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1940-1950 Umschulung et réintégration

L’Alsace occupe encore une place à part dans l’imaginaire national. C’est à la fois le symbole d’un attachement viscéral à une certaine identité française et un territoire longtemps marginalisé par sa singularité linguistique, ses particularismes du point de vue du droit et de l’éducation ainsi que le retard souvent pris en termes de communications (TGV par exemple). Géographiquement en marge (au sens premier du terme), âprement disputée pendant près d’un siècle, elle occupe aujourd’hui une place centrale dans l’Europe en construction avec l’installation du parlement européen à Strasbourg.
En France, l’histoire de l’enseignement en Alsace est souvent méconnue par les gens “de l’intérieur” et, de ce fait, l’ouvrage Umschulung est fort utile.
En effet, Umschulung et réintégration évoque le parcours professionnel mouvementé d’institutrices et d’instituteurs alsaciens durant la Seconde Guerre mondiale.
Après une synthèse sur la situation politique de l’Alsace occupée en 1940 et intégrée de fait dans le grand Reich, l’ouvrage met en perspective la situation des enseignants alsaciens du premier degré qui ont choisi de rester (ou de rentrer) en Alsace après l’armistice de juin 1940. Nombre d’entre eux ont, de fait, connu l’Umschulung, c’est-à-dire une conversion forcée au modèle éducatif et pédagogique national-socialiste. La plupart des femmes sont ensuite affectées sur des postes de remplacement d’enseignants allemands mobilisés, généralement dans l’actuel Baden-Wurtenberg ; les hommes, après la formation, se voient dirigés vers le service du travail obligatoire avant d’être enrôlés dans l’armée allemande. À la Libération, tous ces enseignants sont contraints de repasser les diplômes français et/ou effectuent des stages dans les écoles normales « de l’intérieur ». Cette phase de « réintégration » – souvent superfétatoire – illustre la méconnaissance de ces personnels par la hiérarchie de l’Éducation nationale qui veut à la fois les protéger et les refranciser, sur le plan linguistique mais aussi idéologique (ce qui – paradoxalement – n’est pas le cas de tous ceux qui, à l’intérieur, ont juré fidélité au maréchal Pétain et à l’État français).
L’ouvrage s’appuie sur un corpus d’archives et sur des entretiens avec des enseignants alsaciens passés par la Hochschule für Lehrerbildung/Lehrerbildungsantalt (noms successivement donnés pendant la guerre à l’équivalent de l’école normale) de Karlsruhe. Il resitue ces parcours de vie dans le contexte politique et éducatif propre au national-socialisme.
On regrettera les comptes rendus un peu synthétiques des entretiens. À la lecture, (ils sont pourtant nombreux et documentés), il est difficile de se faire une idée précise de l’influence de l’idéologie national-socialiste sur ces jeunes enseignants alsaciens et sur leurs véritables sentiments après la guerre.
En revanche, et c’est là un de ses grands mérites, l’ouvrage, issu d’une coopération entre plusieurs centres de formation français et allemands, ne s’arrête pas à la considération commune d’un passé douloureux. Il met en évidence l’intérêt de formations professionnelles bi ou multinationales. À cet égard, la mise en perspective futuriste, à la fin de l’ouvrage, d’une formation commune à l’ensemble des enseignants d’une hypothétique région du « Rhin supérieur » est un exemple de réflexion originale qui (tant sur le fond que par le choix audacieux de la rétropolation) mériterait d’être adressée à tous ceux qui nient aujourd’hui la pertinence d’une véritable formation professionnelle des enseignants du premier degré.

Luc Bruliard