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« Vous faites un travail formidable ! »

Qui n’a pas été irrité d’entendre cette phrase chère aux ministres et autres institutionnels ? Et pourtant, on pourrait se demander : mais voyons, qu’y a-t-il d’irritant là-dedans ? Enfin, les enseignants ne sont jamais contents, qu’on les critique ou qu’on les gratifie, ils râlent ! Deux enseignants sur trois se sentent personnellement concernés par le « malaise enseignant », et en tiennent responsable essentiellement « l’absence de reconnaissance professionnelle »[[Voir l’étude « Enseigner en collège et lycée en 2008 », Dossiers évaluations et statistiques, n° 194, octobre 2009.]]. Qu’est-ce qui leur faut donc ?
Pour les enseignants, les messages du type : « Vous faites un travail formidable ! » sont rarement ressentis comme légitimes. « Il nous passe de la pommade pour nous faire avaler la pilule ! » : la salle des profs n’est pas dupe de cette communication stratégique, qui vise à faire baisser les défenses des groupes ou personnes concernées pour leur faire accepter ensuite les contraintes présentées comme inévitables. La reconnaissance professionnelle, ça ne passe pas par là.
C’est vrai que quand vos élèves ont remporté le concours de la Résistance, ou que vous les ramenez d’un voyage, « Vous avez fait un travail formidable », oui, ça peut avoir une réalité. Mais qu’est-ce qui est alors reconnu ? Votre travail, son résultat éducatif ou sa retombée en terme d’image ? Il y a une photo dans le journal, l’élu du conseil général constate le retour sur investissement. Quelque chose ce jour-là a été visible et reconnu.
Mais votre énergie et vos astuces pour que vos classes tournent et que vos élèves apprennent au quotidien, qui les voit, qui les reconnait ? Qui vous a déjà dit « Vous faites un travail formidable » quand Jordan a lu son premier roman en 4e, que Noémie est revenue et restée en cours malgré sa phobie grandissante, que Nasser a su s’expliquer clairement, que Yadali a apporté un classeur, que Tess a rédigé un paragraphe lisible, que Romain a eu le temps de trouver ses erreurs et de les corriger ? Personne ne l’a célébré, même pas vous, qui l’avez considéré comme « normal »…
Il y a beaucoup de mauvaise foi dans les protestations du type : « Les profs font un boulot énorme ! », car en situation, ça ne tient pas. Si Jordan vous avait lancé son livre à la figure, la variante aurait pu être : « Si vous ne savez pas tenir vos classes, vous n’avez qu’à changer de métier ! » Et si exceptionnellement vous ne respectez pas un délai ou vous manquez une réunion, même si vos pairs trouvent que vous faites du bon travail, vous pouvez entendre : « Si vous étiez dans le privé, vous sauriez ce que c’est d’être professionnel ! »
Quand j’ai visité le musée des bateaux à Douarnenez, j’ai été très frappée par le bateau-phare. Son boulot était de rester sur place en pleine tempête pour servir de repère, comme tout bon phare. Pour cela, ce bateau consommait plus de carburant qu’aucun autre et il fallait relever l’équipage très souvent parce que c’était épuisant. Tout ça pour arriver à ne pas bouger, à ne pas se laisser emporter par les courants ! Beau travail. Mais de loin, c’était juste une lumière qui brillait toujours au même endroit !