile à la légitimité de l’école et de ses enseignants qui devraient en finir avec la modernité pour revenir aux choses sérieuses, comme « avant ». Avant quoi ? Sans doute avant que les jeunes n’entrent massivement dans les établissements secondaires parce qu’ils allaient plutôt à l’usine, à la mine ou aux champs. Pire. Le passéisme dissimule les ratées historiques de l’autorité des maîtres, comme la transformation des élèves gauchers en droitiers où la persécution par nos bons instituteurs d’antan des petits Bretons bretonnants et des jeunes Occitans patoisants.

La troisième tendance réformatrice relève du pédagogisme. Elle présente l’école, non pas comme un appareil idéologique d’État, mais comme une institution autonome devenant en elle-même le moteur de l’Histoire. En mai 1936, à Saragosse, la Confédération nationale du travail définit ainsi un système éducatif ayant pour objectif de développer la créativité, la liberté, le jugement critique, la suppression des récompenses et des sanctions, l’élimination de la distinction en travail manuel et activité intellectuelle et la prééminence du collectif sur le subjectif. Dans le même ordre d’idée, l’éducation nouvelle dans la lignée de Decroly postule que la transformation des modalités d’enseignement est un enjeu de civilisation qui dépasse le champ clos de l’instruction pour changer les mentalités des jeunes générations.

Gilbert Longhi est proviseur, chargé de cours et chercheur associé en sciences de l’éducation à l’université Paris X. Ses activités l’ont conduit à étudier les représentations du changement de l’école dans la presse courante et les revues spécialisées.